De tous les zinzins du rock, il reste notre schizophrène préféré. Quelque chose comme un croisement doucement délirant entre un Lou Reed aux sinus sinistrés et un fada fredonnant à la Charles Trenet, narguant Chronos depuis trente ans d’un éternel printemps. A la fin des années 60, Jonathan a vu le Velvet Underground une centaine […]
De tous les zinzins du rock, il reste notre schizophrène préféré. Quelque chose comme un croisement doucement délirant entre un Lou Reed aux sinus sinistrés et un fada fredonnant à la Charles Trenet, narguant Chronos depuis trente ans d’un éternel printemps. A la fin des années 60, Jonathan a vu le Velvet Underground une centaine de fois, « autant que leurs managers » ; en 1973, il arrache en six chansons son groupe favori au cimetière. Gonflés comme un moulin de muscle car par la caution de John Cale, les Modern Lovers foncent pleins gaz dans un souterrain pavé d’or. L’orgue au tempérament d’ogre de Sister Ray course les paroles de Rock & roll Roadrunner est né, Chuck Berry (grincheux) se découvre un héritier. Avec sa guitare suffisamment venimeuse pour méduser n’importe quel spécialiste d’herpétologie, Pablo Picasso fait d’une Cadillac Eldorado la plus artistique des boîtes à partouze. Au jeu des rimes rieuses et des assonances bidonnantes, Jonathan rafle la mise ; jamais petit punk au chant morveux n’avait été à ce point drôle. Ni inconstant. A peine enregistré, The Modern Lovers est flanqué au rancart. Pour tout simplifier, l’album (évidemment formidable) ne sortira qu’en 1976, en même temps que Jonathan Richman and The Modern Lovers. Métamorphose radicale. Jonathan ne jure plus que par le rockabilly. Un rockabilly irréel, délicieusement délié, interdit de sexe et de santiags, de vulgarité comme de gomina. Les Modern Lovers signent alors d’extraordinaires BD, où les abominables hommes des neiges ressemblent à « un Marshmallow cracra avec des crocs », tandis qu’un hypermarché complexé rêve de conter fleurette à une garçonnière parisienne (Rockin’ shopping center). Retour vers l’enfance. Les Peanuts supplantent White light white heat. Mi-Charlie Brown (amoureux bredouillant à 5 ans My little kookenhaken), mi-Snoopy, le beagle mythomane, Jonathan se prend pour un petit avion ou un petit dinosaure d’humeur fugueuse et conquiert la jeunesse définitive de nos héros de comics fétiches. En deux palpitants volumes, Radio on: stop and shop with the Modern Lovers furète longuement dans cet univers merveilleux, où l’auditeur, très occupé à imaginer « à quoi peuvent bien ressembler les écolières martiennes », se découvre sur le tard une vocation de spationaute. Ou alors de paléontologue, traquant le petit dinosaure plaintif : « Je suis très vieux maintenant, vous savez/Dix millions d’années au compteur/Mais comme on ne m’aime pas ici/J’ai décidé de m’en aller. » Toujours, heureusement, Jonathan, ce sacré dino-cabotin, revient.
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