Reportage dans la cité québécoise les jours qui ont suivi la mort du chanteur.Ou comment les Montréalais ont ont rendu hommage au symbole de leur ville.
A une journaliste québécoise qui demande à Leonard Cohen en 1985 : “Pourquoi avoir toujours gardé un appartement à Montréal ?”, il répondait ceci en français : “Parce que c’est ma ville, c’est humain, ici. Il y a des gens dans la rue, des amis, beaucoup d’amis.” Au petit parc du Portugal, dans le quartier du Plateau, la nuit de sa mort, il y avait des gens, des amis devant chez lui.
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Réunis, pour rendre hommage au poète de leur ville, parce que Leonard Cohen est indissociable de Montréal, c’est comme ça. “Comme si la Belgique avait perdu Tintin”, pour Michèle Provencher, Montréalaise émue aux larmes. Malgré les bourrasques de vent, les personnes endeuillées commencent à arriver, seules ou en petit comité, de tous les côtés. A pieds, guidés naturellement comme on va chez un ami, ou acheter une brique de lait à l’épicerie.
Aucun touriste à l’horizon mais quelques photographes qui comprennent rapidement que la lumière de leur flash est gênante. Sur le perron du défunt, les objets s’accumulent : des bougies, des fleurs, des mots, un chou, du vin, des cigarettes, un extincteur.
Des symboles propres à chacun, parce que “Leonard Cohen touche à l’intime. Tu écoutes sa voix dans ton casque, c’est comme s’il te parlait directement”, raconte Laurent Saulnier, vice-président de la programmation du Festival de jazz de Montréal.
Ce soir-là, le drapeau canadien est en berne
Ce grand gaillard en a vu d’autres mais ce soir il est déboussolé : “Je sais plus de quoi j’ai envie.” Bientôt, un homme lance à la foule : “Dix hommes pour chanter le kaddish ?!”, la prière juive pour pleurer les morts, le début de la chanson You Want It Darker du dernier album de Cohen.
Ce soir-là, le drapeau canadien est en berne. Le Premier ministre du Canada Justin Trudeau ne peut s’empêcher d’écrire sa tristesse. Tout comme le Premier ministre du Québec, Philippe Couillard, qui annonce dans la presse qu’il y aura une “commémoration nationale” dans les jours à venir.
Leonard Cohen, à Montréal fait partie du patrimoine. Il y a le Mont-Royal, les bagels de chez Fairmount ou St-Viateur (selon les écoles), l’église Sainte-Catherine et la maison de Leonard Cohen. Située à l’angle de la rue Marie-Anne et du boulevard Saint-Laurent, qui sépare la ville en deux.
Chacun a son anecdote avec Leonard Cohen
Sa maison tranche les côtés ouest et est, historiquement : le côté des nantis et des plus modestes, des anglophones et des francophones. Leonard Cohen est né dans le quartier anglophone de Westmount, puis il est descendu vers le Plateau, le quartier populaire portugais. Le cheminement dans ce sens est rare.
“Chez lui, impossible de savoir chez qui on est.”
A l’image de sa vie, Leonard Cohen a choisi de vivre simplement auprès des autres. “Chez lui, impossible de savoir chez qui on est. C’est tellement minimaliste et zen. Dépourvu de souvenirs”, remarque Nicolas Tittley, journaliste de passage chez l’artiste quelques années auparavant.
Chacun a son anecdote avec Leonard Cohen. Il ne vivait pas reclus à Montréal, bien au contraire. Les Montréalais le croisaient dans la rue. Il avait l’habitude d’arpenter la ville avec son chapeau, était souvent fourré au Bagel Etc., à deux pas de chez lui.
“Leonard Cohen, je l’ai croisé une fois. Il était en costume, toujours élégant. Il est passé devant moi, il a regardé ma femme et j’ai eu l’impression qu’elle était toute nue, c’était puissant”, raconte Victor Shiffman, commissaire de l’exposition Leonard Cohen prévue pour 2017 au MAC (musée d’Art contemporain) de Montréal. Pour Shiffman, l’artiste est plus qu’un symbole, il représente le multiculturalisme. Un homme juif sorti de sa communauté anglophone pour plonger dans tant d’autres.
Des Montréalais se retrouver pour chanter Hallelujah
A l’angle des rues Saint-Dominique et Marie-Anne, en face de chez Leonard, sur le panneau de l’avenue, une âme endeuillée a rajouté “So Long Marie-Anne and Leonard”. En référence à Marianne, qu’il est parti rejoindre. Deux jours plus tard, le vent n’a pas diminué, mais la foule devant le parc du Portugal est plus importante.
Les Montréalais se sont passés le mot, pour se retrouver devant chez Cohen à 16 heures pour chanter Hallelujah. Toutes les générations se confondent, deux adolescents peignent sur une fresque des petits carrés qui forment un patchwork.
Ils ne sont pas fans de l’artiste, ils faisaient du vélo et ils ont vu des personnes dessiner par terre alors ils se sont arrêtés. C’est exactement ça, Montréal. Une ville composée de blocks, de croisements perpendiculaires où l’âme et l’art se joignent à chaque coin de rue. Très certainement ce que Cohen n’a jamais pu abandonner.
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