Jiao Jun Lan (Belle orchidée), habitante de Guan Cun.
Née dans un village proche de Guan Cun, Jiao Jun Lan est arrivée ici en se mariant, dans les années 60. Agée de 53 ans, elle a eu deux garçons et une fille (en ville, les couples ont droit à un enfant et à la campagne à deux enfants ; tous les enfants supplémentaires sont inscrits sur la « liste noire », l’un des deux garçons de Jiao Jun Lan est donc sur la liste noire).
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Aujourd’hui, elle vit dans l’un des plus anciens tang du village, cultive seule son lopin de terre. Il arrive aussi que sa récolte soit renversée, que l’on critique son travail : un isolement qu’elle comprend fort bien, elle qui fut Garde rouge dans son village natal. « De 1958 au début des années 60, ce fut une grande période. Tout le monde vivait ensemble, on mangeait dans des cantines communautaires et le rationnement était calculé en fonction de chaque famille. Mais ça n’a pas marché et, à la fin des années 60, ce fut l’époque du Grand bond en avant. Jusqu’aux années 70, le programme a changé, le paysan était rétribué en fonction de sa récolte. Je suis arrivée à Guan Cun à 19 ans, en 1967, et je suis toujours restée ici. Lorsque j étais Garde Rouge au lycée, mon père était secrétaire général du Parti du village. Mais il a été critiqué à cette époque, par le Parti comme par moi-même. A l’époque de la Révolution Culturelle, tous les cadres du Parti ont été remis en cause. En 1965-66, il a été envoyé aux travaux forcés pour construire des routes. Je trouvais ça bien qu’il fasse des travaux pénibles pour comprendre ce que vivent les ouvriers. Si je compare le développement économique et industriel d’aujourd’hui à ces années-là, je trouve qu’on vit mieux.«
Malgré tout, il est difficile de renoncer à ses utopies. Jiao Jun Lan s’occupait d’alphabétisation dans son lycée, et plutôt bien, puisqu’elle fut élue chef des Gardes Rouges. Un poste qui consistait essentiellement, nous dit-elle aujourd’hui, à chasser les superstitions ? rappelons que le seul interdit manifeste qui a contraint Royal de Luxe à signer un protocole d’accord avec les autorités chinoises avait trait à la propagande religieuse -, à détruire les temples, à renverser la pensée impérialiste, et à dénoncer tout type de manifestation malveillante envers le Parti. Désormais, les fêtes religieuses ont repris, le culte des ancêtres réapparaît mais elle n’y va pas, car elle n’y croit pas. Ses actions passées, elle a décidé de les assumer : « Pour être cadre dirigeant au Parti, il faut assumer ses responsabilités et pouvoir supporter beaucoup de choses.«
Fière de nous montrer sa montre offerte en 1979 par le chef du Parti du district en honneur de son travail, elle ajoute que si elle participe encore à quelques réunions, elle y va nettement moins depuis le décès de son père en 1986. Elle dira simplement que ce deuil l’a beaucoup choquée. Et que, depuis, elle vit par elle-même, cultive sa terre sans rien demander à personne et évite de parler de tout cela avec ses enfants, dont aucun n’est inscrit au Parti. On ne lui en demandera pas plus : bien qu’elle reconnaisse que « l’on vit mieux maintenant que sous la période Mao« , elle ne peut s’empêcher d’ajouter : « Mais les mœurs des gens deviennent médiocres.«
Pour finir, elle ajoute que l’un des changements majeurs produits par l’arrivée de Royal de Luxe à Guan Cun consiste simplement à se dire bonjour : « A force de voir tous les Français et les Africains lancer de joyeux « nirao » (traduction phonétique de bonjour en chinois) à tous les habitants et d’entendre les gosses de l’école répondre par de sonores « salut » en français, on s’est mis, nous aussi, à nous saluer. » Et ça fait un bien fou’
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