Sonic Youth, légende noisy, renoue avec son esprit frondeur et sa force de frappe dans un album à haute tension : le formidable uppercut sonore d’un groupe toujours pas mûr pour la retraite.
Le plaisir féroce ressenti par les membres du groupe est palpable dès Sacred Trickster, premier titre attaqué pied au plancher et chanté bave aux lèvres par une Kim Gordon possédée. D’entrée de jeu, Sonic Youth, désormais renforcé par l’ex-bassiste de Pavement, Mark Ibold, se juche sur une crête d’intensité dont il ne redescendra plus. D’une virée dans la pop à l’état sauvage (Leaky Lifeboat, What We Know) à un crochet par le hardcore le plus barbare (Calming the Snake, Poison Arrow), de l’ascension d’un volcan noisy (Anti-Orgasm) à une halte au carrefour fumant du krautrock et du rock psychédélique (Antenna), l’album prend l’allure d’un road trip mené tambour battant.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Dans un passé récent, Sonic Youth s’était parfois rendu coupable de longueurs un brin complaisantes : cette fois-ci, il ne relâche à aucun moment la bride hypertendue de son inspiration, même lorsqu’il se lance dans une sinueuse cavalcade de dix minutes (Massage the History). Pour Lee Ranaldo, ce regain de forme s’explique aisément : avec The Eternal, Sonic Youth s’en est tenu plus que jamais à ses fondamentaux. “Depuis 1981, l’alchimie interne du groupe a naturellement évolué. Mais les bases de notre engagement musical sont restées les mêmes. Quand nous commençons l’enregistrement d’un album, nous ne partons jamais d’un concept : seule la musique qui sort de nos mains nous donne la direction à suivre. On peut penser ce qu’on veut de notre carrière, mais il y a un principe que nous n’avons jamais bafoué : notre seule obsession, c’est la musique. Le reste – la célébrité, le business, l’ego de chacun – n’a aucune espèce d’importance. Aujourd’hui, on assène ces vérités-là avec d’autant plus de force que le groupe, à l’âge qu’il a, ne s’est jamais senti aussi épanoui : nous sommes dans une situation très enviable.”
De fait, peu de formations trentenaires peuvent s’enorgueillir ainsi du statut rêvé auquel Sonic Youth a accédé. Cités en référence par plusieurs générations de musiciens, les New-Yorkais n’ont jamais hypothéqué le crédit que le public exigeant de l’indie-rock lui a accordé. Flatté, Lee Ranaldo préfère pourtant rappeler que Sonic Youth est lui aussi composé de fans de musique, d’amateurs d’art éclairés toujours prêts à partager avec son public les objets de leur passion. Affichant sur sa pochette une toile du mythique guitariste John Fahey, The Eternal regorge ainsi de références et de révérences aux artistes que le groupe vénère : musiciens (le MC5, Kevin Ayers, Neu!, The Wipers…) poètes (Gregory Corso), plasticiens (Yves Klein), activistes (Uschi Obermaier, membre du mouvement d’agit-prop allemand Kommune 1)…
Une manière de dire que l’éternité se gagne aussi en s’assumant comme le maillon d’une insécable chaîne humaine. “L’une des ambitions majeures de Sonic Youth a toujours été de s’inventer une communauté : c’était déjà le cas à Manhattan au début des années 80, où nous évoluions dans un microcosme artistique très fort et soudé. Aujourd’hui, beaucoup de gens viennent nous dire que nous les avons influencés. Mais nous ne sommes pas pour autant au sommet d’une montagne, au-dessus de tout le monde. Nous nous sentons au milieu d’une société d’artistes – morts ou vivants, vieux ou jeunes – avec lesquels nous voulons sans cesse tisser des liens. Pour nous, il sera toujours plus passionnant d’évoquer tous ces gens qui nous inspirent que de parler de notre propre musique.”
Album : The Eternal (Matador/Beggars)
{"type":"Banniere-Basse"}