Oscillant entre techno dure, bass music, gabber et acid-house, Sentimental Rave – Soraya Daubron, de son vrai nom – est l’une des jeunes figures les plus frappantes de la scène électronique française. Rencontre avec une autodidacte revendiquée, porteuse d’une musique véhémente à forte teneur politique.
La côte de Sentimental Rave n’arrête pas de grimper depuis que son nom (imparable) a commencé à circuler il y a environ un an et demi. Petit signe qui ne trompe pas : elle vient tout juste de jouer deux fois au Berghain en l’espace de dix jours – excusez du peu. Dans ses mixes, déjà nombreux, comme dans ses productions, encore rares, elle joue (à fond) la carte de l’intensité plutôt que celle de la technicité, s’attachant à transmettre l’énergie contestataire propre à la rave avec une détermination sans failles. Puissante et intransigeante, sa musique cherche à chambouler les dancefloors autant qu’à ébranler les consciences. Le son du combat et le combat du son.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Quelles ont été tes premières expériences musicales comme auditrice ?
Sentimental Rave – Petite, j’écoutais beaucoup de rap français, plutôt violent. J’écoutais aussi de la pop qui passait à la radio. Je viens d’un petit village près de Bourges, où il n’y avait pas d’endroits pour sortir et découvrir de la musique. On allait s’amuser dans les fermes et dans les forêts (sourire). C’est seulement grâce au Printemps de Bourges qu’on pouvait entendre des choses qu’on ne connaissait pas. J’y ai par exemple découvert Sexy Sushi, un groupe qui m’a ouvert un nouvel horizon et m’a fait entrer dans la musique électronique.
Où et comment as-tu plongé pour de bon dans le grand bain électronique ?
A partir du moment où j’ai vécu en région parisienne. J’y suis arrivée à 17 ans et j’explorais la musique électronique en allant dans des soirées, notamment au Batofar, au Pigallion et à la Machine du Moulin rouge. J’écoutais plein de styles : techno, dub, etc. Avec ma petite bande, on essayait pas mal d’endroits différents. Petit à petit, on identifiait ceux qui nous plaisaient et on y allait tous les week-ends. Rien que le fait de sortir en club était nouveau pour moi. J’étais hyper timide, c’était comme un exutoire entre mes études et les petits boulots que je devais faire pour les financer. J’ai finalement dû arrêter mes études car je n’avais pas assez d’argent et les boulots à côté prenaient trop de place. Quand j’ai décroché de la fac, je me suis dit que j’avais vraiment intérêt à faire un truc de ma vie (sourire).
C’est à ce moment-là que tu as commencé à faire de la musique ?
Pas exactement. A cette époque, je faisais surtout de la photo. J’ai commencé à en faire vers l’âge de 13 ou 14 ans avec un appareil offert par mes parents. Je prenais tout le temps mes potes en photo, comme pour documenter notre vie. J’étais venue à Paris pour m’engager encore plus dans cette voie – j’étais étudiante en histoire de l’art et lettres à Nanterre – mais je ne me sentais pas encore prête. Dans le milieu de la photo, il y a beaucoup de concurrence, de pression : il faut avoir une grande confiance en soi et ce n’était pas mon cas…
Il y a environ quatre ans, j’ai monté avec plusieurs amies un collectif qui s’appelait Les Amours alternatives. Le but était d’organiser des soirées pour mettre en avant de jeunes artistes féminines qu’on ne voyait pas (ou pas assez) dans les clubs qu’on fréquentait. Par exemple, on a invité Alienata, Kristin Velvet, Kedr Livanskiy et Anetha, qui n’était pas aussi connue que maintenant. J’ai commencé à mixer en faisant les warm-ups de ces soirées. Ça m’a énormément plu, à la fois de jouer devant un public et de chercher de la musique. Petit à petit, j’ai été invitée à jouer, en particulier à la Station. Ce lieu a vraiment amené quelque chose de nouveau à Paris, en prenant des risques au niveau musical. A mes débuts, j’y ai joué très souvent, beaucoup de gens m’ont découverte là-bas. Je suis extrêmement reconnaissante envers les personnes de la Station.
Et quand t’es-tu mise à la production ?
Quasiment au même moment. Mixer et produire ont autant d’importance pour moi. J’avais envie de faire de la musique depuis très longtemps. Il a juste fallu du temps pour que je trouve les instruments qui me correspondent et pour que je me sente à l’aise dans une scène. J’ai cracké Ableton comme plein d’autres et j’ai commencé à bidouiller des morceaux. J’en ai mis en ligne et a priori ils ont plu. Actuellement, c’est vraiment mon moteur : je produis toute la journée ou presque, même si je publie très peu de choses. Récemment, j’ai juste sorti un remix d’un morceau de Scratch Massive. J’adore le simple fait de faire du son, de travailler les textures. J’ai l’impression de me chercher encore. Par conséquent, je veux prendre mon temps. J’ai envie de proposer un EP qui reflète au mieux qui je suis et ce que je veux faire. Ça avance et il devrait bientôt voir le jour.
Ton nom de scène fait directement référence à la rave – un univers que tu n’as pourtant pas connu a priori.
Non, pas du tout. Pour faire de la musique aujourd’hui, je me suis dit qu’il était essentiel de savoir ce qui avait pu se faire avant. J’ai découvert plein de morceaux sortis dans les années 1990 grâce à Internet et à Discogs en particulier, que j’ai utilisé de manière intensive comme une véritable encyclopédie sonore. J’ai aussi regardé des documentaires. Je voulais arriver à comprendre d’où venaient cette force et cette énergie. Il y a vraiment eu une créativité incroyable durant ces années-là. Nombreux sont les producteurs et productrices qui n’ont obtenu aucune reconnaissance. Dans mes mixes, je tiens à jouer des classiques hardcore français, c’est une façon de saluer tous ces activistes de l’ombre. Il y a eu des personnes vraiment magnifiques, comme Laurent Hô, Dj Sextoy ou Liza’n’Eliaz, qui n’a pas du tout la reconnaissance qu’elle mérite alors qu’elle est une figure essentielle de la scène française. Ceci dit, je n’idéalise pas la scène rave des années 90. Je pense que la musique actuelle est tout aussi excitante, différemment.
Quels sont les labels qui ont le plus compté dans ton apprentissage ?
PCP, Heretik et Rotterdam Records.
Et quels sont les producteurs/productrices que tu suis particulièrement aujourd’hui?
Entre autres : Low Entropy, GFOTY, Isabella, Nkisi, Xosar, Astrid Gnosis, Alobhe, Aphex Twin et The Horrorist.
Comment vis-tu la reconnaissance éclair dont tu bénéficies ?
C’est à la fois flatteur et flippant. Je ne comprends pas vraiment ce qui m’arrive et je ne suis pas sûre que je le comprendrai un jour. Je considère que j’ai eu beaucoup de chance et je me demande toujours si je suis bien à ma place. J’ai beaucoup travaillé pour arriver à proposer des sets personnels, différents des autres, et j’ai envie de travailler encore plus pour montrer que je mérite bien d’être là où je suis. Cette reconnaissance m’expose aussi à des critiques, parfois violentes et gratuites, comme j’ai pu en faire l’expérience avec ma Boiler Room. Il est évident que ma musique et mon discours politique ne vont pas plaire à tout le monde. A côté, je ne veux pas décevoir les gens qui croient en moi et me soutiennent. Parfois, j’ai l’impression d’avoir un rôle à tenir, de devoir représenter mes amies, mon entourage, certaines valeurs et idées aussi. Tout ça peut impliquer beaucoup de stress et de pression, d’autant qu’il y a une grande part de solitude dans l’activité de DJ, mais j’aime vraiment ce que je fais. Je voue une passion sans bornes à la musique, elle m’emmène totalement ailleurs.
Cherches-tu la musique que tu joues uniquement sur internet ou vas-tu aussi un peu chez les disquaires ?
Je suis très curieuse, j’essaie toujours de découvrir de nouvelles choses et pas seulement dans la sphère électronique. Je m’efforce toujours de chercher des artistes qui défendent des idées et des valeurs proches des miennes. J’essaie d’avoir une playlist diversifiée, ne présentant pas que des producteurs blancs par exemple, et j’évite de jouer les morceaux connus et listés dans tous les charts. Il y a plein de femmes productrices ou DJ talentueuses mais j’ai le sentiment qu’elles sont encore trop souvent sous-représentées. Je vais un peu chez les disquaires quand je suis à l’étranger, pas tellement à Paris. On vit entourés de musique aujourd’hui, on peut en trouver partout. Sur Internet, Bandcamp en particulier est une mine, avec des trucs incroyables, et offre une vraie alternative par rapport à l’industrie de la musique en permettant aux jeunes artistes de diffuser leur musique sans passer par un label et d’être rétribués directement. Ça crée une relation plus étroite, plus forte, entre les personnes qui font de la musique et celles qui l’écoutent.
Envisages-tu de signer avec un label ?
Il existe d’excellents labels mais aucun ne me correspond à 100 % car je ne sais pas encore exactement où je veux aller. De plus, je ne veux pas prendre le risque d’être bridée ou obligée à quoi que ce soit. J’ai aussi envie de mettre d’autres artistes en valeur et de travailler en équipe avec des gens sur la même longueur d’ondes que moi. Pour le moment, j’envisage donc plutôt de monter mon label – mais dans un futur encore lointain (sourire). Je ne veux rien précipiter. J’ai besoin de me sentir parfaitement prête, en ayant les moyens nécessaires à ma disposition. Je tiens d’abord à mettre en place mon live. Actuellement, c’est ma priorité.
Prochaines dates : le 8 février à Nancy (Envers Club), le 16 février à Paris (Petit Bain), le 1er mars à Brest (La Suite), le 2 mars à Chalon-sur-Saône (La Péniche), le 15 mars à Rennes (1988), le 27 mars à Paris (Rex Club), le 20 avril au Printemps de Bourges.
{"type":"Banniere-Basse"}