Croisés notamment en première partie d’IAM, les Canadiens de Radio Radio font du hip-hop en Acadien, et le font rudement bien : interview au long cours d’un groupe au croisement de tout, à la langue unique, de types absolument drôles et résolument passionnants.
Ça s’est passé comment avec IAM, parce que c’est quand même un hip-hop très traditionnel, très français.
Gab : C’est traditionnel, mais ce qui est cool c’est qu’ils étaient un peu pop culture, donc ils n’attirent pas que les hardcore rappers, ils ont rejoint la masse. Pour te rendre à la masse il ne faut pas juste que tu touches aux gens de la rue. Quand on est arrivés sur la scène au Québec on était comme des extra-terrestres. Les symboles qu’il y avait sur la scène étaient conflictuels. On est un groupe hip-hop, on est habillés comme des preps, on parle français mais on ne se fait pas comprendre, on danse weird, on parle weird, la musique est différente, on chante à propos d’être gay en riant, l’humour fait vraiment partie du spectacle et il y a une flamboyance que tu ne vois pas souvent dans le hip-hop… Donc je pense qu’il y a tout le temps un moment d’adaptation, mais au bout du compte nous on ne se prend pas au sérieux, tout ce qu’on prend au sérieux c’est d’avoir du fun, on prend pas ça personnel, on sait qu’on est un peu weird, donc on continue à s’amuser et à la fin du concert tout le monde a embarqué. Steve, notre nouveau batteur, a été renversé de voir comment on a commencé à jouer devant des visages de glace, et qu’à la fin du concert tout le monde faisait partie du concert.
Jacques : Pour le concert avec IAM on a un peu fait comme Rocky IV. Au début ils ne sont pas sûrs, mais au fur et à mesure la foule s’échauffe et les gens se tournent vers nous, parce qu’ils sont contents de danser, de sauter, d’avoir un bon temps et à la fin les gens en ont redemandé. Je pense qu’on a gagné la foule, un peu comme dans Rocky IV.
Tu dis que vous êtes arrivés un peu comme un cheveu sur la soupe au Québec, mais en même temps quand vous avez sorti Télé Télé en 2003 il y avait Omnikrom, il y avait TTC, qui étaient aussi en train d’émerger et qu’on peut associer à vous, avec un hip-hop qui ne se prend pas au sérieux.
Jacques : Oui mais en même temps je pense que les textes sont différents… Je n’ai rien contre TTC ni contre Omnikrom, on est amis avec les gars d’Omnikrom, on connaît un peu TTC, mais c’est pas sérieux mais c’est autre chose aussi. Ça parle de cul, de trucs du genre. Nous on parle de partys mais on ne se fiche pas de tout non plus, il y a quand même un deuxième degré. Jacuzzi c’est une chanson qui a l’air superficielle, mais prends ça au deuxième niveau… « Y’a de la place en masse dans mon jacuzzi » peut vouloir dire « Y’a de la place en masse dans mon pays », « Y’a de la place en masse chez nous », « Y’a de la place en masse dans mon village », « Y’a de la place en masse dans mon esprit », « Y’a de la place en masse partout ». Prends-le au deuxième degré. Toutes nos chansons ont un deuxième degré que je ne suis pas sûr que TTC ait.
Gab : Et l’accent faisait en sorte que… les Québécois ont déjà entendu l’accent français, avec les chansonniers, Charles Aznavour, mais ils n’ont jamais vraiment entendu l’accent acadien sauf par exemple La Sagouine. J’ai vu cette semaine une publicité d’un fournisseur téléphonique des années 80 qui la mettait en vedette. Mais en dehors de ça ils ne l’avaient pas vraiment entendu, alors il y a quand même eu une petite courbe d’apprentissage.
Jacques : ça a pris un petit bout de temps à rentrer, mais une fois qu’ils ont eu envie de découvrir cet accent, en plus de tous les Acadiens exilés, ils veulent de la musique à laquelle s’identifier. Les francophones qui sont minoritaires dans un lieu s’identifient à nous. Il y en a partout au Canada, partout dans le monde.
Mais vous pensez que ç’a été un obstacle au début ? Parce que moi j’ai plutôt vu de la curiosité.
Jacques : Au début début ç’a été un obstacle. Je me souviens avec Jacobus et Maleco, avant Radio Radio, car c’est devenu Radio Radio par après, on avait un juriste québécois, un belge et un français, et ils nous ont dit que ça ne fonctionnerait pas. Ils disaient que notre plus gros obstacle était notre langue, car les gens ne nous comprenaient pas. Ils nous suggéraient de mettre du violon, notre culture dans notre musique, et nous on répondait qu’on mettait notre culture dans notre musique parce qu’on mettait notre langue, notre cœur dans notre musique. Et finalement c’est ce qui fait que les gens nous aiment.
Gabriel : Je pense que c’est un peu comme quand Johnny Depp a rencontré Vanessa Paradis ; elle avait les dents séparées, mais après un bout de temps tu vois passer ça et tu vois le charme de l’affaire. Moi j’adore ses dents et Johnny aime ses dents.
Jacques : Et elle a fini par faire Alice In Wonderland et il a fait un hommage à sa femme !
Donc on ne peut pas vous mettre dans le même bain… Parce qu’au Québec le hip-hop a à un moment pris un tournant plus électro, plus deuxième degré, avec Gatineau, omnikrom…
Gab : Moi je pense qu’on n’a rien à faire avec ça. Il n’y a personne qui ne fait rien comme nous autre. Ça n’a rien à faire avec l’électro. Tous ces groupes électro ça a affaire avec la vibe qu’ils dégagent. Nous on dégage une vibe festive, de good times. Maintenant que tu fasses de l’électro ou pas ça n’a pas rapport. On dégage plus une vibe de reggae !
Jacques : Dance hall, house party
Gab : Dance Hall, célébration. Il n’y a pas d’agressivité, on n’est pas là pour chialer nous-autre. Et je trouve que dans la musique, partout où on va, il y a cette lourdeur d’esprit. Il y a cet existentialisme ici qu’on aborde, mais subtilement, avec métaphore, et je pense que c’est ce qui manque dans la musique, dans les films, dans la mode, et c’ets pour ça que je n’aime pas nous comparer à tous ces groupes életcro qu’on nomme parce qu’on dégage quelque chose de différent. Et c’et vrai qu’on utilise peut-être les mêmes softwares et les mêmes synthétiseurs, mais je pense que ça s’arrête là. Moi j’aime plus ça qu’on nous compare avec du calypso et n’importe quoi qui vient des îles qu’il fait chaud et que ça danse, et que tu veux faire l’amour et passer ton temps sur la plage.