Il existe une troublante similitude entre le reggae et la naissance de notre univers, deux big-bangs. Sur une petite île des Caraïbes est né un son d’une singulière gravité. Sa naissance serait liée aux différents accidents d’histoire que ce petit territoire tropical a subis depuis quatre cents ans, qu’ils s’appellent invasion, génocide, esclavage, colonialisme ou ultralibéralisme.
Cette macération d’outrages et de douleurs trouve une expression à l’intérieur d’un ensemble rythmique et poétique, lui-même fruit d’une longue rencontre de courants, d’influences et de brassages.
Le reggae, à l’amorce du dernier quart de ce siècle, libère ainsi une part importante et refoulée de notre histoire à tous. Cette vérité se fait d’autant plus obsédante qu’elle est martelée en rythme et que ceux qui l’assènent ont la témérité de relier leur propre sort à l’ensemble de la destinée humaine. Il n’en faut pas plus pour engendrer une culture, un ensemble de pratiques artistiques, de manifestations symboliques, une prolifération anarchique de formes qui sont rattachées à un unique point d’origine.
Pourquoi la Jamaïque, pourquoi le reggae ? Sans doute parce qu’on trouve dans cette musique des racines profondément enfouies dans un passé africain immémorial et une vocation presque naturelle, biologique, à les voir muter. Si bien qu’aujourd’hui le reggae existe même là où il n’apparaît pas. Le hip-hop, le trip-hop, la drum’n’bass, la techno, tous ces courants ont le reggae pour plus petit dénominateur commun.
On appelle ça une musique mère. Le blues en était une qui, partant du delta du Mississippi, a remonté le fleuve, imprégné les campagnes, inondé les villes, s’est disséminé au gré des vents et des rencontres. Aujourd’hui, le phénomène se répète. Sans le sampling dub de King Tubby et le sound-system de U Roy, le rap n’aurait jamais existé. Sans cette rupture qui fait que le technicien et le DJ deviennent les maîtres de cérémonie, la techno n’a pas lieu d’être. Même sous son apparence la plus domestiquée de chansons de grande consommation, type Do you really want to hurt me de Culture Club ou Roxanne de Police, le reggae semble mener la danse.
Entre Kingston, la source, et Londres, laboratoire où toutes les expériences sont possibles, le voyage a mené ce rythme sur tous les continents et, avec lui, sa vision du monde très particulière. Car à sa singularité foncière de musique extrêmement compatible s’ajoute la présence d’une tradition messianique et militante, développée par Bob Marley, Burning Spear, voire Jimmy Cliff, qui a initié un vaste et diffus mouvement de revendications, qu’il s’agisse de faire valoir une identité ou un droit grâce à la musique.
Hier, Bob Marley produisait la première étincelle d’une révolution dont personne ne pouvait soupçonner la portée. Aujourd’hui, celle-ci semble avoir mis le monde au pas d’une danse ignorant les frontières autant que les styles.
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