Rencontre avec le producteur rémois et fondateur du label Partyfine, à l’occasion de la sortie de « Nous Horizon ». En concert le 12 avril à la Cigale.
Sept ans après son dernier album, Yuksek revient sur le devant de la scène avec un ouvrage collaboratif. Entre temps, il a fondé son label PartyFine, composé des bandes originales de films et produit bon nombre d’artistes français. Définitivement plus détendu que ses ouvrages précédents, Nous Horizon est un album solaire qui respire la soul music et la Californie. Et une fois n’est pas coutume, le producteur rémois choisit d’ouvrir les portes de son studio pour accueillir de nombreux featurings dont le duo electro-pop Juveniles, la soul music de Her, la chanteuse grecque Monika, Roman Rappak (membre de Breton) ou encore le songwriter indé Kim Giani. Impossible de ne pas onduler sur ces 13 pistes qui vous apporteront fatalement le bonheur !
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Sept années se sont écoulées entre Living On The Edge Of time et ton troisième album Nous Horizon. Pourquoi ?
Yuksek – Pour mon second album, j’ai joué tout seul, écrit tout seul, produit tout seul, mixé seul, bref un truc presque complètement autiste. Sorti de cette aventure-là, j’ai eu l’impression d’être allé au bout du concept de travailler seul. J’ai donc eu envie de faire des choses avec des gens. Et tout ce que j’ai sorti depuis ces dernières années, ce sont des projets que j’avais envie de faire depuis longtemps. Mais à l’époque je n’avais ni le courage, ni les connexions pour ça.
Parmi tes projets collaboratifs, il y a notamment la création de ton label Partyfine ?
Le label Partyfine, j’en avais envie depuis longtemps. J’ai toujours fait de la production, notamment pour Birdy Nam Nam ou les Bewitched Hands, mais j’ai eu une vraie rencontre avec Jean-Sylvain des Juveniles et d’ailleurs on travaille beaucoup ensemble depuis. En effet, pour le premier disque de Juveniles, on a passé plus de deux mois tous les jours ensemble, à bosser et même écrire des morceaux. Bref, on s‘est tellement investi que c’était déprimant de les voir partir avec les masters et que ça s’arrête là… Et comme dans le même temps j’avais rencontré de chouettes personnes comme les Get A Room!, je me suis dit, il est temps de faire ce label.
Tu as aussi signé des bandes originales de films ?
Les musiques de film, c’est pareil, c’est un truc que j’avais envie de faire depuis longtemps. J’en ai produit une première en Italie, ou plutôt la moitié d’une B.O. d’un long métrage un peu sombre, Senza Nessuna Pieta [présenté à la Mostra de Venise en 2014]. Puis après j’ai fait celle du film de Valérie Donzelli, le dernier : Marguerite et Julien [en compétition au festival de Cannes 2015]. Je me suis retrouvé à diriger un orchestre symphonique de 60 musiciens, ce qui est assez dingo et inédit… même si j’ai une formation classique à la base. J’ai fait du piano au conservatoire de Reims pendant 10 ans. Et puis j’ai fait aussi la musique d’un téléfilm pour Arte, une pièce d’Ingmar Bergman adaptée pour le petit écran avec Sophie Marceau [Une histoire d’âme].
Tu avais une grosse pression pour ce troisième disque ? des attentes particulières ?
Je n’avais pas d’autre pression que celle que je me mettais tout seul. J’attendais que l’envie revienne, parce que du temps j’en ai quand même. Mais je ne le sentais pas. Quand j’essayais, ça ne venait pas.
Et puis aujourd’hui tu disparais quand même assez vite du paysage. Donc quelque part, je me disais : il va bien falloir qu’un de ces quatre, je fasse un disque parce que 7 ans c’est juste une éternité, c’est improbable. Il n’y a que Daft Punk qui se permettent de faire un truc comme ça.
Comment tu t’y es pris pour te remettre au boulot ?
En fait, je bosse tout le temps. Je suis tous les jours au studio. Et dans une même journée, j’aime bien varier les plaisirs, faire des breaks, pour prendre du recul. Du coup, je me mets devant un synthé ou une machine, j’appuie sur le bouton Record et je bricole des trucs pendant une heure. Donc j’ai accumulé plein de matière et de motifs disparates, que je rouvre par moments. Et c’est vraiment un des procédés que je préfère dans ma façon de composer de la musique, cette sorte de puzzle. Je fais du bricolage, plus que de la musique. Et clairement et je le revendique.
Pour ce nouveau disque, tu adoptes un angle positif, dansant et lumineux. Un contre-pied à la morne actualité ?
Complètement ! Mais à un moment il faut savoir où est sa place. En tant qu’artiste, on se fantasme un peu. En tout cas moi clairement ce que je sais faire, c’est ce genre de trucs-là : de la musique pop au sens large. Mise à part mes ouvrages pour les films, mais c’est tout autre chose. Mon rôle c’est plutôt de composer une musique assez dansante et assez facile, cool, qui prend pas la tête, je ne pars pas dans de folles introspections.
Une publication partagée par YUKSEK (@yuksek_partyfine) le 8 Mars 2017 à 11h16 PST
Tout a été enregistré à domicile, dans ton studio rémois ?
Oui, et c’est une chance énorme car c’est un studio gigantesque. Ça fait 15 ans que j’achète du matériel et que je collectionne les synthés vintage. Donc j’adore cet endroit. Il me manque juste une baie vitrée pour être aux anges car je n’y ai pas de fenêtre.
La seconde nouveauté, c’est que tu n’es pas tout seul, c’est un projet collectif. Autant sur scène qu’en studio…
Oui, on a passé du temps en studio ensemble. Les morceaux ont vraiment évolué avec les musiciens. Il y en a même qui ont même été composés avec eux, comme Complicated des Her. Au fond c’est presque Victor et Simon qui l’ont plus écrit que moi. Et c’est le seul morceau d’ailleurs où je ne chante pas du tout !
D’où ce titre de l’album : Nous Horizon ?
Ce titre est à comprendre dans tous les sens. Le Nous englobe tous les gens qui l’écoutent et aussi ceux qui l’ont fait. Un projet collectif au sens large. Et il y a aussi cette bouffée d’air, comme tu dis avec l’actualité.
Il y a un thème assez récurrent, peut-être involontaire, mais c’est cette nostalgie sous-jacente… ce Golden Age qui est aussi le titre d’une des chansons, n’est-ce pas?
Golden Age, je pense que c’est la chanson où il y a le moins de paroles, mais pour moi c’est le morceau qui a le plus de sens. Les paroles sont ironiques : c’est un mec qui se plaint, “L’âge d’or, où es-tu passé ?” Je m’y moque aussi de moi-même : j’ai 39 balais, et je commence à dire que c’était mieux avant. Mais bon sans être nostalgique ou vieux con, c’est quand même chaud ce qu’on vit en ce moment, les attentats, Trump… Il y a deux ans, un film de science-fiction nous aurait prédit tout cela, on se serait tous marré !
En tant que producteur de musique électronique, comment conçois-tu l’écriture des paroles ?
Les textes ne m’intéressent pas trop, pour moi la voix est un instrument comme un autre. Et c’est pour cela que je n’aurais jamais l’outrecuidance de faire de la musique en français, car j’ai tellement de respect pour la chanson française et les gens qui savent en faire, et pour la littérature…. Donc là mon but c’est juste de trouver des mélodies de voix et ensuite de m’amuser avec les mots et de leur trouver un sens.
Sur We Love / Nous Horizon et Keep Looking into my eyes, on sent un petit côté citadin, beaucoup plus industriel… que les baba cools Sunrise ou I don’t Care.
Ce sont différentes humeurs que j’aime bien, et je n’avais pas envie de faire un album trop monolithique.
On entrevoie même un petit côté LCD Soundsystem…
Oui complètement à fond, c’est mon groupe préféré. James Murphy pour moi c’est Jésus !
Le duo Her collabore sur deux titres : Sweet Addiction et Complicated, tu peux nous raconter la connexion ?
La connexion s’est faite par leur ville Rennes, et aussi une ancienne collab’ entre Juveniles et Victor [chanteur de Her] qui chantait sur un chœur de Truth. Et plus tard, j’ai entendu HER tape #1, et j’ai trouvé ça super. C’est un peu l’état d’esprit que j’avais envie de mettre dans mon disque. Ce truc un peu plus soul et je sentais que le duo avait un potentiel à aller plus loin que sur leur mixtape, qui est vachement bien mais très jungle finalement. Et Victor s’est lâché sur les deux titres de mon disque, car c’est un gros fan de Motown.
Et la rencontre avec Monika, qui intervient sur Break My Heart et Make it Easy ?
Pour mon disque, je voulais une voix de femme avec une couleur particulière. L’instrumental étant assez sucré comme ça, je voulais éviter les trucs à la mode, trop sensuels, avec trop d’émotion, trop d’auto-tune, bref trop de tout. Il me fallait un timbre sincère et naturel. Et c’est ce qu’elle est Monika : une voix androgyne, un peu à côté mais maîtrisée et très 70’s. C’est la seule que je ne connaissais pas à la base. J’avais juste écouté son album Secret in the Dark que je trouvais super.
En France, on l’a découvert aux Trans Musicales de Rennes en 2014…
Il faut savoir que c’est une newcomer à l’internationale mais une super star en Grèce. On s’est vu à LA., je lui ai fait écouter des trucs, ça la branchait. Et puis chanter sur la musique des autres, elle n’avait jamais fait ça. On a fait des sessions d’enregistrement à Paris et à Reims. Elle a même écrit les paroles de Make It Easy au final. Ce sont donc bien plus que des « featurings« . D’ailleurs je déteste ce terme, même si on est obligé d’utiliser la terminologie au final.
Sur le refrain de Sunrise, on reconnait la voix de Kim Giani, un vieil ami à toi ?
J’adore ce mec ! Ce sont des profils qui n’existent plus vraiment dans la musique. Un type complètement indé, à 100% ! Qui a fait 40 disques, un tous les 6 mois et qui n’est plus à sa juste place dans le paysage et la presse aujourd’hui. Je suis beaucoup plus intéressé par des mecs comme Kim que par la moitié de ceux qui sont dans « ma scène« , pour être clair. On n’a pas de posture par rapport à ce qu’on est et on en est conscient.
Comment s’est goupillée la création de Live Alone et son clip filmé par l’astronaute Thomas Pesquet ?
En fait ce morceau a trois ans et remonte à ma rencontre avec Roman Rappak de Breton. Puis, l’astronaute Thomas Pesquet, qui est un ami, est parti avec mon album dans l’espace [en novembre 2016]. Et il m’a dit, parfait si je fais des vidéos à l’occasion, je tourne ton clip. Thomas était très motivé. Le réalisateur (qui est le même que Sunrise) Jérôme de Gerlache l’a aidé et lui a demandé certains plans. On a eu un super accueil à sa sortie ! En fait, je me rends compte que je suis assez fataliste et ça rejoint aussi ma théorie du puzzle : tout ça n’était pas prémédité, c’est une histoire d’être là au bon endroit et au bon moment… tant pour le morceau que pour le clip !
Qu’est ce qui a changé dans ta manière de bosser finalement en sept ans ?
Je suis plus détendu aujourd’hui. Avant, je rajoutais toujours des trucs, des couches à complexifier. Et là, mon travail sur la fin du disque, ça a été justement de simplifier, de virer tout ce qu’il y avait de trop, les passages alambiqués. Venant de la musique classique, j’ai toujours eu ce complexe de me dire, il faut que je trouve des assemblements d’accords… Et puis en fait, je n’en ai rien à foutre.
Album Nous Horizon (Barclay), disponible sur Apple Music
En concert le 6 avril en DJ set à l’UBU (Rennes), 12 avril à la Cigale (Paris), le 22 avril au Festival du Printemps de Bourges, le 23 juin au festival Rock in Evreux et le 3 juillet à Montélimar au Stade Tropenas.
{"type":"Banniere-Basse"}