Quelques mois après la sortie de son album « Intra Muros », retour avec Kohndo pour évoquer ce quatrième album solo, son travail méconnu de beatmaker, son « lien » avec Drake et sa passion pour A Tribe Called Quest.
Malgré ses débuts tonitruants au sein de La Cliqua, Kohndo a toujours cultivé sa singularité, et ce, depuis presque vingt ans en solo. Il propose ainsi un discours positif sur des musiques fortement teintées de couleurs jazz, soul ou funk. Avec ce dernier projet, ce frais quadragénaire ajoute une nouvelle corde à son arc : une confiance revendiquée et assumée en son art.
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Comment réagis-tu à la mort de Phife d’A Tribe Called Quest …
Kohndo – Je reste assez choqué. Le temps passe bien trop vite. A Tribe Called Quest, c’est un monument. Ce groupe est fondateur pour moi. C’est grâce à Tribe que j’ai fait la connaissance du jazz avec le morceau Jazz We’ve Got ils ont été ma porte d’entrée vers le jazz. Ils m’ont permis de découvrir Jimmy Mc Griff, Wayne Shorter, Miles Davis …
Dans plusieurs interviews pour évoquer ton départ de La Cliqua tu disais qu’eux devenaient trop Mobb Deep et que toi tu étais plus Tribe. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Ce n’est pas une affaire de goût, c’est plutôt une question de posture. La posture de Native Tongue (ndlr : le collectif qui englobait entre autres De La Soul, Tribe et Jungle Brothers) était : « Keep It Real ». « Sois vrai » ; et c’est ça qui me plaisait. J’avais le droit d’avoir ma personnalité. Je suis fils unique de mère célibataire, et gamin, j’ai beaucoup déménagé. L’instruction et l’intelligence sont des valeurs fortes dans ma famille. On me répétait sans cesse : « Kohndo, apprends des choses et gens« , « sois bon à l’école » et surtout « ne te laisse pas dicter ta conduite par les autres. » Dans une certaine mesure, il me fallait tuer ma personnalité pour être dans La Cliqua, et au bout d’un moment d’un moment, je n’y arrivais plus. C’est également aussi pour ça que dans le rap, j’ai toujours cultivé une certaine singularité.
Dans Intra Muros, ton nouvel album, tu as produit la moitié des titres…
Oui. On connait très peu ma casquette de producteur. J’ai eu mon premier sampleur à l’âge de dix-huit ans : c’était un Akaï S950. J’avais bossé tout l’été pour me l’acheter. Peu de temps après j’ai acheté un quatre pistes. Tous mes albums comptent des titres que je signe en tant que beat maker et compositeur. J’estime que la musique doit dialoguer avec le texte et inversement. Après avoir travaillé dix ans avec un live band, j’ai voulu revenir à mes premiers instincts, ceux de l’enfance. J’avais envie de retrouver l’énergie de mon adolescence, le plaisir du jeu ! Ma musique traduit comment je vois mon Hip-Hop, 25 ans plus tard. Intra Muros c’est un peu comme « la bonne cuisine à maman« , sauf qu’elle a fait quelques stages chez les plus grands chefs.
Peux-tu parler du morceau Des Voix Dans Ma Tête ?
Parfois on me qualifie de « old school » parce que ma carrière a démarré dans les années 90. Réellement dans mon travail j’ai toujours eu un temps d’avance sur mon époque. Ecoute Des Voix Dans Ma Tête puis écoute Hotline Bling de Drake.
En effet, c’est le même sample !
Pas du tout ! Je l’ai fait deux ans avant Hotline Bling et ce n’est pas le même sample. En revanche j’ai été sensible à la même chose. Par exemple, Why Can’t We Live Together de Timmy Thomas. Ce morceau reprend une boite à rythme (la Maestro Rythm King MK2), qui a également utilisée par Shuggie Otis. J’ai été fasciné par ces deux morceaux et j’ai voulu les recréer. Pour la plupart des gens, le fait que Drake ait eu cette idée est normal, puisque c’est un cainri. Mais si Kohndo Assogba a le même feeling, et bien cela ne fait pas de lui un génie.
Donc tu es un génie ?
Non je ne suis pas en train de faire mon Kanye West ! Ce n’est pas ce que je revendique. Je dis simplement que tant qu’on me verra comme un « ancien » et non pas comme un artiste ayant mûri son art, j’aurai du mal à faire valoir la qualité de mon travail. J’aimerais que les gens creusent un peu plus et perçoivent un peu mieux mon œuvre. Écoute l’ensemble de mon travail rythmique, chaque titre est une proposition différente. C’est de l’horlogerie suisse (rires). Deux choses te donnent raison : le nombre ou le temps. Je compte sur le temps pour avoir le nombre.
Quel est le concept d’Intra Muros ?
Ça part d’une envie. Comment vais-je pouvoir parler de ma famille, de mes potes qui sont en attente de leurs papiers d’identité, et des gens que j’ai rencontré durant mes ateliers dans les centres de détention ou dans un centre de réinsertion pour jeunes filles en Pologne ? Toutes ces expériences que j’ai vécues ces huit dernières années, je voulais les retranscrire dans un album. C’est tellement dense que je ne pouvais pas faire un disque où je me raconte simplement. J’ai décidé de raconter une histoire par le biais d’une tournée de nuit d’un chauffeur de taxi parisien. C’est un tonton du pays qui a mon âge, donc entre le début de la quarantaine et fin de la trentaine, qui s’interroge sur le monde et permet à l’auditeur d’être tantôt à sa place et tantôt à la place du passager. Il y a deux niveaux de lecture. Soit tu restes à la surface et c’est une histoire. Soit tu creuses et tu me trouves, moi et ma vie dans toutes ses facettes.
Dans cet album tu collabores avec Nekfeu et Oxmo qui sont musicalement proches de toi. As-tu déjà collaboré avec des rappeurs dans un autre style que le tien ? Cette rencontre, bien amenée, pourrait amener quelque chose d’intéressant…
Le quartier, c’est ma matière première : j’y suis encore souvent. Je fais beaucoup d’accompagnement scénique avec des artistes plus ou moins « ghetto ». Je suis souvent avec eux pour les orienter, leurs donner des conseils, parler de leur démarche artistique et leur permettre d’arriver au bout. J’aurai très bien pu faire un morceau avec Shone des Ghetto Fab, Sazamyzy, Hype, Mala, L.I.M ; ce sont juste mes gars…
Cela aurait eu peut-être plus d’impact…
Peut-être mais sauf que lorsque tu crées tu n’es pas dans le calcul. J’ai besoin de cohérence, notamment sur cet album. J’ai tellement fait de choses dans ma carrière que les gens ont besoin de mieux me cerner. Et puis, t’as pas envie que ton père s’habille comme toi. Que ceux qui aiment la trap en fassent. J’y vois de l’intérêt mais chacun son délire.
Peut-être que l’on te reproche d’être trop lisse ? Pas assez spontané ?
Attention il ne faut pas confondre spontanéité et bêtise ! Je suis hyper spontané. Simplement, j’ai toujours voulu donner une valeur à ma création. Je fais une musique qui s’écoute avec le ventre mais c’est vrai que je ne choisis pas la facilité. J’ai toujours soigné le fond et la forme. Je n’ai jamais baissé mon froc !
En quittant la Cliqua, tu aurais pu profiter de la notoriété du groupe, tes origines et revendiquer ton quartier….
Oui mais je considère que j’ai un rôle à jouer en tant que Noir, africain et venant des quartiers. Mon rôle est défendre la culture des quartiers, en particulier le rap, a une valeur. L’intelligence est une valeur. Je porte les valeurs de ma famille : le travail, la rigueur, l’amour de la langue, l’humour, le recul. Je porte mes valeurs béninoises, la reconnaissance des anciens, des ancêtres. Je ne connais pas un parent ou grand parent africain qui n’aie pas l’amour des lettres et de la francophonie. Ma langue c’est mon butin de guerre. J’ai toujours travaillé dans ce sens : montrer notre valeur intellectuelle et artistique. Je sais que lorsque ma mère, mon père, mes oncles, mes cousins, écoutent ma musique ils sont fiers.
Propos recueillis par Sindanu Kasongo
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