Incarnation d’une nouvelle génération d’artistes, Rebecca Bournigault s’expose à Paris dans toute son intimité, à la rencontre de celle du spectateur.
L’an dernier, elle était encore la plus jeune des jeunes artistes français, une étoile montante née en 1970, à peine sortie des beaux-arts de Bourges. Présente aux dernières biennales de Lyon et d’Istanbul, revenue de Milwaukee et de Milan, annoncée dans un prochain Artforum, Rebecca Bournigault n’est plus un espoir, mais déjà la confirmation d’un nouveau visage de l’art contemporain. Dans le même temps, elle est devenue le seul véritable sujet de ses diverses pratiques esthétiques (vidéo, photo, aquarelle…) : après avoir filmé ses amis, Rebecca se concentre aujourd’hui sur elle-même et livre son journal intime. « J’écris très régulièrement dans un cahier, ce sont juste des états, des interrogations liées à ma sexualité, des faits qui ne concernent que moi. En fait, les trente-cinq photographies que je vais montrer à Paris sont plutôt une retranscription de ce premier journal, un endroit qui n’a plus rien de personnel, mais qui doit pouvoir rencontrer l’intimité du spectateur. »
Une intimité brute, obscène mais à partager, marquée essentiellement par une solitude affective, par des transformations physiques (« A Barcelone l’été dernier, j’ai eu envie de me faire mettre des dreadlocks, je les ai portées quatre jours, c’était très bizarre »), par une identité fluctuante : « L’intimité que je livre à autrui est faite de trous noirs, ce ne sont jamais que des bribes, une mémoire en morceaux. Un peu comme les images d’un film qui n’existerait pas et que chacun pourrait inventer ou reconstituer. Je sais qu’une image ne peut atteindre à l’essentiel, me saisir dans ma totalité. C’est un peu comme la vie : il y a des gens sympas qui te parlent, et le lendemain ils ne t’adressent plus la parole, sans qu’on puisse savoir pourquoi. C’est très dur à vivre. Ces images fonctionnent comme ça, comme la vie : à un moment elles s’ouvrent, à d’autres elles refusent tout accès. »
L’impression de vie est donnée par la trame pixélisée des photos, réalisées avec un appareil digital comme si elles étaient les images arrêtées d’un film vidéo. Faire des images comme la vie : dans ce voeu insensé, on reconnaît une nouvelle génération d’artistes « naïfs », visant à une immédiateté de la création et de la réception, et qui s’amusent à mettre en échec toute tentative de conceptualisation. Il y a de fait un flou générique qui entoure le travail de Rebecca : c’est un journal intime où l’on ne se livre réellement jamais, un art d’où émane un érotisme latent mais non marqué, incapable de se fixer sur une personne, ni même sur une catégorie sexuelle précise. Car si l’on pense avec évidence aux images de Sadie Bening, celles de Rebecca ne comportent nulle revendication homosexuelle, nulle intention politique, et se refusent à se laisser enfermer dans une notion. « Identité, intimité, sexualité, homosexualité… ces termes ne sont jamais en adéquation avec mon travail, il y a toujours quelque chose qui échappe à ces catégories. Je ne sais pas ce que l’on peut dire de mon travail. » Transcrire la vie, mettre en échec la parole : Rebecca Bournigault fait partie de cette nouvelle génération d’artistes qui agit d’abord, et qui s’abstient ensuite de penser. On comprend combien la parole critique, celle de Jean Clair et des autres, échoue et s’énerve devant la minceur conceptuelle de cet art qui ne se soucie que très peu des mots, et encore moins de l’histoire des formes. « Pour l’instant, ce qui m’occupe, ce sont plutôt des chaussures de Martine Sitbon que j’ai terriblement envie de m’acheter. Je fais des dessins que je vends 50 f l’un. Il y en a de très beaux. » Comme la vie, Rebecca est désarmante de futilité mais aussi de noirceur, de joie et de déprime, d’enthousiasmes et de retombées soudaines. Une vie où la superficialité coïncide aussi avec la lourdeur de l’être : « La difficulté, au fond, c’est que tous les jours je ne trouve aucune raison de me lever. »
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