Avant une grosse tournée, et alors que ses trois premiers albums ressortent en coffret, il était temps de faire le point sur le sens du vent avec le trompettiste Ibrahim Maalouf. Critique.
D’où souffle Ibrahim Maalouf ? A quelles latitudes s’arrime sa trompette ? Aux cartographies restrictives, le musicien d’origine libanaise oppose depuis une dizaine d’années l’ampleur d’un espace, une musique-monde, sans l’évidence d’une étiquette. Les trois premiers albums (Diasporas, Diachronism, Diagnostic), triptyque pluridimensionnel compilé ces jours-ci en coffret, incarnent ses velléités itinérantes. Infusé de mélismes orientaux, de tourbillons balkaniques et de rugosité rock, l’ensemble, composite et multiple, frappe par sa cohérence.
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Puis Ibrahim Maalouf enregistre à New York, en une demi-journée et avec de prestigieux instrumentistes (le batteur Clarence Penn, le contrebassiste Larry Grenadier, le saxophoniste Mark Turner et le pianiste et fidèle collaborateur Frank Woeste), un quatrième album, Wind, au titre évocateur, rime d’un mouvement, concrétisation d’un désir.
D’où souffle Wind ? D’une commande pour une musique de film. “Avant la sortie de Diagnostic, j’ai été contacté par la Cinémathèque française. Je suis très cinéphile. Je ne conçois pas ma musique sans images. L’idée d’écrire la bande originale d’un film m’a plu, cela correspondait vraiment à une attente.”
Parmi les oeuvres proposées, Maalouf retient vite La Proie du vent, film muet de René Clair sorti en 1927. “Même si ce n’est pas un chef-d’oeuvre, plusieurs éléments du film ont résonné en moi. L’histoire d’abord de ce pilote, victime des aléas du vent, dévié de sa trajectoire et qui atterrit accidentellement en ‘Libanie’. J’aime son ambiance contrastée, presque schizophrénique. Et puis il fut tourné en 1926, année de la naissance de Miles Davis, à qui je voulais rendre hommage. Je suis sensible à tous ces échos.”
Croisement, passerelle tendue entre territoires intimes et revendications esthétiques, l’album, où plane – manifeste et assumée – l’ombre tutélaire de Miles Davis, renvoie d’évidence, cinquantecinq ans après, à la bande originale du premier long métrage de Louis Malle, Ascenseur pour l’échafaud. Signée par le jeune Miles d’un geste – une nuit, dit-on –, elle laisse à Ibrahim Maalouf une impression d’accomplissement total. “Pendant longtemps, j’ai considéré cette BO comme le meilleur album du monde : pur, simple, instinctif. C’est là que j’ai découvert le son de Miles Davis. On y voit vraiment son génie. Il est à poil.”
Wind, par la place essentielle accordée aux instruments, procède d’un art similaire du dénuement. Sobriété féconde, épure des arrangements, improvisations réduites, un minimalisme certain, écrin idéal du son Maalouf. Une couleur, feutrée, traversière, comme murmurée, produit-témoin d’une conquête acharnée, réfractaire aux académismes. “De 7 à 22 ans, j’étais dégoûté de la trompette. Mon père (Nassim Maalouf, inventeur de la trompette “arabe” à quarts de ton dont joue Maalouf – ndlr) et le conservatoire n’aimaient pas mon son. Ils me demandaient sans cesse de le corriger. Mais, notamment grâce à Miles ou Chet Baker, j’ai persisté.”
Expression franche d’un recul, d’une distance (“Je ne suis fanatique de rien, même pas de la musique”, répète-til). Une liberté (autoproducteur, il a fondé le label Mi’ster), valeur cruciale de l’itinérant Maalouf, qui, du jazz à la pop, de Vincent Delerm à Lhasa et, prochainement, pour le nouveau film de Kim Chapiron, souffle le monde.
Concerts le 27 avril à Paris (salle Pleyel), le 29 à Niort, le 30 à La Testede-
Buch, le 1er mai à Saint-Etienne, le 2 à Amiens, le 3 à Rive-de-Gier, le 4 à
Lons-le-Saunier, le 6 à Villefranche-sur-Saône.
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