Ben Vaughn enregistre dans sa voiture, avec un groupuscule sans plomb et un gros cœur accroché au rétroviseur. “J’ai une Rambler American de 65, chérie, ça t’en bouche un coin” (M-Motor vehicle) : piège à filles désuet sur le premier album (The Many moods of the Ben Vaughn Combo, 1985), la guimbarde de Ben Vaughn […]
Ben Vaughn enregistre dans sa voiture, avec un groupuscule sans plomb et un gros cœur accroché au rétroviseur.
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« J’ai une Rambler American de 65, chérie, ça t’en bouche un coin » (M-Motor vehicle) : piège à filles désuet sur le premier album (The Many moods of the Ben Vaughn Combo, 1985), la guimbarde de Ben Vaughn prend du galon, devient titre d’album et studio d’enregistrement. Pas trop frime, la Rambler. Plutôt Renault 8 (Gordini, à la rigueur) que mastodonte chromé, le genre de tacot où les personnages de Margerin se sentiraient plus à l’aise que ceux de Springsteen qui partage avec Ben Vaughn un lieu de naissance oublié par les tour-operators (le New Jersey) et la passion des bagnoles. Bêtes de concours ronflantes (quadruple pot d’échappement et moulin goinfré d’anabolisants) pour le Boss, rossinantes clopinant sur une roue dans la légende dorée (El Rambler dorado, 1988) chez Ben. D’un côté le mont Rushmore, psycho-bétonné dans un bunker de nostalgie, de l’autre un Don Quichotte à l’âme printanière, infatigable défenseur d’un art d’écrire chevaleresque et intrépide. Emouvant aussi on a rarement vu une telle foi dans la chanson simple, une aussi impressionnante morale de l’émondage. Elevé par son poste de radio (grandes ondes uniquement), Ben Vaughn sait que dépasser les trois minutes trente, c’est déjà taper l’incruste. Jamais ramenardes ni maniérées, ses trouvailles poétiques ignorent tout du dictionnaire des synonymes et autres bancs de musculation cérébrale, mais ont passé des saisons entières au pays des merveilles de la pop juvénile : y être amoureux, c’est avoir « l’impression d’être Jerry Lewis en France, se croire protégé par les gardes du corps de Phil Spector ». Intenables dès qu’ils flairent l’occasion de se dégourdir les guiboles au son du watusi, du pony ou du mashed potatoes, les albums de Ben Vaughn sont surtout l’habitat naturel de ballades inestimables, avares en fioritures mais généreuses en frissons. Rambler 65, bricolé en solo, succède à des collaborations culottées avec un brelan de demi-soldes salement siphonnés (Kim Fowley, Alex Chilton, Alan Vega). Joyeuse sarabande de saveurs sémillantes échappées de l’Ed Sullivan Show (l’orgue tex-mex de Boomerang, la cithare en pattes d’eph’ de Levitation), élégance renversante des mélodies, aériennes (The Only way to fly) et tatouées sur le cœur par le Velvet de 69 (Beautiful self destruction). Le regard clair même quand elle a l’âme en peine, l’écriture de Ben Vaughn a échappé au syndrome Dylan, à la logorrhée amphétaminée et au symbolisme soûlant ses chansons probes et piquantes cachent des images cocasses dans des couplets éplorés, réconcilient l’euphorie sucrée d’American graffiti et les poussées de fièvre de Suicide, marient la candeur rusée de Jonathan Richman et l’érudition de brocanteurs zinzins des Cramps. Cette épatante dernière virée dans la chignole de Ben ranime la bienheureuse chimère d’un songwriting idéal et modeste.
Bruno Juffin
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