« Automatic For The People » (1992), le chef-d’œuvre du “plus grand petit groupe du monde”, ressort dans une version augmentée. Rencontre avec Michael Stipe et sa troupe.
Nous ne pensions plus vraiment entendre parler de R.E.M., séparé depuis 2011, et encore moins d’en rencontrer les membres. Et puis la nouvelle est tombée en octobre : ils allaient recevoir à Milan à l’occasion de la réédition en version collector de leur meilleur album, Automatic for the People. Sorti en 1992 et vendu à près de 18 millions d’exemplaires, ce disque constitue tout simplement l’apogée du groupe originaire d’Athens (Géorgie).
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Apogée dans tous les sens du terme : devenus populaires au-delà de leurs espérances (R.E.M. tirera pas moins de six singles de ce disque de cocagne, chacun classé en bonne position dans les charts), les hommes de Michael Stipe en profitent aussi pour connaître une épiphanie artistique que personne ne leur conteste désormais.
“L’idée était de faire un album total de R.E.M. »
Découvert par le grand public quelques mois plus tôt avec Losing My Religion, et passé par les autotamponneuses avec Shiny Happy People (titre partagé avec la chanteuse des B-52’s), R.E.M. entend se remettre un bon vieux coup de peinture indé avec ce huitième album (placé aujourd’hui en plein cœur de la discographie de la bande). “Je me souviens très bien des sessions d’enregistrement qui ont eu lieu à Miami, puis à La Nouvelle-Orléans. Il semblait se dégager de notre musique des couleurs nouvelles. Ma voix changeait, progressait. Les mélodies comme les harmonies que nous trouvions étaient nouvelles, et pourtant nous n’avions qu’une seule envie, ne pas nous éloigner de ce qu’était R.E.M., ne pas perdre cette crédibilité indé que nous avions mis tant d’années à construire. C’est sans doute pour cela que nous avons opté pour cette pochette aussi sombre : une photo en noir et blanc de l’enseigne d’un motel de Miami. Un peu glauque au final, alors que nous goûtions réellement de nouvelles saveurs dans notre musique, que nous étions joyeux”, explique un Michael Stipe souriant qui, pour info, a coupé la barbe de six ans qu’il arborait ces derniers temps.
A ses côtés, le bassiste Mike Mills enchaîne :
“L’idée était de faire un album total de R.E.M., de rassembler dans des chansons tout ce que nous savions faire. De ce point de vue, les sessions ont été d’une richesse exceptionnelle. Et surtout Michael chantait divinement bien. Je me souviens parfois avoir échangé des regards avec Peter Buck (guitariste de R.E.M. – ndlr) qui disaient : ‘Waw, il est quand même fort le cochon. »
Une oeuvre tirée vers le haut
Sur Automatic for the People, la voix de Stipe, reconnue comme l’une des plus belles mais aussi l’une des plus tristes de l’histoire du rock, semble poussée par une lumière nouvelle. Que ce soit à l’écoute de Nightswimming ou de Find the River, ces deux merveilles qui concluent l’œuvre, ou encore de Everybody Hurts, devenu un tube contre toute attente, Stipe tire tout R.E.M. vers le haut en prenant plus que jamais ses responsabilités.
Les textes, eux aussi, prennent de l’ampleur. “Nous avions envie de parler de l’Amérique, d’explorer les mythes et les territoires qui constituent ce continent. J’écrivais des textes sous influence beat, avec cette envie de n’être jamais au même endroit dans mes références. C’est ce qui fait, je crois, d’Automatic for the People notre disque le plus cinématographique”, raconte Stipe. Il suffit, pour s’en convaincre, de tomber sur le titre d’ouverture, le bien nommé Drive, une traversée où poussent des champignons forcément hallucinogènes : sur le siège du passager, on jurerait voir défiler Kerouac, Patti Smith, ou encore Neil Young, s’émerveillant du voyage que proposent les quatre d’Athens, plus compacts, libres et ambitieux que jamais.
Une influence historique
Il faut aussi écouter Man on the Moon, morceau dédié au génie comique – et pas seulement – que fut l’humoriste et trublion Andy Kaufman : l’un des rares titres rock (avec Highway Patrolman de Springsteen, devenu la trame de The Indian Runner de Sean Penn) à avoir inspiré un film à part entière, c’est-à-dire le biopic du même Kaufman, signé Milos Forman (en 1999).
Et puis, enfin, il y a l’importance historique de cette œuvre : on dit ainsi que Kurt Cobain, peu avant d’enregistrer Unplugged avec Nirvana, et peu avant sa mort, était resté bloqué sur Automatic… et avait décidé de débrancher sa guitare une bonne fois pour toutes. Stipe : “On ne saura jamais réellement quelle aura été l’influence de cet album sur Kurt, mais la réalité est que Peter Buck s’était installé près de chez lui à Seattle à l’époque où nous avons conçu ces chansons. Je pense qu’ils échangeaient beaucoup. Et de manière générale, la ‘mésaventure’ qui est arrivée à Nirvana, celle d’être exposé brutalement, nous a aussi beaucoup inspirés pour ce disque. »
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