Le désir et ses absences sont au coeur de l’exposition de Rebecca Bournigault : sans tomber dans le sentimentalisme, la vidéaste fragmente nos discours amoureux.
Chacun, tour à tour, vient poser devant la caméra. Debout, à peine mobile, s’appuyant légèrement sur le mur du fond, les bras croisés ou pendant le long du corps. D’abord détendu, vaguement inquiet tout de même, il ou elle attend de savoir ce que leur a préparé Rebecca Bournigault, pourquoi la jeune artiste a mis sa caméra sur un pied et leur a demandé de poser là, dans un coin de son studio. Parfois, on entend Rebecca donner la règle du jeu, répéter la demande qu’elle adresse à l’autre : dire « Je t’aime ».
Ne pas se contenter de prononcer ces quelques syllabes, mais le dire vraiment, ou faire comme si. Dire « Je t’aime » comme on aimerait le dire, comme on regrette peut-être de ne l’avoir jamais dit. A chacun son tour alors, seul devant la petite caméra manuelle de la vidéaste, de faire sa déclaration. Très vite une gêne envahit l’écran, un voile de pudeur glisse sur les visages et les corps des figurants. On se contorsionne un peu, on se fige. D’autres fois tombent des aveux embarrassants : « Tu sais, je ne l’ai pas dit très souvent… » Certains mettent très longtemps avant de se prononcer. Sophie, radieuse et charismatique, rit aux éclats et embrasse la caméra : 15 secondes chrono. Mais la plupart du temps, avant de prononcer le mot fatal, chacun se fait dans sa tête un scénario amoureux : comment se déclarer ?
à qui penser ? comment concentrer son esprit sur ces choses du coeur que la raison ne connaît pas ? Certains ferment les yeux pour mieux constituer leur cinéma mental, le film de leur vie, d’autres sourient malicieusement. Sur les visages on voit ainsi passer des idées, des images, des souvenirs. Tout en jouant devant la caméra la scène archétypale de la déclaration, il s’agit de ne pas sonner faux, ou creux, mais au contraire de faire voir, le temps d’un instant, sa capacité à aimer et à se faire aimer. Trouver l’expression juste : entre fiction et réalité, chacun ici devient l’acteur de sa propre vie sentimentale. Et comme pour compliquer encore les choses, ou pour souligner la part inextricable du mensonge et de la vérité, Rebecca a invité au milieu de ses amis, de ses anciennes amours aussi, fille ou garçon, une petite triade d’acteurs qui font partie de son proche entourage : Lambert Wilson, Manuel Blanc et Sylvain Jacques. Comment ceux-là disent-ils leur « Je t’aime » à la caméra et à Rebecca ? A quel degré de jeu ? Et que disent-ils de tous les autres acteurs, même amateurs, qui apparaissent dans le champ de vision ? Et de tous ceux qui, à d’autres endroits du monde, se disent leur amour mutuel ?
« Je n’ai pas voulu faire une exposition sur l’amour, j’ai d’abord fait plusieurs vidéos, j’avais assez envie de les montrer en même temps, et le titre de l’expo, Préliminaires, est venu en dernier. C’est vrai que là ça compose un ensemble, quelque chose qui parle du désir, de la difficulté des émotions. Et, pour moi, ça s’inscrit dans un contexte plus large et plus angoissant : la question de la perte du désir. Pourquoi nous sommes devenus aussi hermétiques, aussi froids. » Périlleuse, la nouvelle exposition personnelle de Rebecca Bournigault l’est avant tout parce qu’elle aborde un sujet rarement évoqué dans l’art contemporain : l’amour. Tandis que dans le deuxième espace de la galerie Almine Rech les Portraits : « Je t’aime » côtoient la petite vidéo Préliminaires relatant la rencontre d’une basket mâle et d’une chaussure rouge de fille sur fond de Placebo, enregistrant ainsi les premiers pas de la séduction et de la danse amoureuses, la pièce centrale de la galerie est entièrement occupée par Missed, installation vidéo sidérante de dépression lourde. Un simple autoportrait, Rebecca seule devant sa caméra, sur fond sonore d’une boucle des Daft Punk. Un pur moment de déprime et d’abandon, de vie sans l’autre : « J’ai fait cette pièce un matin, l’hiver dernier. J’étais comme ça, j’écoutais les Daft, et j’ai juste voulu saisir ce moment. Pour moi, cette pièce parle de la place vide de l’autre. C’est encore très douloureux de la regarder. »
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