Depuis vendredi 18 septembre, la salle de concerts de la rue de Bagnolet (Paris XXe) réaccueille des spectateurs, après un long silence de quatre ans. Mais le futur du lieu reste incertain, et pas seulement à cause de la crise sanitaire.
Drôle de sentiment que de revisiter un lieu de sa jeunesse que l’on pensait fermé à jamais. Mercredi 16 septembre, en petit comité, puis officiellement vendredi 18 septembre, La Flèche d’or a repris le cours de son existence après quatre années de silence, et c’est presque comme si la salle de concert de l’est de la capitale ne s’était jamais vraiment tue. Un long coma dont les effets ne sont perceptibles qu’après un examen plus complet. L’entrée exiguë, baignée de lumière et de fumée de cigarettes, s’ouvre toujours à droite sur une terrasse bondée. Dans la grande salle, il n’y a guère que les tables et les chaises, installées pour faire respecter la distanciation sociale, qui portent la marque de 2020. Pourtant, en coulisses, tout a changé.
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“Tous les horizons se rassemblent”
Un bref coup d’œil au mythique programme, encore écrit sur un tableau à même le mur, donne de premières pistes. Dans ses dernières années, avant sa fermeture en décembre 2016 après un ultime concert de Lou Doillon, l’ancienne gare de la petite ceinture était gérée par les tourneurs Alias et Astérios. Elle accueillait des artistes internationaux, des soirées sous les bannières du label PIAS ou encore des événements initiés par les Inrockuptibles. Ces noms établis ont laissé place à l’artisanat du milieu underground.
Cette résurrection porte le sceau de huit collectifs déjà connus du Paris festif, comme le Collectif MU, derrière la programmation de La Station – Gare des Mines, ou Doxa Esta, l’équipe du Zorba (Xe arrondissement). “Ce que l’on souhaite créer, c’est un espace où tous les publics de tous les horizons se rassemblent, explique Michèle Santoyo Albertini, de Doxa Esta, lors de l’ouverture. Un espace où il y a une vraie vie citoyenne et associative, où les compétences, les entraides et la solidarité sont présentes au quotidien.”
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Des débats antiracistes plutôt que de la Guinness
Le regroupement de collectifs a pu investir le lieu après un appel à projets, lancé notamment par les riverains, las de voir l’ancienne gare de Charonne désaffectée. Ces quatre dernières années, les projets avortés se sont succédé ici, d’un pub irlandais de la chaîne O’Sullivans à un espace de coworking. En plus de leur échec, ces plans partageaient leur absence de lien avec l’histoire ouvrière et culturelle de La Flèche d’or. Il faudra attendre le 16 novembre 2019, et une occupation de la salle par des groupes de Gilets jaunes et de militants antiracistes et écologistes, évacués dès le lendemain, pour que la municipalité s’active enfin.
Cet acte fondateur marque profondément cette réouverture. Ainsi, les huit collectifs n’entendent pas faire de leur Flèche un lieu de culture de plus. Des réseaux sociaux jusqu’à l’entrée des toilettes, leur engagement politique s’affiche partout. “Ce lieu est un espace en lutte contre les oppressions systémiques”, présente un manifeste publié sur le site Internet. Mercredi, Michèle Santoyo Albertini précisait, lors de sa prise de parole de présentation, vouloir s’adresser aux “personnes qui sont dans la précarité, aux familles aussi bien qu’à des publics queer LGBT +”.
Les concerts et la fête ne sont pas les uniques vocations de la Flèche d’Or version 2020. Ainsi, lors du week-end d’ouverture, un atelier d’initiation au fanzine a été organisé. Plus tard dans le mois, une conférence sur le thème “Décoloniser l’art” doit également se tenir. Les huit collectifs entendent aussi faire de la salle de spectacle un vrai lieu de vie de quartier. Pour le moment, difficile de dire si cette intention d’ouverture réussira ou restera un vœu pieux : mercredi, le coup d’envoi officieux était surtout donné par des cheveux blancs, tandis qu’à cause de la crise sanitaire, il fallait réserver pour les soirées de vendredi et samedi.
Gentrification, Covid-19 et mairie de Paris
Pour s’insérer dans son bout de XXe arrondissement, entre logements sociaux et rues pavées gentrifiées, la salle a sans doute quelques bons arguments, comme son entrée à prix libre ou ses boissons très bon marché. Reste le défi d’agréger toutes les populations visées : féministes, queers et habitants des tours. D’autant que l’effet bénéfique de ce genre de lieux est parfois mis en doute. Il y a quelques années, le chercheur belge Daniel Zamora, qui a étudié l’implantation des bars branchés dans les quartiers populaires à Bruxelles, expliquait aux Inrocks que “ces cafés et leurs publics n’entretiennent en réalité que très peu de rapports avec les quartiers et la population locale. A l’inverse du discours qui voudrait que ces cafés branchés soient ouverts à la ‘mixité’, il semble que les publics se mélangent peu et qu’il se reproduit une grande distance sociale par le biais de divers mécanismes économiques, symboliques et culturels (…) En conséquence, ces formes de commerce contribuent avant tout à gentrifier ces quartiers plus qu’à les diversifier”.
Autre ombre au tableau, la durée de cette installation. Pour le moment, les huit collectifs ont un bail de six mois. A terme, la municipalité entend faire valoir son droit de préemption pour récupérer la salle, propriété de la société de gestion foncière Keys Asset Management. Le Conseil de Paris a voté en faveur de ce rachat au mois de juillet. Présent mercredi, le maire de l’arrondissement, Eric Pliez (Paris en commun), a assuré chercher à “transformer cette expérience temporaire en expérience définitive”. Avant d’ajouter : “Soyons clairs, (…) va s’entamer maintenant une période de discussions, de négociations, autour du rachat de ce lieu.” Une situation que la crise sanitaire complique encore un peu plus.
Moins de spectateurs et plus de règles à respecter : l’étrange visage des concerts en temps de Covid-19. Vendredi soir, alors que les saxophones des Parisiens de Selen Peacock font basculer dans tous les sens les têtes d’une audience disposée en petits groupes assis, un homme, masqué, se lève entre les chaises. Debout, il se met à danser, réalisant le souhait de chacun de ses voisins… avant d’être invité à se rasseoir quelques secondes plus tard. Après un si long coma, impossible de pogoter sans une période de rééducation.
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