Le bluesman suédois Bror Gunnar Jansson sort un quatrième album plus sombre, plus énervé et plus rock que jamais, inspiré par des enquêtes criminelles. Rencontre.
Le premier morceau de They Found My Body in a Bag sonne comme du blues s’échappant d’un vieux juke-joint, sur les routes du Mississippi. Bror Gunnar Jansson n’a pourtant rien d’un vétéran calé dans son rocking-chair de l’autre côté de l’Atlantique. Depuis trois albums (dont l’excellent Moan Snake Moan en 2014, et And the Great Unknown Part II en 2017), ce Suédois de 33 ans distille un blues rock précieux et gouailleur, réfractaire aux étiquettes, peuplé de personnages légendaires dignes de Sleepy Hollow. Son quatrième album en est le digne successeur, plus énervé (Stalker), plus rock (There’s a Killer on the Loose) et plus sombre que jamais. Comme le titre de l’album l’indique, la thématique criminelle est explorée en long, en large et en travers : les textes sont tous inspirés de faits réels survenus pour la plupart en Suède. Le one-man band s’est aussi étoffé. Alors qu’il avait l’habitude de jouer seul sur scène (guitare, batterie et voix), Bror Gunnar Jansson sera accompagné par le batteur Emmanuel Svensson et le bassiste Henrik Nilsson pour cette tournée – il sera notamment à l’Alhambra, à Paris, le 15 octobre.
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Le jeune Suédois de 33 ans, qui s’habille toujours comme en 1920, était de passage à Paris cette semaine. Affable, prenant le temps de choisir ses mots, il dévoile un peu plus son visage multiface, qu’il a coutume de dissimuler sur ses pochettes – cette fois-ci sous un masque gothique de sa fabrication. A l’instar des enquêteurs avec l’âme humaine, Bror Gunnar Jansson sonde profondément les abîmes de l’âme du blues. Et des ténèbres, jaillissent l’ombre et la flamme.
Quand vous êtes revenu en studio pour enregistrer ce quatrième album, aviez-vous un plan préconçu ? Vouliez-vous déjà que tous les morceaux parlent de crimes réels ?
Bror Gunnar Jansson – J’avais un plan, mais je ne l’ai pas respecté à la lettre. Quelques chansons étaient finies, d’autres encore en cours d’écriture, et j’ai écrit les paroles de certaines en studio, à Göteborg. Je savais qu’elles traiteraient de crimes réels, mais j’ignorais encore dans quelle proportion.
Dans vos précédents albums, vous aviez inventé des personnages récurrents de tueurs, comme Butch, William, Edward. Pourquoi vouliez-vous passer à la réalité ?
D’une certaine manière, c’est arrivé sans que j’y fasse attention. J’écoute beaucoup de podcasts et je regarde beaucoup de documentaires qui traitent d’affaires criminelles. C’est ce que je fais systématiquement quand je voyage, et c’est souvent comme ça que j’ai des idées de musique et que j’écris des chansons. Ces affaires se sont imbriquées à ma musique de manière naturelle. Dans cet album, il y a donc des enquêtes criminelles récentes, et de vieilles affaires. C’est un mélange d’informations et de documentaires.
Vous relatez même un événement historique sur le morceau “Det stora oväsendet”. Il s’agit d’une gigantesque et très violente chasse aux sorcières, d’une période d’hystérie collective…
Oui, ça fait référence à cette chasse aux sorcières qui a eu lieu en Suède entre 1668 et 1676. Je ne suis pas sûr de comprendre pourquoi nous l’avons appelé ainsi, Det stora oväsendet. Ça signifie “le grand tumulte”. En Suède, comme partout, il y a eu des chasses aux sorcières. Mais lors de cet événement, il y avait une police entièrement consacrée à la tâche de les traquer et de les tuer. Et ils utilisaient des méthodes très déplaisantes.
Pourquoi êtes-vous si intéressé par ces sujets ?
(Rires) Je ne sais pas ! Je pense que la mort nous concerne tous, elle nous entoure en permanence, même si personne ne veut vraiment mourir. C’est quelque chose qui est là, on doit trouver un moyen de faire avec. Beaucoup de ces affaires concernent des personnes qu’on pourrait qualifier de “mauvaises”, “diaboliques”. C’est intéressant de chercher à comprendre comment elles le sont devenues. Que s’est-il passé ? Quel est l’arrière-plan de ces crimes ?
C’est quelque chose qui vous entoure depuis que vous êtes enfant ?
J’ai toujours été intéressé par les histoires sombres. Je ne sais pas pourquoi.
Une des histoires qui vous a inspiré un morceau s’est produite dans votre rue même…
Oui, c’est dingue. Un homme armé d’un couteau s’introduisait dans les appartements dans la rue où j’habitais. C’était une période très angoissante. Les voisins se réunissaient. La police patrouillait en permanence. C’était l’année dernière, pendant que j’enregistrais. Ils ont mis un certain temps à l’attraper. J’étais enfermé. Ça a donné There’s a Killer on the Loose.
Cet album est assez différent de vos précédents : la batterie est plus présente, il sonne plus grunge, trois morceaux durent plus de huit minutes… Y voyez-vous un tournant ?
Pour moi, ce n’est pas un tournant. J’ai toujours joué beaucoup de styles de musique différents. Je n’y pense pas. Je fais juste ce que j’aime, ce que j’estime bien sonner. Parfois on dirait du blues, parfois du grunge. J’avais écrit certaines des chansons de They Found My Body in a Bag pour un groupe que j’avais, qui était plus rock, post-grunge. Au début on était que deux, le batteur et moi. On a pris un morceau de mon nom et un morceau du sien pour faire le nom du groupe, Gunnman Mangunn. C’est la raison pour laquelle certains morceaux sonnent plus grunge. Avec ce groupe, on a beaucoup répété, mais nous n’avons fait qu’un seul concert. Je voulais faire quelque chose de plus avec ces chansons. Je les ai modifiées, j’ai fait des ajouts. C’était cool.
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Écoutez-vous de la musique pendant que vous écrivez et enregistrez ? Quelle musique a influencé cet album ?
Bonne question… Je crois que j’écoute par séquences. Pendant de longs moments, je n’écoute pas de musique, sauf celle que j’écoute en live. Ecouter des CD est une activité que je ne fais que pendant certaines périodes. Pour cet album je ne suis pas sûr. L’inspiration venait vraiment plus des histoires que je racontais que de la musique que j’ai pu écouter.
Que vouliez-vous raconter avec le morceau très contemplatif et instrumental de 11 minutes qui clôt l’album, Driving through Norrland, listening to Earth ?
C’est une référence au groupe Earth, qui fait ce son sourd, lent, si reconnaissable, avec des morceaux instrumentaux. J’ai toujours adoré ce groupe. C’est aussi une représentation sonore du sentiment que procure le Norrland [région du nord de la Suède, ndlr]. C’est si vaste et vide, la nature à perte de vue. Ce sentiment de ne voir personne, de ne voir que la nature qui défile. La nature est toujours proche de vous en Suède.
Comment avez-vous conçu la pochette de l’album, ce masque effrayant ? Que signifie-t-elle ?
Je ne crois pas qu’elle ait un sens. C’est une idée que j’avais. Pendant quelques années j’ai fabriqué des masques, des costumes, des trucs, en essayant de chercher un moyen de les utiliser. On a fait cette pochette ensemble avec ma petite amie, Kristin, et le photographe Johan Rönnow. Comme tout concept artistique, il n’a pas vocation à signifier quelque chose, car il signifie plein de choses. Le voir donne un sentiment différent à chacun.
De quels groupes vous sentez-vous proches ? Quels groupes ou musiciens écoutez-vous ?
C’est si difficile quand on me demande ça. J’écoute toute sorte de musique, je ne me suis jamais préoccupé des genres. Il y a tant de grands groupes et de grands musiciens. Pour moi, ce sont beaucoup de groupes suédois. J’ai beaucoup d’amis en Suède qui sont de bons musiciens, que j’aime, et la plupart ne sont tristement pas très connus. Je vous ferai une liste*, j’ai besoin de temps.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
They Found my Body in a Bag, de Bror Gunnar Jansson (Playground Music / Les Editions Miliani)
* [Nous publions cette liste ici, in extenso] Groupes et artistes suédois : Dusty Pipe, Riddarna, Tellus Children, Musette, Daniel Ögren, Bitter and sick and die alones, Joe Davolaz, Jack Brothers, Mount Everest Trio, Bo Hansson, Jan Johansson, Anna von Hausswolff. Et les autres, d’ici et là : The Eloise Trio, Lord Executor, Fife & Drum Corps, Elephant 9, Taraf de Haidouks, Tamikrest, C.W. Stoneking, Vera Hall, Oum Kalsoum, Pops Staples, Como Mamas, Baptiste Hamon.
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