On n’a guère prêté attention, il y a deux saisons, au premier album de Damien Jurado (Waters Ave S), disque étrangement en dedans, revêche par endroits, soyeux en d’autres, empreint d’une sorte de free-folk travaillé à la gégène et traversé par une paire de ballades orageuses où le spectre de Nick Drake, flottant sur un […]
On n’a guère prêté attention, il y a deux saisons, au premier album de Damien Jurado (Waters Ave S), disque étrangement en dedans, revêche par endroits, soyeux en d’autres, empreint d’une sorte de free-folk travaillé à la gégène et traversé par une paire de ballades orageuses où le spectre de Nick Drake, flottant sur un quelconque terrain vague, accrochait ses riches oripeaux aux chardons d’une instrumentation pleine d’épines. De Nick Drake, il est encore beaucoup question sur Rehearsals for departure, où tout (la voix, la guitare, la façon) ramène à l’ermite mélancolique de Tanworth in Arden : il y a notamment cet Eyes for windows complainte close par une tourmente de cordes convulsives où se noie une voix d’agonisant qu’on jurerait extrait d’une hypothétique compilation d’inédits. Heu-reusement pour lui (et pour nous), Damien Jurado ne se complaît qu’un temps dans le culte morbide d’une idole trop haut perchée, dont l’envergure dépasse de loin l’entendement d’un petit Ricain de l’Ohio, ex-punk tendance Rastignac, monté à Seattle pour faire fortune et depuis revenu d’à peu près tout, sinon d’un cafard tenace. Ainsi essaie-t-il, tout au long d’un album aux écorchures soigneusement pansées, d’échapper à l’emprise de ses influences pour, comme dirait l’autre, trouver sa voie. Le fait est que le bougre y parvient plutôt bien, additionnant les climats et les tempos, relevant même ses refrains ascétiques de quelques velléités pop, enhardi par la production chantournée de Ken Stringfellow, moitié pensante des Posies dont le caractère philanthropique n’est plus à vanter. Sans être un mélodiste d’exception, Damien Jurado possède suffisamment de trempe pour se jeter dans le vide d’une instrumentation réduite à sa plus simple expression (une guitare, un harmonica) et rebondir encore plus haut, nanti de quelques belles chansons de feu de camp (Ohio, Curbside, Love the same), pas très loin de ce que pouvait proposer un Elliott Smith à ses débuts. C’est pourtant lorsqu’il laisse ses morceaux voguer au grand large, au gré d’une flûte à la dérive ou d’une section de cuivres houleuse, quand il laisse les arrangements prendre la mesure des compositions, que transparaissent les promesses d’un talent dont on est certain qu’il n’a pas fini de s’affirmer.
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