Trois ans ou presque que le groupe n’avait pas donné de nouvelles discographiques. Ce, depuis la sortie de The Suburbs, dernier essai frôlant la perfection et propulsant encore plus loin dans l’histoire la formation emmenée par le couple Win Butler/Régine Chassagne. Trois années que le groupe a passées d’abord en tournée (c’est le business), puis loin du […]
Avec « Reflektor », son quatrième album, Arcade Fire fait le grand écart entre le dancefloor et le précipice. Un disque étonnant qu’évoquaient le chanteur Win Butler et le batteur Jeremy Gara.
Trois ans ou presque que le groupe n’avait pas donné de nouvelles discographiques. Ce, depuis la sortie de The Suburbs, dernier essai frôlant la perfection et propulsant encore plus loin dans l’histoire la formation emmenée par le couple Win Butler/Régine Chassagne.
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Trois années que le groupe a passées d’abord en tournée (c’est le business), puis loin du monde, planqué dans sa base montréalaise – mais aussi un peu à Haïti et en Jamaïque. Trois années pendant lesquelles le groupe a poli sa musique, lui a donné de nouvelles orientations, au contact de types aussi divers que Chris Blackwell (l’ancien patron du label Island, celui de Bob Marley et de U2) ou encore James Murphy (la tête pensante de LCD Soundsystem).
Dans l’intervalle aussi, et c’est peut-être le plus important pour eux en cette année 2013, Butler et Chassagne ont donné naissance à un garçon le 21 avril dernier. Félicitations.
Un peu de batterie et d’espace, des rythmes afro-caribéens
Le groupe avait donné un concert secret en décembre 2012 au studio Breakglass, lieu bien connu de la scène montréalaise (Patrick Watson et Malajube y ont enregistré des disques). Le groupe, qui jouait là pour la première fois les morceaux de son album à venir – sous le nom de The Identiks –, avait ajouté un truc à sa musique, tout le monde était formel.
Un peu de batterie et d’espace pour commencer (peut-être l’influence du copain James Murphy à la production) mais aussi, curiosité, des rythmes afro-caribéens. Certains commentateurs parlaient de l’Ethiopie, d’autres de la Jamaïque : autant dire que le spectre était assez large.
Séparés en deux disques distincts pour un même essai, les morceaux d’Arcade Fire ont gagné en longueur et en beat (le batteur Jeremy Gara doit avoir des bras bien musclés). Peu de titres sous les cinq minutes : l’époque n’est plus au format pop, c’est désormais une certitude.
Quant aux fameux rythmes afro-caribéens, c’est un peu moins évident à première vue, mais l’esprit est complètement là. On trouve sur chaque morceau de Reflektor un groove et une souplesse que le groupe a débusqués loin de l’Occident.
« Même si ces sessions étaient passionnantes, on sentait tous qu’il manquait quelque chose à ces nouveaux morceaux” Jeremy Gara
“Au départ, nous avons commencé à bosser sur les titres à Montréal. Win et Régine avaient écrit beaucoup de squelettes de chansons sur lesquels nous avons commencé à travailler sous forme de jam sessions. On a pris énormément de plaisir lors de ces séances, on laissait la bande tourner, on sortait des formats, on dépassait. Pourtant, même si ces sessions étaient passionnantes, on sentait tous qu’il manquait quelque chose à ces nouveaux morceaux”, explique Jeremy Gara.
« J’ai senti que tout le monde avait envie de progresser »
Pour se donner de nouvelles directions, le groupe passe de vieux vinyles lors des pauses. Win Butler : “J’apportais sans cesse des disques qu’on ne connaissait pas, du disco, de la musique cubaine, haïtienne, des trucs vaudous même. Le groupe était très curieux, tout le monde écoutait ça avec beaucoup d’implication. Ces moments-là ont été très importants. J’ai senti que tout le monde avait envie de progresser, d’aller plus loin, d’atteindre de nouveaux objectifs.”
En juin 2012, Butler et Chassagne décident d’emmener le groupe en Jamaïque. Win Butler : “Nous sommes restés là-bas pendant presque un mois et nous avons loué une sorte de château qui avait été construit à la fin des années 1970 par une Allemande excentrique. Ce château ressemblait à celui de Disneyland, pour résumer. Dingue. »
« Au départ, nous voulions faire de la musique à Haïti : Régine et moi avons passé beaucoup de temps là-bas ces dernières années, mais c’est compliqué de trouver des studios – l’île a tellement souffert que la musique n’est pas toujours une priorité, et on peut aisément le comprendre. Voilà pourquoi nous avons pris la direction de la Jamaïque. Sur place, nous avons rencontré Chris Blackwell, avec qui nous avons passé pas mal de temps. »
« Nous avions une soixantaine de titres en arrivant, et nous avons passé notre temps à écrémer, à refaire » Win Butler
« Un type incroyable, qui nous a donné plein de conseils précieux, qui nous a fait partager son expérience. Nous avons travaillé énormément dans ce château, tous les arrangements des chansons ont été mis au point dans cet endroit surréaliste. Nous avions une soixantaine de titres en arrivant, et nous avons passé notre temps à écrémer, à refaire. Je me souviens d’un soir où nous étions en train de bosser sur Reflektor. On avait du mal à trouver le tempo, on était paumés. On jouait le morceau, on le rejouait. »
« Puis, tout à coup, nous avons vu débarquer les types qui s’occupaient de la sécurité. Ils dansaient sur la chanson, en nous regardant, avec leurs tenues de sécu. Ambiance boîte de nuit. Là, on s’est dit qu’on tenait peut-être le bon tempo. A la fois pour ce titre, mais aussi pour l’ensemble de l’album.”
C’est à la fin de l’épisode jamaïcain que James Murphy entre totalement en scène. L’idylle entre LCD Soundsystem et Arcade Fire a commencé il y a longtemps, et Butler et Murphy ont l’un pour l’autre un énorme respect. C’est donc assez logiquement que Murphy se retrouve embarqué dans l’aventure Reflektor.
« James nous a apporté beaucoup au niveau du rythme »
Win Butler : “James est passé nous voir à Montréal à notre retour de Jamaïque. Il nous regardait faire, il ne disait pas grand-chose. Entre les sessions, il parlait beaucoup avec Jeremy, une vraie complicité s’est développée entre eux. Un truc de batteurs, certainement ! James nous a apporté beaucoup au niveau du rythme, il nous a aidés à coucher nos idées et nos envies sur ce disque”, confie Butler.
Pour Reflektor, Arcade Fire a aussi embarqué Markus Dravs, déjà présent pour Neon Bible et The Suburbs. C’est avec ce dernier (présent en Jamaïque) que Murphy emmène à New York tout le boulot réalisé par le groupe à Montréal et en Jamaïque.
“On avait besoin de gens pour s’occuper de tout ce que nous avions enregistré. Il nous fallait un regard extérieur. James et Markus ont accepté avec beaucoup de gentillesse. Ils savent mieux que quiconque à quoi ressemble la musique d’Arcade Fire, ils nous ont aidés à intégrer toutes ces influences à notre musique”, poursuit Butler.
Bowie passe en studio, adore la chanson « Reflektor », pose sa voix dessus
Perfectionniste, le groupe continue d’alimenter Murphy tout au long du mix. Bowie passe en studio, adore la chanson Reflektor, pose sa voix dessus. C’est l’effervescence autour du projet. Il faut dire que, au moment du mix final de l’album, un autre groupe vient de dégainer : Daft Punk. C’est forcément stimulant.
Sans que Random Access Memories n’influence directement Arcade Fire, les Montréalais se rassurent en écoutant l’album des Parisiens. “Je suis un grand fan de Daft Punk, et quand j’ai entendu leur disque, je me suis dit qu’ils avaient eu envie de la même chose que nous. Retrouver la joie de jouer d’un instrument, de laisser tourner les bandes, de voir danser les gens. »
« Tout au long de l’écriture ou de l’enregistrement de Reflektor, je ne pensais qu’à un seul truc : la façon dont les gens allaient bouger sur nos chansons. Il y avait eu des tentatives auparavant : je pense à un morceau comme Sprawl II sur notre précédent album – je me souviens que pour la première fois on voyait danser les gens de façon un peu différente aux concerts d’Arcade Fire. Là, tous nos shows vont être comme ça, et je m’en réjouis d’avance”, note Butler.
« Reflektor » n’échappe pourtant pas à la noirceur du groupe
Plus accueillant que ses prédécesseurs, Reflektor n’échappe pourtant pas à la noirceur du groupe. L’envie d’ailleurs et de boule à facettes n’a pas effacé le songwriting de Butler et Chassagne. Si le premier volume du disque brille par ses envies de soirée (écoutez We Exist écrit sous l’emprise de Giorgio “Giovanni Giorgio” Moroder ou encore Flashbulb Eyes qui laissera des corps sur la piste), Reflektor se danse pourtant toujours un pied au bord du précipice.
La Jamaïque qu’aime Arcade Fire est la même que celle de Basement 5 – froide, chelou, un peu droguée. Et si l’on bouge sur le second volume du disque, c’est toujours sous le contrôle (freak, c’est chic) de types aussi étranges que David Byrne, Eno ou même Lou Reed.
Avec Reflektor, Butler et Chassagne ont bien entendu remodelé l’armure d’Arcade Fire. Mais ils ont aussi et surtout un nouveau truc dans l’écriture, en se rapprochant encore un peu plus de leurs maîtres – ajoutons Bowie à la liste. Disque d’une fantastique précision et d’une incroyable profondeur de champ, ce quatrième album d’Arcade Fire est l’un des plus surprenants de l’année, l’œuvre d’un groupe toujours en mouvement.
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