Grand spécialiste et gourou du rap français, Olivier Cachin a réalisé pour nous son classement des 10 meilleurs albums de rap français (plus un en option). En tête, Doc Gynéco, qui nous a pour l’occasion accordé une interview fleuve et exclusive à découvrir cette semaine sur lesInrocks.com.
1. Doc Gynéco : « Première Consultation », 1996
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La première a été la bonne : un million de patients sont venus voir le docteur pour lui acheter cette potion magique à base de rap influencé west coast, chanson française, nostalgie de l’enfance et escapades sexuelles. Ode au suicide (Nirvana), déclaration d’amour à la nymphette Paradis (Vanessa), panoramique de la rue de son enfance à la Porte de la Chapelle (Dans ma rue), le tout sur des sons produits à Los Angeles par Ken Kessey : cet album élégiaque a une humanité et une profondeur qui résistent aux années. Et à la mauvaise réputation sarkozyste de Bruno, tellement dandy qu’il a préféré griller sa cote de popularité en frayant avec le président déchu plutôt que de jouer au rebelle institutionnel aux prévisibles aboiements anti Etat. Les filles du mouv assassine avec élégance les zoulettes qui disent wesh, Né ici révèle des cicatrices cachées sous l’inévitable vernis poli de l’humour et Celui qui vient chez toi élève l’adultère au rang d’art majeur. Gynéco, le meilleur.
2. IAM : « L’École du micro d’argent », 1996
Il est des vérités qu’on ne se lasse jamais de répéter. Dont celle-ci : Demain c’est loin est un des plus grands morceaux du rap français, sinon le plus grand. Mais ce chef-d’œuvre n’est pas orphelin, il est même très bien entouré sur ce troisième LP des Marseillais de la première génération rapologique, enregistré à New York et qui est devenu leur obélisque, leur indépassable monument élevé à la gloire des mots, des sons, d’un hip-hop qui sait assumer sa schizophrénie rue/intellect. L’ambition est américaine, la production impeccable. Épaulés par Prince Charles Alexander, les MCs Akhenaton et Shurik’n multiplient les cascades linguistiques, abandonnant presque totalement l’humour de leurs débuts pour des titres denses comme La saga, Petits frères et L’empire du côté obscur. On y parle de « Jean-Claude Gaudin-Skywalker », on n’y danse plus le Mia mais on y trouve des pépites comme s’il en pleuvait. Comme le Gynéco ci-dessus, cet album a trouvé un million de supporters. Marseille, trop puissant.
http://www.youtube.com/watch?v=KCUiG9aZSh8
3. Ärsenik : « Quelques gouttes suffisent », 1998
Garges-Sarcelles, dortoir des grands de la banlieue nord. Et juste à côté, Villiers-Le-Bel et son sixième chaudron d’où sont issus les deux frères Lino et Calbo alias Ärsenik, groupe fleuron du Secteur Ä qui domina le rap français des années 90. Ce premier album est le cimetière des MCs, qui y trouveront des punchlines inégalables et d’ailleurs jamais égalées. « Un gars à la hauteur c’est rare comme une pute à son compte », « J’ai la haine comme Kassovitz, on demande pas aux Juifs d’oublier Auschwitz », « On t’insulte avec un regard, on te baise avec un sourire », « La mouise ça renforce les liens et quand la musique sonne, partout les groupies font péter le standard sur nos Ericsson », « Tout mon talent je déploie, car ANPE signifie Aucun nègre pour l’emploi ». Djimi Finger apporte un son sec, simple et d’une efficacité comparable à celle d’une balle traçante. Gynéco apporte deux couplets brillants dans Affaires de famille, Passi fait une apparition sur Par où t’es entré, je t’ai pas vu sortir et les Nèg’Marrons la jouent reggae dans Partout la même. Les quinze titres brillent comme un miroir de bordel, nourris d’une rage et d’un cynisme qui font mouche à tous les coups. La grande classe.
4. Oxmo Puccino : « Opéra Puccino », 1998
Personnage atypique de la scène rap, aussi bien capable de dépeindre une embrouille entre mafiosi que de raconter l’histoire d’un enfant en classe primaire, Oxmo a marqué les esprits et les cœurs avec ce premier album somptueux, dont les musiques supervisées par DJ Seck et DJ Mars épousent les mots du plus poète des rappeurs français. Aucune mièvrerie dans le pourtant délicat L’enfant Seul, récit d’une jeunesse nostalgique qui sent l’autobiographie (« L’enfant seul c’est l’inconnu muet du fond de classe, celui de qui l’on se moque, rond comme Coluche »), plus tard utilisé au cinéma par Jacques Doillon dans Petits frères. On atteint le sublime dans La loi du point final featuring Lino, qui plaque des phases aveuglantes, et avec l’interlude Peu de gens le savent, texte parlé sans rimes qui dresse un portrait juste des banlieues de grande solitude. Akhenaton et Le Rat Luciano apportent la touche sudiste à cet opéra rapologique qui mit presque dix ans à être certifié disque d’or. Rare exemple de rap intemporel.
5. Idéal J : « Le combat continue », 1998
La vie de Kéry James, c’est l’itinéraire chaotique d’un enfant pas gâté qui débute sous la coupe de producteurs douteux pour finir par s’émanciper. Dès le premier album Original MCs sur une mission, Idéal J impose une identité forte, et marque incidemment les débuts de producteur du talentueux DJ Mehdi. Avec Le combat continue, on entre dans l’œil du cyclone. Le drapeau français fripé en couv est annonciateur de toutes les audaces. Des titres comme L’Amour ou J’ai mal au cœur dynamitent les canons du style rap, s’étalant sur des durées hors format. Pour une poignée de dollars invite le ténébreux Doudou Masta pour une voix scratchée et hantée (« J’te braque même pour du toc »). La Joconde vénéneuse de cet album presque parfait est bien sûr Hardcore, au son façonné par Delta du groupe Expression Direkt. Un mantra égrenant les vices du monde d’hier et d’aujourd’hui, comme un Mondo Cane audio ajoutant la prophétie au frisson. Le diamant noir de la discographie Kéry.
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