Combat de titans et de rééditions avec les retours de Jimi Hendrix et Sly Stone. Deux figures combattant les frontières raciales et musicales, auxquelles l’histoire n’a pas réservé le même sort.
Il ne se passe plus de six mois sans qu’un nouveau Jimi Hendrix ne surgisse de derrière les fagots. Au printemps dernier, People, Hell and Angels donnait accès à une collection de douze inédits enregistrés entre 1968 et 1970, moment où, estimant avoir épuisé les ressources de l’Experience, le guitariste cherchait une alternative à la formule du power trio. Cet automne, c’est un combiné CD/DVD du concert donné lors du Miami Pop Festival en mai 1968 ainsi que la réédition du coffret The Jimi Hendrix Experience, paru en 2000, qui font l’actualité hendrixienne.
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Exit le velours pourpre recouvrant la version originale de cette long box aux soixante raretés. L’intérêt de cette nouvelle mouture réside dans l’intégration de quatre inédits, dont une reprise estomaquante du Like a Rolling Stone de Bob Dylan enregistrée au Winterland de San Fransisco en octobre 68. Or cette offre permanente reste ambiguë, moins apte à sonder la richesse d’archives dont la succession Hendrix a décidé une exploitation systématique – et parfois abusive, si l’on songe au mesquin Valleys of Neptune d’il y a trois ans – qu’une demande à l’évidence insatiable. Comme si Jimi Hendrix demeurait dans l’imaginaire collectif, génération après génération, une sorte d’étoile du berger, un repère autant musical qu’existentiel. Ne voyait-on pas encore cet été le guitariste de Crazy Horse Frank Sampedro arborer un T-shirt floqué à son effigie pendant la tournée européenne de Neil Young ? Ou le jeune impétrant néosixties Jake Bugg, pourtant peu prolixe en solos à la pédale wah wah, citer les albums de Jimi parmi ses préférés ?
Cet unanimisme ne fait que révéler par contraste la situation surprenante d’un autre phénix qui, à bien des égards, mériterait la même vénération mais semble en comparaison inconsidérément négligé : Sly Stone, dont un indispensable coffret comprenant dix-sept inédits tente aujourd’hui de laver l’affront. Jimi et Sly. Sly et Jimi. Beaucoup les rapproche. Coupe de cheveux, goûts vestimentaires, indulgence envers la dope (pour les drogues psychédéliques concernant Jimi, la coke s’agissant de Sly).
Jimi le prométhéen et Sly toujours plus haut
Si la figure du freak, au sens d’une liberté radicale farouchement assumée, a connu une incarnation dans la culture afro-américaine, ces deux-là en sont les plus flamboyants spécimens. Ils demeurent surtout les deux artistes les plus transgressifs de leur génération, ceux qui ont su le mieux exploser les formats, vaincre les lignes raciales et musicales qui cloisonnaient leur temps. Jimi plus blues, Sly plus gospel. Jimi dont le groupe s’appelait The Experience comme à dessein d’éclairer une démarche initiatique mais solitaire. Et Sly à la tête de cette Family Stone dont la mixité raciale et sexuelle était inédite et œuvrait sous le sceau d’un unisson, d’une joie collégiale de créer par-delà les conditionnements. Jimi le prométhéen qui jouait de la guitare comme un voleur de feu et qui finira cramé. Et Sly dont le désir d’approcher le soleil, d’aller toujours plus haut, “higher”, l’entraînera dans la chute vertigineuse d’Icare.
Higher! est du reste le titre choisi pour ce coffret de soixante-dix-sept titres qui reprend l’histoire des débuts, en 1964, du côté de San Francisco, alors que le jeune maestro multi-instrumentiste de 19 ans signe des tubes au profit d’artistes sur le déclin comme Bobby Freeman. Il produira aussi les Beau Brummels, combo californien figurant sur l’anthologie Nuggets. Ce don d’une rare insolence à ignorer les barrières, cette vertu color blind cultivée par un gosse du ghetto élevé dans la tradition des chorales d’églises fera de lui un ovni intenable, un mutant baptisé dans les eaux mêlées du Mississippi et de la Mersey, fusionnant le funk avec la pop, le rock avec la soul, virevoltant par-dessus les genres comme s’il avait avalé la flûte enchantée avec le piano de Little Richard.
Une célébration de l’utopie des sixties
Sylvester Stewart n’est pas surnommé Sly, “le Malin”, par hasard. Sa musique possède un pouvoir réellement diabolique qui, loin du côté sombre et maléfique du génie, s’exerce en pleine lumière, dans une célébration sauvage et euphorique d’une liberté conquise sur la vaste obscurité laissée par quatre siècles d’oppression. Aucun artiste de cette génération, celle du flower power, n’entonnera d’aussi glorieux et contagieux alléluias que Dance to the Music, I Want to Take You Higher, Stand ou Everybody Is a Star. Et aucun ne délivrera d’aussi délicieux tubes pop que Hot Fun in the Summertime ou Family Affair.
Cette célébration de l’utopie des sixties trouvera son autel de consécration sur la scène de Woodstock, où Sly offrira un mémorable concert, flamboyant, explosif. Le lendemain, Jimi Hendrix clôturera le grand raout hippie par un set d’une gravité crépusculaire dont témoigne son déchirant Star Spangled Banner. Un an plus tard, en septembre 1970, il rejoint définitivement l’autre monde. Sly, lui, se brûlera bientôt les ailes à la flamme des excès pour peu à peu disparaître. Frères d’absolu jusque dans l’abîme.
Rééditions tous les albums et coffrets de Jimi Hendrix et Sly & The Family Stone sont disponibles chez Sony Music
A lire Jimi Hendrix, Mémoire d’outre-monde (J.-C. Lattès), 256 pages, 22,90€
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