Le United Kingdom a instauré une nouvelle fête nationale : samedi 17 avril est désormais la journée nationale des disquaires. A Brighton, JD Beauvallet a fait la queue sous un soleil vierge. Récit.
Coincé entre la fête des mères, la fête des pères ou la fête du vomi de bière (tous les vendredis et samedis), l’Angleterre a désormais entériné une nouvelle date immanquable sur son calendrier : la fête des disquaires.
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Née aux Etats-Unis en 2007, cette initiative a pour but de réconcilier les fans de musiques et leurs disquaires, en mettant sur le marché, pour une journée seulement, des vinyles en séries très limitées. Très vite, les majors, labels indépendants (et artistes) ont joué le jeu, proposant des disques conçus spécialement pour ce jour. Ils proviennent aussi bien des locomotives (Beatles, Springsteen, Stones, Gorillaz) que des jeunes pousses en développement (Primary 1, Chiddy Bang…).
En ce jour de fête d’une espèce que l’on pensait menacée – le disquaire –, on déniche des nouveautés passionnantes ou des objets insolites (un duo Hot Chip /Bonnie Prince Billy en 45t, une session de Charlotte Gainsbourg, un MGMT en vinyle tatoué au laser, un Julian Casablancas en cire rouge…), ainsi que du back catalogue profitant de réhabilitations récentes (des rééditions de singles de Jesus & Mary Chain, Brian Eno ou Soft Machine).Il faut donc se presser : les disques en question, au niveau national, sont édités en séries strictement limitées, entre 100 et 1 000 exemplaire suivant les références.
Dès 9h du matin à Brighton, stupeur : des dizaines de personnes font la queue devant Rounder Records, le premier disquaire participant à ouvrir. Pendant des années, un des vendeurs de cette petite institution s’appelait Norman Cook : c’était avant qu’il ne devienne Fatboy Slim. Une queue devant un disquaire : les touristes qui se prélassent aux terrasses devant leur petit déjeuner plantureux n’en reviennent pas. Qu’il existe encore des disquaires, voilà déjà une chose bien surprenante ; mais qu’on fasse la queue pour y pénétrer relève pour eux d’un grand mystère.
Dans la foule pressée sagement, peu de femmes, quelques geeks, quelques-uns de ces hommes aux âges indéterminés, aux pantalons trop court, à l’odeur limite et à la sexualité sans doute navrante comme on en croise tant dans les foires aux disques. Mon voisin de queue, un quadra surexcité, est là pour une édition limitée des Stone Roses : une version luxueuse et numérotée du classique premier album du groupe. Pour lui, il a abandonné trois enfant en bas âge dans sa voiture parquée en double file : il les appelle chaque minute pour vérifier que tout va bien.
Chacun, d’ailleurs, est accroché à son téléphone : des copains font la queue chez d’autres disquaires et les rumeurs vont bon train. Chez Resident, un disquaire pas encore ouvert mais déjà pris d’assaut, une vendeuse aurait juré qu’ils avaient en stock quelques Graal de cette journée en forme de course au trésor : un single inédit sous cette forme de Blur, une compilation 25cm déjà culte avant d’être vue de Factory Records, un album sur lequel les Flaming Lips reprennent Dark Side Of The Moon de Pink Floyd…
Trois adolescents prennent leurs jambes, enserrées dans des pantalons Monkee Genes aux couleurs tapageuses, à leur cou pour tenter le coup : le single des Foals serait disponible là-bas. C’est le propre des collectionneurs de disques : faire courir des rumeurs, alimenter les fantasmes, parce que la réalité n’est jamais aussi belle que dans les disques. Des âmes généreuses font tourner, dans la queue, les photocopies des listes, amoureusement imprimés sur le site des disquaires et apprises par cœur, des disques qui seront disponibles : une centaine de références en tout.
Pendant qu’on attend, des clients sortent, hilares ou déçus, du magasin : certains tiennent à bout de bras, comme une coupe à une finale de football, le 45t dont ils rêvaient depuis la publication des listes. L’ambiance est bon enfant : il y a même quelques applaudissements quand un ado claironne qu’il a dégotté le dernier exemplaire disponible en ville d’un single des Babyshambles limité à 1 000 exemplaires.
On finit par atteindre le comptoir : mon voisin, effondré, apprend que le Stone Roses, visiblement trop compliqué à fabriquer, n’est pas arrivé à temps. Il refuse d’avoir fait tout ça pour rentrer les mains vides et se venge en empochant un 45t d’Elvis Costello, un autre de Pavement et demande au vendeur un truc qui fait du bruit – visiblement, les gamins, dans la voiture, vont manger des décibels. Ça sera Japandroids.
Les vendeurs cavalent avec frénésie entre le comptoir et leurs stocks classés en trois tailles : 45t, 25 cm et maxis (ou albums). On se croirait à la criée du poisson, sauf que ça sent un peu moins bon encore : la sueur de l’angoisse inonde le petit magasin. Le patron est pourtant ravi : deux heures après l’ouverture, il pense avoir déjà battu son chiffre d’affaire record, établi la veille de Noël.
Le lendemain, avec un catalogue adapté au marché local, le National Record Store Day se déplace aux Etats-Unis. Mais aucun de mes camarades de queue ne pourra s’y rendre. Et pour cause : grâce au volcan islandais, l’aéroport local de Gatwick est fermé et aucun avion ne vient troubler le ciel d’une bleuté rare et inédite de Brighton. On pourra donc écouter en paix un des 45 tours du matin : il est signé She & Him et s’appelle In The Sun.
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