Rencontre à Guan Cun avec des comédiens chinois et des habitants du village, lors de l’élaboration des Petits contes chinois revus et corrigés par les nègres. Yuan Jin, comédien. Suivent un marionnetiste, un chef de village et une villageoise.
C’est au théâtre national de Xian que Jean-Luc Courcoult a fait la rencontre de Yuan Jin, comédien quadragénaire de haute et belle stature au théâtre comme au cinéma. Le théâtre ayant été introduit en Chine au début du XXème siècle (avant, seul l’opéra se jouait sur les scènes), la méthode Stanislavski constitue encore la base du travail d’acteur dans les théâtres nationaux. A cela s’ajoute un répertoire « classique » de pièces de propagande politique, un certain répertoire occidental (Tchekhov pour l’essentiel) et, plus récemment, des pièces comiques inspirées du répertoire occidental.
« Ceux de ma génération étudiaient Stanislavski en première année, et Brecht tout comme Mei Lan Fang (grand acteur de l’opéra chinois dans les années 30) en deuxième année. La jeune génération, issue de la révolution culturelle doit se contenter de la méthode Stanislavski. » Quant au cinéma, chacun connaît la règle du jeu établie par le département culturel de Xian : à chacun de mesurer jusqu’où il peut aller. « Par exemple, vous pouvez très bien avoir un personnage de fonctionnaire corrompu. Mais, à la fin du film, un secrétaire général du Parti doit intervenir pour le punir. On commence même à tourner des téléfilms sur la Révolution Culturelle. Récemment, j’ai joué dans un téléfilm qui retraçait le passé de cette Terre Jaune et qui a rassemblé des acteurs qui ont vécu la Révolution Culturelle. Bien sûr, on mettait en scène notre propre vécu et le film a été condamné à la censure par Pékin.«
Car Yuan Jin n’a pas échappé au travail forcé imposé par Mao à tous les étudiants intellectuels chinois. Un père pianiste, une mère médecin : à 17 ans, Yuan Jin est envoyé dans le sud-est du Shaanxi, une région aride où il doit « aplatir une montagne« . Il y reste 4 ans : « J’étais l’un des plus jeunes et j’étais travailleur. Un jour, je devais faire retourner les blés pour qu’ils sèchent sur place et j’ai fait sonner les cloches. Personne n’est venu à part quelques vieilles femmes accompagnées d’enfants. J’ai dû crier pour qu’ils viennent avec les outils nécessaires. Alors, je leur ai dit que la rétribution équitable entre tous ne serait pas de mise mais qu’elle dépendrait de ce qu’ils feraient. La fois suivante, ils ont tous ramené de gros sacs. Mais je leur ai dit que, cette fois-ci, rien ne servait de venir avec de tels sacs et que la rétribution serait habituelle. Du coup, j’ai été respecté et élu chef du village. Je le suis resté deux ans jusqu’à ce que je lise cette annonce, lors d’une permission à Xian : le théâtre national faisait passer un concours pour engager des acteurs et des techniciens. Nous étions 10 000 à passer ce concours et j’ai été reçu. En tant que chef du village, j’avais le droit de chercher un travail, mais la secrétaire générale du Parti au village m a convoqué : « Tu ne peux pas partir, on a besoin d’un cadre dirigeant. Tu peux évoluer dans la hiérarchie du Parti. » J’ai préféré partir. C’est là que le village m a donné une maison et un lopin de terre.«
L’ironie du sort aura voulu que le projet de Royal de Luxe se déroule dans un autre village du Shaanxi. Yuan Jin admet vivre comme une souffrance ce travail mêlant ses souvenirs à son travail d’acteur. Jouer la création comme une femme qui accouche, dit-il, parce qu’il sait qu’il atteindra son but en acceptant cette souffrance. Mais il sait aussi que l’expérience lui permet de s’ouvrir l’esprit, de voir autrement les choses. Un espace de liberté dont il sait très bien qu’il donnera une autre dimension à son travail d’artiste.