De Soundcloud jusqu’aux scènes des plus grands festivals internationaux, le Brésilien Victor Hugo de Oliveira dit Vhoor transcende les codes de son genre de prédilection, le baile funk. En marge de la dernière date de sa tournée européenne à Genève, le jovial producteur a retracé la trajectoire de son irrésistible ascension.
Lorsque l’on rencontre Vhoor fin juin 2023 dans un hôtel feutré du centre-ville genevois, le natif de Belo Horizonte âgé de 24 ans est excité à l’idée de conclure en beauté une tournée européenne rondement menée. Cet ambassadeur ultra curieux d’une nouvelle génération de baile funk, cette musique électronique ayant surgi des favelas de Rio de Janeiro au cours des années 1980, a su secouer les foules de Primavera Sound à Barcelone jusqu’au renommé Jazz Café de Londres, dont il revient fraîchement.
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Malgré la fatigue accumulée et le rythme soutenu de cette virée européenne, le jeune producteur brésilien ne boude pas son plaisir. Bien au contraire, il nous fait même part de sa gratitude en évoquant son concert de la veille : “Hier à Londres, c’était un événement que j’attendais énormément. Je me demandais : ‘Est-ce que je vais remplir cette salle ?’ Quand je suis arrivé et j’ai vu que c’était plein, ça m’a beaucoup touché.”
L’humilité et la simplicité toute brésilienne du garçon originaire de l’État de Minas Gerais n’atténuent en rien ses accomplissements menés depuis environ sept ans. De son essor sur la plateforme Soundcloud, qu’il continue toujours de fournir généreusement en bangers ambitieux, à son statut grandissant de super producteur très demandé dans son pays, et de plus en plus à l’international, Vhoor embrasse pleinement et avec passion un destin qu’il n’aurait probablement pas rêvé il y a quelques années. Avec déjà deux EP à son actif cette année et une phénoménale première Boiler Room enregistrée à Barcelone, on a voulu savoir de quoi se nourrissait l’intarissable inventivité du beatmaker belo-horizontino.
Curiosité tout terrain
Loin des viviers musicaux du pays que sont Rio de Janeiro et São Paulo, Vhoor grandit paisiblement dans un milieu populaire au sein de la sixième plus grande ville brésilienne. Grâce à ses parents qui l’expose à une grande variété musicale, notamment de la MPB (Musique Populaire Brésilienne, NDLR), celle-ci occupe déjà très tôt une place importante dans sa vie : « Mon père travaillait déjà dans la musique, lui et ma mère étaient musiciens pour des soirées et des mariages, raconte-t-il. « Ma mère était opératrice en télémarketing et mon père était archiviste, mais pour joindre les deux bouts, ils chantaient aussi dans des bars le soir et donnaient des cours de guitare. J’ai toujours baigné dans la musique« .
La réputation de Belo Horizonte n’a que peu à voir avec son héritage musical, bien que la capitale de Minas Gerais ait vu éclore quelques unes des plus belles pierres angulaires de la musique brésilienne, comme le culte double album Clube da Esquina du chanteur Milton Nascimento et du guitariste Lô Borges. C’est donc dans cette cité à la vivacité musicale méconnue que Vhoor s’est constitué une solide culture au fil des ans (se révélant presque encyclopédique lors de notre échange), fait d’un va-et-vient permanent de son champ d’exploration entre les scènes locales, nationales et internationales : « J’ai toujours aimé le funk brésilien mais aussi d’autres genres comme le forró, le sertanejo, les chansons folkloriques du Brésil, partage-t-il avec entrain. « Depuis longtemps, mon père est un grand passionné de stations de radio du monde entier. Il téléchargeait des applications pour pouvoir écouter ce qui passait en Australie, en Espagne, un peu partout. J’ai grandi avec ça. »
Et s’il n’avait pas « la prétention de jouer » devant un public lorsqu’il commence à mettre son nez dans la production via le fameux logiciel Fruity Loops, lui qui se reconnait volontiers comme un « producteur casanier, plutôt timide« , les efforts assidus du gamin de BH ne passent rapidement pas inaperçus. Ces expérimentations en tous genres publiées sur Soundcloud lui valent, entre autres, les louanges du producteur américain Sango (entendu chez Frank Ocean, Smino, Bryson Tiller…), qui l’adoube et avec lequel il collabore à de nombreuses reprises depuis 2019. Deux plus tard, il atteint un premier point culminant de sa jeune carrière en imaginant le futur du baile funk aux côtés du rappeur FBC, également originaire de Belo Horizonte, sur une mosaïque brute de 10 titres en forme d’opéra urbain, le bien nommé BAILE. Ensemble, ils élaborent une vision régénérée de la rythmique et de l’esthétique originel du genre, tout droit hérité de la Miami Bass des 80’s, pour dépeindre les vices et coutumes des périphéries brésiliennes, dont l’obsédant Se Tá Solteira s’est imposé comme l’incontestable tube.
Dépasser les frontières
Vhoor fait actuellement partie des rares artistes de la scène funk brésilienne à s’exporter à l’international, bien que le genre gagne du terrain au niveau national et que la scène se structure pour un avenir meilleur : “Je pense que le baile funk vit une très bonne période. Il y a beaucoup de producteurs de baile funk au Brésil, il y en a toujours eu, mais aujourd’hui, le genre s’étend à d’autres États, parce qu’il s’est toujours concentré sur Rio de Janeiro. Il est passé de Rio à São Paulo et maintenant, ça se répand dans tout le pays”, s’enthousiasme-t-il.
Conscient de sa chance, le producteur et DJ voit comme une expérience stimulante et revendicatrice l’opportunité de représenter cette musique indissociable des laissés-pour-compte de la société brésilienne en dehors de chez lui. Bien qu’il ne le vive pas toujours avec assurance : “Parfois, je joue dans des endroits où je me dis qu’il doit y avoir un gouffre culturel en raison de la distance entre nos pays”, lâche-t-il soucieux, avant d’enchaîner sur une anecdote de sa tournée. “Je me suis retrouvé en Pologne, je n’avais aucune idée de comment les gens allaient réagir au baile funk, pareil à Dortmund. Ces villes sont tellement lointaines de là où je viens. Mais le public aime beaucoup, et chaque fois un peu plus que je viens ici !”
Ces dates en pagaille lui valent de bonnes surprises : “Lorsque j’étais en Pologne, un gars est venu me voir pour me dire qu’il était fan de ma musique et qu’il connaissait tous mes albums, waouh, c’est incroyable !” Pour comprendre l’ampleur de ce phénomène encore aux premières lueurs de son rayonnement, il n’y avait qu’à ressentir la réception extrêmement chaleureuse de son set à La Gravière de Genève, dans une salle pleine à craquer de ressortissant·es brésilien·nes, et sur invitation de l’excellent collectif genevois de global club Ozadya.
“Dans chaque lieu où il est joué, le baile funk est une manifestation de la manière dont les gens font et apprécient la fête”, nous détaille Vhoor dans les derniers instants de notre entretien, avant de reprendre des forces pour son show à venir. Il s’agit peut-être là de la description la plus juste de la philosophie intrinsèque du baile funk, parfaitement encapsulée dans sa Boiler Room catalane.
Avant de se quitter, Victor nous fait partager un souvenir d’apparence anodine lui traversant l’esprit, mais qui en dit long sur son ébullition créative et sa soif de tisser des connexions aussi bien sonores que culturelles : “Quand j’étais à Londres hier, j’entendais des voitures jouer de l’amapiano, j’ai trouvé ça super cool et original ! J’en ai vu plusieurs en jouer et j’ai fait le parallèle avec les gens qui écoutent du funk au Brésil, c’est la même chose. C’est bien de se rendre compte des similitudes entre les genres musicaux, pour les reproduire et réaliser un échange culturel.”
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