Après avoir assuré les premières parties de Jacob Banks, la prometteuse Londonienne s’est enfin lancée en solo dans une tournée européenne. L’occasion de la rencontrer et d’en savoir plus sur sa musique enchanteresse, qui contribue au renouveau de la scène anglaise.
“I fucking love this city ! Paris, c’est un peu la raison pour laquelle je fume des clopes.” Béret français vissé sur le haut du crâne, enfoncée dans le canapé du Pop-Up du Label, où elle donne un concert le soir de notre rencontre, Joy Crookes se roule une cigarette avec des feuilles Rizla. “Comme dans ma chanson Since I Left You, où je dis : “Our sexiest moments are lips on a Rizla””, commente-t-elle dans un sourire. Comme dans ses chansons, l’Anglaise s’exprime avec grâce et assurance, multiplie les détails et les anecdotes, nous immerge sans détour dans ses souvenirs. Un franc-parler qui parviendrait presque à nous faire douter de son âge (20 ans tout juste révolus).
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C’est avec cette même assurance, captivante et déroutante, qu’on la découvrait dans COLORS en décembre 2017. Accompagnée de son guitariste Charles J Monneraud, elle interprétait le délicieux Mother May I Sleep with Danger ?, un titre entre jazz, pop et soul, porté par sa voix envoûtante, qui possède quelque chose d’intemporel. “J’avais sorti quelques morceaux avant ça, mais clairement… tout le monde s’en foutait ! », lance-t-elle en riant. « Ce passage chez COLORS, ça a tout changé.”
Cheveux noués en une délicate tresse, elle y portait un T-shirt à l’effigie de Frida Kahlo dont le design évoquait le corset arboré par la peintre mexicaine dans son autoportrait La Colonne brisée. “C’est la première femme célèbre à laquelle je me suis identifiée, physiquement et culturellement », rebondit notre artiste. « Parce que les fondamentaux de sa vie ressemblent beaucoup au mien : elle était mexicano-allemande (soit un mélange aussi étrange que le mien), issue de deux religions différentes, de deux cultures différentes… C’est elle qui m’a encouragé à me dire : « Fuck this, je n’ai pas besoin de faire semblant d’être autre chose que moi-même”. »
Éclectisme et franchise
Née d’un père irlandais et d’une mère bengladaise, Joy Crookes grandit dans le Sud de Londres en écoutant d’une oreille les albums de Gregory Isaac, Nusrat Fateh Ali Khan, The Clash et Nirvana, et de l’autre, les tubes hip-hop et R & B qui passent alors en boucle sur MTV. De ses parents, elle dit avoir gardé ce grand éclectisme (préférant décrire la musique qu’elle façonne aujourd’hui comme “alternative”) et une grande honnêteté.
“Les Irlandais et les Bengladais sont des gens très honnêtes, analyse-t-elle. Ça a donc forcément eu un impact sur ma personne, et par extension, sur ma musique.” Et bien qu’aucun membre de sa famille n’ait jamais eu un pied dans la musique, c’est par le biais de son cousin qu’elle se met à chanter :
“Un jour, vers mes 12 ans, je lui ai piqué sa guitare et j’ai commencé à apprendre à en jouer. J’essayais aussi d’apprendre à jouer du piano, en regardant des vidéos d’Alicia Keys… petit à petit, ça m’a donné envie d’écrire mes propres chansons.”
L’indépendance au premier plan
Les choses commencent à prendre de l’ampleur l’année de ses 15 ans, lorsque sa reprise du morceau Hit the Road Jack de Ray Charles, partagée sur sa chaîne YouTube, est repérée par une compagnie de management. “Je me suis dit que ça pouvait devenir sérieux”, rembobine-t-elle. Elle décide alors de quitter l’école, se prend un job alimentaire dans un restaurant polonais le jour, peaufine ses textes la nuit. Et bientôt, fait la découverte dans son quartier d’un petit studio équipé d’un piano, dont le propriétaire (“Nick, qui est aujourd’hui comme mon oncle”) finit par lui laisser les clés. “Ce n’était même pas vraiment un studio… plus un genre de container dans un boxpark”, précise l’intéressée. Et d’ajouter :
“C’est dans ce semblant de studio que j’ai écrit Mother May I Sleep With Danger ?, qui comme je le disais, a vraiment marqué le point de départ de ma carrière avec COLORS. Un peu plus tard, j’ai écrit Power, Bad Feeling et Sinatra dans un stage d’écriture. New Manhattan, lui, a été écrit dans un studio… tout s’est peu professionnalisé. Mais je repense souvent à cet endroit, à ce boxpark. Parce que c’est là que j’ai énormément appris, commencé à devenir adulte, à prendre soin de moi, à m’ouvrir aux autres. Et à développer un goût pour le féminisme.”
L’idée d’être une femme indépendante est inhérente à la musique de Joy Crookes. Elle habite ses deux premiers EPs Influence et Reminiscence (sortis de façon indépendante en 2018) avec des titres comme Power ou Man’s World, sur lequel résonnait un extrait du documentaire All by Myself : The Eartha Kitt Story (1982), où Eartha Kitt affirme l’idée de ne jamais se compromettre par amour pour un homme.
On le retrouvait de plus belle sur son troisième EP Reminisence, sorti par le géant Sony en début d’année, chez qui elle est désormais signée. Un projet de cinq titres envoûtant, qui précisait un peu plus les contours de son univers à la fois puissant et délicat, introspectif et féminin. “Des choses que je vais continuer à approfondir sur mon premier album”, promet-elle. Vivement.
L’EP Reminiscence de Joy Crookes est disponible sur Apple iTunes.
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