Le californien sort cette semaine “Freedom’s Goblin”, un nouvel album en forme de manifeste d’émancipation musicale et artistique. Rencontre avec celui qui a redéfini les canons du rock pour mieux pouvoir s’en libérer.
Ça doit être le petit matin à Los Angeles, puisque le soleil commence à se coucher à Paris. Ty Segall, à l’autre bout du fil, semble tripatouiller des trucs tandis que Fanny, son chien, le même que dans Fanny Dog, la chanson d’ouverture de Freedom’s Goblin, aboie sans trop savoir pourquoi. “En fait t’as raison, FaceTime c’est mieux qu’un coup de téléphone normal pour les interviews”, s’émerveille-t-il, alors qu’on est sur le point de discuter de son nouvel album. Peut-être le dernier avant un moment, si l’on en croit la suite de la conversation. On vous parlait d’ailleurs de ce disque ici en début d’année, rencontre avec l’homme qui ira un jour plus loin que Frank Zappa et les Residents réunis.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
====>>> A (re)lire : notre critique de Freedom’s Goblin, le nouvel album de Ty Segall.
Entre les EP’s, les singles, les albums et les side-projects, tu en es à plusieurs sorties par an. Tu arrives à garder la même excitation qu’à tes débuts à l’idée de présenter un nouveau projet au public ?
Ty Segall – Hum… Je reste incroyablement excité, oui. A chaque fois, tu sais. Heureusement d’ailleurs ; si ce n’était pas le cas, je pense que ça voudrait dire que quelque chose ne tourne pas rond. Je ne sors pas de la musique juste parce qu’il faut le faire. Donc oui, je reste définitivement excité. J’ai toujours l’espoir que les gens vont aimer le nouveau disque comme ils ont attendu et aimé les précédents.
Justement, tu penses que le public tient aussi bien le rythme que toi ? Qu’il garde le même genre d’excitation ?
Je ne sais pas. Je veux dire, j’espère que oui. Ça serait cool en tout cas.
Freedom’s Goblin a été enregistré dans plusieurs studios entre Los Angeles, Memphis et Chicago, aux côtés de différents producteurs, dont Steve Albini, avec qui tu avais travaillé sur l’album précédent. Une méthode de travail assez inhabituelle chez toi.
J’adore faire des sessions d’enregistrement avec des gens différents, je fais ça tout le temps. Mais c’est la première fois que j’ai l’idée de travailler comme ça pour un album. En gros, l’idée c’était d’enregistrer de la musique dans le plus d’endroits différents possible et de rassembler le résultat de toutes ces sessions sur un seul et même album. Cette fois, je me suis retrouvé avec plus de matière que sur n’importe quel autre de mes disques. C’est un processus qui aurait pu être sans fin, mais il fallait bien mettre un terme à tout ça et faire ce disque. C’était fascinant.
Au niveau du son, j’ai la sensation que Steve Albini a une influence grandissante sur ta musique. C’est quelque chose de récent ou ça remonte à plus loin ?
Steve est une influence pour moi depuis que je suis jeune, tu sais. Il l’a toujours été. Musicalement, mais aussi en tant qu’ingénieur du son. Que ce soit avec Big Black ou Shellac… Même si je travaille avec lui depuis peu, il est une influence pour moi depuis des années.
Depuis ton album Manipulator, en 2014, chaque nouvel album sur lequel tu travailles semble être plus ambitieux que le précédent. Comme si tu cherchais constamment à sortir de ta zone de confort.
C’est génial, mec. Je veux dire, c’est à chaque fois pour moi un but à atteindre.
Avec des disques comme Manipulator (2014) et Emotional Mugger (2016), tu créais à chaque fois une sorte d’alter ego, un persona. Depuis Ty Segall (2017), tu sembles moins t’intéresser à cet aspect conceptuel.
Je crois que Emotional Mugger était davantage une pièce complètement conceptuelle sortie de l’imagination d’un groupe qui devait avant toute chose livrer une performance live. Manipulator, c’est pareil en quelque sorte. Après, il y a toujours un concept, tu sais. Mais clairement, l’image sur Freedom’s Goblin n’est pas la chose la plus importante. La musique reste toujours l’élément central.
“Freedom’s Goblin est peut-être mon album qui représente au mieux la combinaison de ce qu’on appelle le rock et cet ailleurs vers où je veux aller”
Avec Freedom’s Goblin, tu vas beaucoup plus loin musicalement. Il y a quelques références à la pop britannique (Cry Cry Cry), des cuivres (Fanny Dog), des digressions free au saxo (Talkin 3), des moments beaucoup plus progressifs (And, Goodnight)…
Le rock et la pop music doivent aller de l’avant. J’ai envie de m’éloigner de plus en plus du rock au sens strict du terme. Je pense que je m’en suis lassé. Dans le futur, je veux aller vers quelque chose qui n’est plus du rock et qu’on ne pourra plus appeler comme ça. Pendant un temps, en tout cas. Freedom’s Goblin est peut-être mon album qui représente au mieux la combinaison de ce qu’on appelle le rock et cet ailleurs vers où je veux aller. J’aimerais pouvoir faire tous les albums possible. Je voudrais avoir assez d’années devant moi pour essayer quelques nouveaux trucs encore (il rigole).
https://www.youtube.com/watch?v=WsqhfDTjoM0
Sur tes derniers albums, tu reprends tes propres chansons, tu les tritures, les fais prendre une nouvelle envergure. Comme ici avec cette troisième déclinaison de Talkin (Talkin 3), ou encore cette version progressive de Sleeper (And, Goodnight).
Il existe une infinité d’idées et une infinité de façon de les mettre en pratique. J’ai envie de faire autant de versions de Talkin que possible, parce que je n’arrive pas à me rappeler d’un groupe qui aurait fait un tel truc auparavant : mettre la même chanson sur cinq albums de rang, mais à chaque fois remodelée et jouée complètement différemment. L’idée est de t’approprier ce que tu fais et de le dépasser. Si tu assumes ça, alors le fait de réinterpréter quelque chose devient cool et respectueux.
Cette voie d’exploration artistique constante t’oblige-t-elle à changer ta façon de vivre ? Tu pourrais partir de Los Angeles un temps et aller encore plus loin dans ton processus d’exploration musicale ?
J’ai plein de projets et tout dépendra de ces projets. J’adore la façon dont je vis, j’adore Los Angeles et j’adore travailler avec les gens avec qui je travaille. Chaque nouveau projet mérite de nouvelles idées et une nouvelle situation, c’est certain. J’aimerais beaucoup enregistrer un disque à New York, par exemple. Je n’ai jamais fait ça auparavant. J’ai même envie d’aller faire des albums en dehors des Etats-Unis, même si ça coûte un peu d’argent. Mais j’ai aussi une famille à la maison, tu sais. Je ne peux pas partir sans avoir l’idée ferme et solide que les choses vont bien se dérouler. Je ne suis plus un jeune kid de 19 ans et célibataire. Si j’avais été seul, pourquoi pas. Je pourrais partir faire des sessions d’enregistrement bizarres je ne sais où. Mais ce n’est juste pas ma vie aujourd’hui.
La dernière fois que je t’ai vu sur scène, en 2017, tu étais revenu à quelque chose de plus classique, plus urgent et moins conceptuel qu’avec les Muggers. Tu avais même repris le lead sur la guitare, alors que tu n’en jouais plus en live.
Tu sais, les Muggers, c’était un truc super conceptuel avec des moments de jam et des digressions free, mais en vrai, tout était bien calculé et méthodique. Avec le Freedom band, on va jouer de façon plus ouverte, en prenant du plaisir.
https://www.youtube.com/watch?v=LYSKe82_5Pc
Tu disais vouloir t’éloigner du rock. Tu écoutes quoi par exemple en ce moment ?
Un tas de trucs différents. J’écoute de moins en moins de rock’n’roll, c’est vrai. Mais j’écoute quelques trucs français. Comme Serge Gainsbourg, ou, comment il s’appelle… (Denée, sa femme, lui souffle le nom de Jacques Dutronc), ah oui ! Voilà, Jacques Dutronc. France Gall aussi. Mais aussi beaucoup Fela Kuti, du jazz, du black metal.
“J’ai besoin d’air et de marquer une séparation nette entre ce que j’ai fait jusqu’ici et mon prochain disque”
Tu en es où ces derniers temps, en terme de projets ?
Je bosse sur des collaborations. Je viens de finir un album collaboratif et je commence à travailler un autre projet, toujours en tant que collaborateur. Freedom’s Goblin était un projet long, intense et fastidieux. Je vais faire un break en ce qui concerne mes propres activités. J’ai besoin d’air et de marquer une séparation nette entre ce que j’ai fait jusqu’ici et mon prochain disque. Mais je ne m’arrête pas de travailler pour autant.
{"type":"Banniere-Basse"}