Nouveau réaliste en 1960 aux côtés d’Yves Klein, Arman ou César, Raymond Hains a refusé de se laisser enfermer dans des catégories ou des pratiques esthétiques. Photographe, décolleur d’affiches, adepte des jeux de mots en cascade : avec deux nouvelles expos à Reims et Nantes, il prouve qu’il n’y a pas d’âge pour être un jeune artiste.
Paris, samedi 28 février, 15 h. Une trentaine de personnes se sont réunies devant la Caisse des dépôts et consignations, point de départ de la parade organisée par Raymond Hains. Des amis d’hier et d’aujourd’hui, des institutionnels, des artistes comme Annette Messager ou Christian Boltanski venus rendre un hommage joyeux à cet artiste de 72 ans qui sait, comme disent les publicités pour maquillage épais, rester éternellement jeune. Mais aussi la fanfare de l’Ecole des beaux-arts, trois musiciens échappés des ateliers, les pantalons encore maculés de peinture. Objet-phare de la parade : une géante en carton-pâte inspirée des figures folkloriques des carnavalsd’antan et représentant Iris Clert, la galeriste d’Yves Klein, Arman et des nouveaux réalistes dans les années 60. Au début, il faut bien l’avouer, on craignait le pire, genre dix personnes moroses défilant sous la pluie derrière une grosse tête délavée, ou pire encore, conversation sérieuse, polémiques sur l’art contemporain au beau milieu du défilé. Pourtant, à voir les touristes photographier la parade, à voir les enfants des Tuileries tourner autour de la géante, on comprend que Raymond Hains a réussi là où d’autres auraient grotesquement échoué. Déjà à Kassel cet été, lors de la Dokumenta X jugée par beaucoup très ennuyeuse, c’est lui qui avait créé l’événement avec le coup de la parade. L’improvisation et le hasard propres à la fête l’avaient emporté sur les règles de l’art, sur les cocktails et autres vernissages souvent lugubres.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le cortège emmené par la géante Iris Clert allait traverser les Tuileries pour venir dire bonjour à Arman, exposé en ce moment même au musée du Jeu de Paume : promenade festive entre hier et aujourd’hui, située à mi-chemin de la commémoration et de la vie, la fête de Raymond Hains est symbolique d’un artiste qui refuse la rétrospective, qui veut continuer à chercher quand le milieu de l’art aurait souvent tendance à lui faire refaire et répéter des gestes anciens : « J’ai toujours essayé d’être moi-même, mais les autres essaient de vous imposer d’autres idées. » Selon lui, il faut être « le ministre de sa propre culture ». Raymond Hains donc, ou l’art de ne pas être grand-père.
Le moins qu’on puisse dire de son parcours d’artiste, c’est qu’il est tout le contraire d’une trajectoire rectiligne. Abstraction, surréalisme, lettrisme, nouveau réalisme, pop-art : Hains traverse tous les mouvements du xxème siècle sans jamais s’y figer. On ne s’étonnera donc pas de le voir figurer depuis dix ans dans un grand nombre d’expos ouvertes aux jeunes artistes et à la nouvelle génération : « C’est difficile aujourd’hui, et j’ai les mêmes difficultés que les jeunes. » Photographe et même cinéaste abstrait vers 1950, auteur de poèmes à dé-lire, nouveau réaliste entre 60 et 63 quand il expose avec Villeglé des affiches lacérées, Hains semble avoir tout fait : un cheval de Troie en chocolat, des photographies du grand chantier du Louvre, la reproduction grand format de boîtes d’allumettes sous le pseudonyme de Seita et Saffa, expositions de palissades et pratique constante des lapalissades. Dans les interviews fleuves, son discours est lui-même une constante dérive d’un mot à un autre, saut perpétuel du coq à l’âne, glissements et homonymies. « Mais j’en ai marre qu’on dise que je radote : en réalité, tout a un sens, toutes les étapes de ma réflexion sont importantes. » Pour s’en convaincre, on pourra voir à Reims quelques-unes des valises Airbus où il stocke l’ensemble de ses archives, images et réflexions qui l’ont aidé dans la conception de son exposition. Comme l’explique Nathalie Ergino, directrice du Frac, « avec les valises on est ici au coeur de sa pensée, de son processus de création ». Mémoire mobile, jamais figée, valises Airbus mais aussi valises de Macintosh, réceptacles de mots-valises : la pensée de Raymond Hains est un logiciel vagabond. On trouvera donc de tout dans les deux Frac où il expose simultanément.
A Reims, l’expo intitulée « Tours et détours de R. Hains » explore les généalogies imaginaires des rois de France : on y croisera la guerre de Troie et le roi gaulois Remus, le cheval de Troie et les biscuits Rem, Chrétien de Troyes et Caillois (né à Reims), mais aussi la préparation d’un futur CD-Rem et enfin la moutarde Clovis, qui monte au nez et remonte à Enée. A Nantes, c’est le sculpteur Lemot qui sert de point de départ à un vaste périple mental qui nous emmenera du cours Cambronne au fameux mot prononcé un 18 juin à Waterloo, et donc de là à de Gaulle, à Londres, à l’Eurostar en passant par Camille Bryen et les petits-beurre Lu. Le tout dans une grande variété de supports : cartes postales, fac-similés de socles et de biscuits, pochoirs, plaques de rue, tirages numériques, drapeau breton lacéré…
Inclassable et inventif, cet érudit autodidacte sait s’amuser avec la culture, recycler le passé dans une grande aventure des signes réellement contemporaine. Il y a évidemment du surréalisme chez lui, une part accordée au rêve et aux jeux de langage, aux rencontres inopinées. Quand il fait le jumelage poétique des villes de Kassel et Cassel, quand il tisse des liens linguistiques entre sa vie, ses amis et l’histoire de l’art, on comprend que ce Grand Jeu s’écarte du sens pour mieux toucher la vie. Du mot à mot en passant par Lemot, Hains nous déporte dans une existence purement linguistique, nous fait accéder à un niveau de vie autre, ni supérieur ni inférieur, simplement poétique.
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