Surprise : c’est peut-être d’Allemagne que nous viendra cette année le plus grand disque de pop anglaise. Sur un premier album captivant, Get Well Soon mêle rêveries et cauchemars et compose la BO officielle de la nuit.
Tout a commencé avec ce drôle de patronyme, comme échappé d’une carte postale posée sur la table de chevet d’un lit d’hôpital : un groupe qui se faisait appeler “bon rétablissement” ne pouvait qu’attiser la curiosité. Première erreur de jugement, car Get Well Soon n’est pas vraiment un groupe, mais plutôt le projet musical d’un seul homme, le jeune Allemand Konstantin Gropper. Rapidement devenu chouchou des blogs, Gropper n’a cessé, ces derniers mois, d’alimenter nos rêveries et de venir hanter nos nuits, dévoilant sur le net une poignée d’immenses petites folk-songs sombres et fascinantes à la fois, parmi lesquelles une reprise épatante de Born Slippy de Underworld. Quelques morceaux sur la toile donc, mais encore très peu d’informations sur le jeune homme : 25 ans, des études de philosophie à Berlin et basta.
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On a donc deviné Konstantin Kropper solitaire, ancien adolescent timide et renfermé, passant plus de temps à fréquenter les ordinateurs que les filles, connaissant les quatre murs de sa chambre comme un prisonnier de Guantanamo maîtrise les revers de sa combinaison orange. Aussi ne fut on pas surpris d’apprendre que c’est loin des petits clubs rock berlinois enfumés que le jeune garçon s’est définitivement lancé dans la création musicale, mais en remportant le prestigieux prix allemand Erich Fried, après avoir mis en musique l’un des poèmes de l’écrivain autrichien. “J’ai toujours été assez réservé, c’est vrai. J’ai rarement fréquenté les groupes, les bandes. Sur scène, je suis aujourd’hui entouré de musiciens, notamment de ma sœur mais autrement je travaille seul. J’aime passer du temps à composer de la musique dans mon coin, à construire des séquences, les assembler, pour finalement tout remettre dans le désordre. Ça peut prendre des heures, des journées, des semaines et c’est même difficile d’arriver à se dire que le travail est achevé, surtout lorsqu’on est son propre juge. Je peux être très difficile, exigeant avec moi-même.”
Le premier album qu’on découvre aujourd’hui, Rest Now, Weary Head! You Will Get Well Soon, est d’ailleurs le fruit d’un travail de longue haleine : trois années auront été nécessaires à ce que le multi-instrumentiste – il joue de tout, tout seul – Gropper finalise son œuvre, s’inspirant autant de la culture rock que des musiques de films d’Ennio Morricone ou de son amour pour la musique classique, hérité d’un père professeur. “J’ai toujours écouté beaucoup de musique classique. Le fait de composer m’est venu très naturellement, tout comme le choix de la langue, l’anglais est plus naturel pour moi. Après, je reste convaincu que le véritable langage universel est celui de la musique, peu importe la langue que j’utilise ou les mots que j’emploie. Il y a quelque chose qui parle à tout le monde, qui peut atteindre de la même manière, provoquer le même émoi à un Américain qu’un Français, un Suédois qu’un Allemand.”
Et il faudra effectivement venir d’une autre galaxie pour échapper à la bourrasque d’émotions que provoque l’écoute de ce premier album. Si l’on sait encore mal comment les météorologues choisissent les prénoms des tornades et autre ouragans, on leur propose aujourd’hui Konstantin pour succéder aux récents Gustav, Ike, Fay et Hanna : dès le premier morceau, un Prelude baroque en diable qui, déjà, ressemble à un bouleversant générique de fin, Gropper annonce la tempête, garantit le tsunami. Puisant ensuite autant dans les structures classiques que dans les cuivres de l’Europe de l’Est (You/Aurora/You/Seaside) ou le lyrisme de Radiohead (People Magazine Front Cover), Get Well Soon évite cependant le piège de l’exercice de style et du copier-coller, et dévoile, en avant-première, le nouvel album de Beirut, le prochain disque solo de Thom Yorke – on pourrait d’ailleurs continuer comme ça longtemps, et parler de Gropper comme d’un Sufjan Stevens de Bavière, d’un Loney Dear de la Ruhr.
Un seul titre suffira à justifier ce petit paquet de belles références : If This Hat is Missing I’ve Gone Hunting, avec ses contretemps capiteux, ses chœurs à vous retourner l’estomac et sa schizophrénie assumée, s’impose, grosso modo, comme le plus grand morceau de l’automne – celui-là même qu’Interpol, étriqué dans ses cravates et sa pénible tendance à surjouer, n’a jamais réussi à composer. Car Konstantin Gropper a beau avoir de grandes idées (et des textes fous comme “I Sold My Hands for Food so Please Feed Me” ou “We Are Safe Inside While They Burn Down Our House”), il garde la tête bien sur les épaules: rien sur Rest Now, Weary Head! You Will Get Well Soon ne parait outrancier, exagéré.
Au contraire, c’est avec la certitude d’avoir rencontré un authentique et sincère confident pour l’avenir qu’on ressort de ces quatorze chansons-tiroirs. Et qu’on se réjouit de constater qu’après l’Islande, la Scandinavie et même la France, c’est désormais au tour de l’Allemagne de venir rappeler à l’Angleterre pop ses carences et son actuelle médiocrité musicale.
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