De passage à Paris, la chanteuse et productrice latino-américaine nous a accordé un moment pour discuter de son second long format, de ses collaborations avec Blood Orange ou Khalid, et de la montée en puissance des artistes hispanophones.
En 2013, Lorely Rodriguez se muait en Empress Of pour offrir Colorminutes : une compilation de vidéos au fond monochrome, qui dessinait les contours d’un univers singulier, entre dream pop et R&B alternatif, anglais et espagnol – un univers qui allait bientôt faire d’elle l’un des noms les plus prometteurs de la scène pop américaine.
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Depuis lors, cette Américaine de 28 ans, dont les parents sont originaires du Honduras, n’a cessé d’enchaîner les succès. Paru en 2015, son premier album Me, qu’elle a entièrement auto-produit, a été encensé par la critique. Le titre « Why Don’t You Come On » de DJSN, qu’elle porte de sa voix cristalline aux côtés du chanteur Khalid, s’est directement imposé dans les charts américains à sa sortie en 2017.
Au printemps 2018, son single Trust Me Baby / In Dreams a été dévoilé dans l’émission très convoitée de Zane Lowe sur Apple Music « Beats 1 », annonçant au passage l’arrivée de son deuxième album Us, disponible depuis le 19 octobre dernier. On a profité de son passage au Badaboum (Paris, 11e) pour nous entretenir plus longuement avec Empress of.
Commençons par ce que tu écoutais dans ta jeunesse, en grandissant à Los Angeles?
Empress of – Mes parents sont tous les deux originaires du Honduras, donc j’ai grandi en écoutant énormément de musiques chantées en espagnol : de la salsa, du merengue, du reggaeton aussi, avec des artistes comme Pitbull par exemple, qui était très populaire quand j’étais plus jeune… Mais comme je suis née aux États-Unis, j’ai également grandi en regardant MTV, VH1, et donc j’ai aussi été biberonnée à la pop. Avec des gens comme Britney Spears, Christina Aguilera, Mariah Carey… toutes les grandes reines de la pop américaine !
Cette double culture, on la retrouve dès 2013 sur ton premier EP Systems, où tu chantes à la fois en anglais et en espagnol. C’est important pour toi, de placer tes racines honduriennes au cœur de tes chansons ?
Disons que c’est impossible à éviter, parce que ça fait complètement partie de la personne que je suis, de mon identité. D’ailleurs, je le fais sans m’en rendre compte, de façon assez inconsciente… c’est vraiment naturel. Je crois que je crée la musique que j’ai envie d’écouter, et dans cette musique, il y a à la fois de l’anglais et de l’espagnol.
J’ai le sentiment que les artistes latino-américains sont de plus en plus nombreux à exprimer leur double culture à travers leur musique – je pense par exemple à A.CHAL, à Kali Uchis, à Cardi B – et surtout qu’ils sont aujourd’hui réellement mis en lumière au sein de l’industrie musicale américaine…
Oui c’est vrai, je le constate moi aussi. Et pas uniquement sur la scène américaine d’ailleurs. J’étais à Amsterdam il y a peu, et le morceau Taki Taki [de DJ Snake, ndlr] avec Ozuna et Cardi B passait à la radio. J Balvin [qui est natif colombien, ndlr] a également une reconnaissance internationale aujourd’hui, au même titre que Rosalía [originaire d’Espagne, ndlr], dont tout le monde parle en ce moment.
Donc je ne crois pas qu’il s’agisse uniquement de l’industrie musicale américaine finalement, mais plutôt du monde entier. Je pense que les fans, les gens qui consomment de la musique sont de plus en plus ouverts à l’idée d’avoir une musique globale, qu’ils veulent connecter avec des gens qui leur ressemblent. D’où à mon sens, le succès d’artistes comme Rosalía ou Nathy Peluso [une rappeuse originaire d’Argentine, ndlr], auxquelles les gens peuvent s’identifier.
Je pense que les réseaux sociaux ont joué un rôle important là-dedans. Et je suis ravie de constater que les gens ne se contentent plus seulement d’écouter ce qu’on leur sert à la télé ou à la radio, mais qu’ils vont eux-mêmes chercher des artistes et des musiques qui leur correspondent réellement, via Instagram notamment, qui aide vraiment à pousser les artistes aujourd’hui. Ce sont des artistes du monde entier qui bénéficient de cette ouverture : des artistes issus de la scène française, comme Christine and the Queens, de la scène asiatique aussi, avec Yaeji ou Peggy Gou… c’est un phénomène global.
En 2015, tu dévoilais Me, un premier album très introspectif, que tu as écrit en immersion au Mexique… Quel était le message que tu souhaitais délivrer avec ce disque ?
Comme il s’agissait de mon premier long format, j’avais besoin, en tant qu’artiste émergente, d’affirmer quelque chose. C’est pour ça que je l’ai entièrement écrit, produit, chanté, enregistré… c’était très important pour moi de prouver que j’étais capable de faire tout ça moi-même. L’idée aussi, c’était de créer un son singulier, qui me soit réellement propre. D’où ce titre, Me, qui exprimait l’idée que cet album est le reflet de ma personne. Ce qui contraste d’ailleurs fortement avec mon second album, Us…
Oui, ce disque est très différent sur de nombreux points. Tu as d’ailleurs décidé de collaborer avec plusieurs artistes pour le faire. Comment expliques-tu ce changement ?
Je dis toujours que je ne suis pas le genre d’artiste qui fera deux fois le même album. Et pour tout te dire, je suis en train de travailler sur le prochain et… il sera également très différent ! Les artistes qui m’inspirent le plus ne répètent jamais les mêmes choses – à moins que ce ne soit des artistes qui ont réellement inventé un son, comme Beach House par exemple, qui ont donné vie à un monde à part ; je n’attends pas d’eux qu’ils fassent un album de pop super clean et raffiné.
Avec Me, j’étais parvenue à façonner mon son, celui qui à mes yeux reflétait réellement mes idées et ma personne. Puisque j’étais parvenue à faire ça, j’étais prête à m’ouvrir et à collaborer avec d’autres personnes sans avoir peur que ces dernières viennent modifier ce son. D’où la présence de DJDS, de Jim-E Stack, avec qui j’ai produit When I’m With Him, ou encore de Dev Hynes. Ce sont tous des gens avec lesquels j’avais déjà travaillé par le passé, et en qui j’avais donc une confiance totale.
Ce qui change aussi avec ce second projet, c’est que je ne parle plus uniquement de moi ou de mes émotions personnelles : j’écris aussi sur d’autres gens, mes amis, les membres de ma famille… des personnes extérieures à moi. Sur I’ve Got Love par exemple, je parle d’un ami qui est tombé dans la dépression, en tentant de lui faire passer un message positif pour qu’il sorte de cet état.
C’est un disque au message plus universel finalement, auxquels tes fans sont du coup peut-être davantage enclins à s’identifier…
Exactement. Et ça, c’est un truc que j’ai appris avec le temps, à force de jouer les morceaux en concert : les gens prennent de ta musique ce qu’ils ont envie de prendre, et interprètent tes morceaux en fonction de leur propre histoire. Plusieurs personnes m’ont parlé de l’effet qu’un de mes morceaux avaient eu sur eux, et bien souvent, ce n’est pas du tout l’effet que j’avais prévu ! Mais je suis très heureuse de ça. De pouvoir exprimer à voix haute ce que quelqu’un ressent au fond de lui, sans vraiment le savoir. J’adore les chansons qui peuvent te faire ressentir des choses dont tu n’as pas réellement conscience.
Tu as récemment dévoilé le superbe clip de I Don’t Event Smoke Weed, la 5ème piste de Us. L’image, l’esthétique, c’est une partie importante de ton projet, non ?
Totalement, je suis très impliquée dans la direction artistique de mon projet. Parce que j’ai envie que ma musique me ressemble aussi en termes d’image, pas uniquement en termes de sonorités ou d’écriture. Pour le clip de I Don’t Event Smoke Weed par exemple, je n’avais pas envie d’embaucher un styliste qui me fasse porter les pièces les plus cool et tendance du moment ; j’avais envie d’avoir des vêtements qui me ressemblent, avec des choses que je portais quand j’étais enfant, comme les Dickies (j’en porte d’ailleurs un actuellement, tu vois !), des Nike Cortez… mais incorporés dans mon style d’aujourd’hui, mon style d’adulte.
Idem sur la pochette de l’album, pour laquelle je porte une robe datant de la fin du 18e siècle, avec un short de basket, des chaussettes montantes et une paire de Superstar d’adidas. Je cherche constamment à avoir cet équilibre entre des choses que j’ai toujours portées, et des choses plus chic.
En parallèle de tes albums, tu as également pris part aux projets d’autres artistes, dont Khalid, avec lequel tu as collaboré plusieurs fois. Qu’est-ce qui te plaît tant chez lui ?
Je trouve que c’est un artiste incroyablement talentueux, peut-être l’un des meilleurs de la scène pop actuelle. Il influence énormément de gens. On a d’abord collaboré ensemble sur le morceau « Why Don’t You Come On » de DJDS en 2017. Et puis quelque temps plus tard, il m’a envoyé un DM sur Instagram en m’expliquant qu’il était en train d’écrire un morceau dédié à sa ville natale d’El Paso au Texas, et qu’il aurait bien aimé que je l’aide à l’écrire en espagnol. Et c’est comme ça qu’est né « Suncity » !
Tu es également présente sur le dernier album de Tommy Genesis…
Oui ! J’adore Tommy, qui est clairement la meuf la plus badass que je connaisse [rires] ! C’est vrai que j’ai collaboré avec pas mal d’artistes récemment. Et ce sont tous des personnes qui m’inspirent énormément, que ce soit Khalid, Tommy Genesis, mais aussi MØ, Blood Orange, Charli XCX… certains morceaux ne sont pas encore sortis, mais ça ne saurait tarder.
En attendant, tu es actuellement au milieu d’une tournée entre les États-Unis et l’Europe, pour laquelle tu passeras prochainement par l’Angleterre et l’Irlande. À quel point la scène est-elle importante pour toi ?
Très ! La scène, c’est la cerise sur la gâteau. C’est ce qui se manifeste enfin après toutes ces heures passés en studio à écrire, à te perdre dans ton propre esprit, à mettre tout ton cœur dans un projet… c’est le moment où tout prend vie, finalement. Le moment où tu ne peux plus te cacher, ni derrière Instagram, ni derrière tes streams sur Spotify. C’est le moment où tu affrontes ton public. Et donc pour moi c’est un instant vraiment sacré, pour lequel je donne tout ce que j’ai au fond de moi.
Il y a quelques jours, j’ai joué à Cologne en Allemagne, et j’ai annoncé que j’allais interpréter des chansons en espagnol tout en sachant que personne dans la salle ne parlerait cette langue [rires]. Mais je savais malgré tout que le public allait pouvoir comprendre ce que je racontais parce que, comme on disait tout à l’heure, la musique est aujourd’hui devenu un phénomène global. Un langage abstrait, à part entière, que tu peux comprendre et ressentir. Peu importe d’où tu viens.
https://www.instagram.com/p/BuT7fxfg-Al/
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