A l’occasion du lancement de l’Année des arts du cirque par le Ministère de la Culture, le Centre des arts du cirque de Basse-Normandie présente un projet itinérant, Les Baraques durant tout le mois de juillet, de Cherbourg à Caen en passant à Alençon. Rencontre avec Jean Vinet, son directeur.
Qu’attends-tu de cette Année des arts du cirque, lancée par le ministère de la culture ?
Ça ne peut que faire du bien à un secteur tellement peu aidé ! Cela va permettre de montrer la complexité et la difficulté du chantier en cours. Historiquement, cela témoigne du volontarisme de l’Etat en la matière, déjà lors de la création du CNAC ? Centre National des Arts du Cirque en 1986. Enfin, c’est une question de reconnaissance. Le festival qui se déroule ces jours-ci à Malakoff, L’art de la jongle, n’aurait jamais pu se produire il y a seulement cinq ans. Pour toutes les formes émergentes qui empruntent au cirque, c’est une vraie chance car on ne peut que constater la frilosité des diffuseurs. On se demande si c’est par méconnaissance ou par manque d’appétit
Certains font d’ailleurs le parallèle avec la danse contemporaine (que le Ministère de la culture, à l’époque de Jack Lang, a volontairement mise en avant et structurée à travers la création des Centres Chorégraphiques Nationaux, NDLR), sauf qu’il y avait des figures fortes aux Etats-Unis qui formaient des chorégraphes français et drainaient un sentiment et une énergie très forts. Ici, le cirque a créé de lui-même un nouveau cirque et ce sont les autres pays qui ont suivi la France.
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Depuis quand le Centre des arts du cirque de Basse-Normandie existe-t-il ?
Il a été créé en septembre 2000. Je l’ai ouvert avec un projet de compagnie, Le Cirque du docteur Paradis, implanté dans la région de Cherbourg depuis vingt ans et qui est en résidence au Centre pour trois ans. Les tutelles ne voulaient pas qu’une compagnie gère un lieu de création et elles ont cherché quelqu’un qui élargisse le projet à d’autres compagnies. Il est vrai qu’en terme de création, le cirque est encore une forme émergente. Il a besoin de locaux, de structures, de moyens ; il a également besoin de susciter des jeunes créateurs, d’aider des équipes à définir leur parcours artistique et de les confronter à d’autres domaines artistiques. Ce qui m intéresse et ce sur quoi est basé le projet de ce Centre, c’est le métissage des cultures. C’est ce métissage qui peut véritablement apporter un éclairage artistique dans la danse, au théâtre, au cinéma. Or, on trouve très peu d’opportunités de métissage dans les lieux institutionnels, à moins de trouver des lieux-refuges, comme Les Laboratoires d’Aubervilliers, créés par François Verret. Le cirque a une spécificité : ses possibilités d’utilisation de l’espace et du temps. Mais il faut des opportunités pour voir le cirque à ce niveau-là ; je pense au travail des chorégraphes Josef Nadj ou François Verret. Si l’on se contente de confiner le cirque à un numéro de jonglage sur une scène de théâtre bof !
Justement, n’est-ce pas ce type de défi que tu entends relever depuis l’ouverture du Centre de Cherbourg et à travers le projet des Baraques ?
Bien sûr, Les Baraques impliquent les artistes et le public à expérimenter d’autres types d’espaces. Et il en va de même pour les autres manifestations qui se sont déroulées cet hiver et au printemps. Il s’agit de montrer d’autres facettes de création au cirque : on a commencé avec l’image et la science. L’image, qu’elle soit numérique, vidéo, en 16 ou en 35 mm, est constituante de la réflexion globale que l’on peut avoir sur un type de représentation tel que le cirque. D’abord, pour sa facilité d’accès. Aujourd’hui, les gens manipulent l’image vidéo ou numérique de la même façon qu’on prenait des photos il y a quelques années. Au cirque, l’image pose la question du regard qu’on a sur les choses et sur l’artiste de cirque. Dans un grand chapiteau, le regard est dans une position stéréotypée ; en fait, on ne voit rien, ne serait-ce qu’à cause de l’éloignement entre les gradins et la piste. La vidéo donne une troisième dimension ; or, par le rapport à l’être qu’elle met en avant, cette tridimensionnalité est source d’humanité. Elle met en échec un vieux principe du cirque : ce regard en miroir de soi que l’on pose sur l’artiste de cirque et qui correspond au stade du miroir tel que le décrit Lacan : l’illusion d’un être total. C’est ça que le spectateur va chercher au cirque : une représentation sublimée de lui-même. Le passage de l’état de l’artiste, en tant qu’être humain, à la mécanique infaillible du circassien produit à coup sûr cet effet. La vidéo casse ce phénomène : on reste dans un espace dramatique et artistique qui donne une autre perspective au regard du spectateur. Ma mission consiste à travailler avec les artistes et les publics sur un projet de recherche commun qui va dépasser la vision stéréotypée du cirque et va parler à chacun, singulièrement.
Il s’agit de conjuguer des enjeux, à priori distincts, pour nourrir et élargir la réflexion et la création ?
Oui, quand on organise un temps public autour du cirque et des sciences comme on vient de le faire, c’est pour affirmer que le domaine de la recherche fondamentale et celui de la recherche artistique ont quelque chose à voir ensemble dans la compréhension commune du monde. Pour cette manifestation, j’ai voulu proposer une résidence à quelques artistes, dont Kitsou Dubois, une chorégraphe qui travaille sur l’apesanteur avec des danseurs, des acrobates et la Nasa. Toutes ses recherches croisent celles des spécialistes scientifiques. J’avais également invité Francis Lestienne, un bio-mécanicien qui travaille sur l’analyse du mouvement à l’université de Caen. Plus précisément, il travaille sur l’origine du mouvement, son organisation corporelle à partir d’un processus de captation d’informations et son traitement par le cerveau. Ce genre d’expérience me permet de rebondir sur un projet que j’imagine en 2003 avec Kitsou Dubois et des acrobates.
Qu’est-ce qui a motivé le lancement du projet des Baraques ?
Plusieurs réflexions ! Quand tu es artiste, c’est l’espace de représentation qui définit ta rencontre avec le public. Si l’on prend l’exemple d’un trampoliniste, en termes de temps, il ne peut pas assurer une heure de spectacle : c’est trop ! Par contre, il peut réfléchir à une petite forme sans avoir à gérer la pression du temps. J’ai choisi huit circassiens dont je connaissais le travail (tous viennent du CNAC dont Jean Vinet a été directeur pédagogique de 1992 à 1998). Ils ont tous été passionnés par l’idée et m ont dit oui. Je leur ai proposé 80 000 F et à eux de se débrouiller.. Chacun a développé son propre projet, certains sont allés chercher de l’argent ailleurs. En fait, il faut dépasser l’idée du premier jet. C’est un choix subjectif qui motive chaque projet mais, pour chacun, j’ai remarqué l’émergence d’un langage qui leur est propre, qu’on ne voit pas ailleurs et qui peut être mis en valeur dans un petit espace. Et surtout, ils ont tous une conscience scénographique qui leur permet de réfléchir en même temps sur un dispositif et sur un contenu. Je trouve qu’aujourd’hui, le principe de la mise en scène est dépassé. On a affaire à des créateurs et j’espère que le cirque va rester ce lieu de liberté où des créateurs peuvent imaginer d’autres formes. En ce sens, Les Baraques sont un projet exemplaire où je mets en chantier ce que je rêve de voir dans dix ans.
Comment as-tu associé la ville de Cherbourg à ce projet ?
On a travaillé en proximité avec le quartier où vont s’installer Les Baraques à Cherbourg. C’est un ensemble de tours HLM, correct , avec un centre commercial et un parc, installés juste à côté d’un parking qui fait office de marché le dimanche. Les Baraques seront installées dans le parc. J’imaginais un projet qui révèle quelque chose du quartier aux gens qui y vivent : on les touche autrement quand on est chez eux. Un peu à la façon du théâtre de rue, sauf que le théâtre de rue ne fait que passer dans les villes alors que nous, on bâtit quelque chose avec eux, de façon à ce que leur paysage devienne un paysage de rencontres artistiques.
Je suis un fervent militant de changer les modes de production artistique en France. On a créé un système qui tue l’artistique ; il faut militer pour que ce système soit détourné, qu’on comprenne pourquoi on en est là. Je ne voulais pas faire de co-production mais partir sur un principe de commande, à la façon des commandes d’art contemporain. Boltanski dit cela : l’ uvre artistique est liée au principe de commande qui lui donne sa liberté. On est dans un autre rapport à l’argent. Pour Les Baraques, tous y sont arrivés en biaisant. L’un des moyens de biaiser a été d’ouvrir un atelier de construction avec des jeunes chômeurs longue durée, pris en charge par un organisme de formation qui les rémunère. Ils se retrouvent dans un processus de réinsertion professionnelle et leur travail est génial. Ils ont la foi ! Ils ont travaillé sur quelques-unes des baraques avec l’aide d’un architecte-scénographe, Jean Martin, dont l’engagement a tout de suite captivé toute l’équipe. Il a notamment travaillé sur la baraque de Mads Rosenbeck : elle évoque un parapluie avec ses languettes de bois qui s’ouvrent grâce à la force centrifuge. A travers elles, on voit Mads comme dans une image stromboscopique. Il n’était pas évident de trouver la technique qui fonctionne avec le désir de Mads. C’est là qu’on peut rappeler l’importance d’avoir ce rapport avec les matières, les métiers, l’artisanat, pour changer le regard sur l’art.
A Octeville, beaucoup d’associations se chargent d’organiser des repas et, au moment des Baraques, des femmes algériennes et turques vont préparer à manger. Ça devient leur projet. Voilà comment on peut axer une histoire sur la proximité avec un quartier. En dehors du travail artistique, on fait aussi un projet de mise en relation des gens entre eux à travers des artistes.
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