Depuis Barcelone, Rosalía, 24 ans, dépoussière le flamenco en le mêlant au r’n’b. Un mix auquel Pedro Almodóvar et Pharrell Williams ont déjà succombé.
Nous pourrions facilement commencer cet article par la citation attribuée à Lavoisier : “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.” On vous épargnera cet affront. Reste que le flamenco, danse et chant folkloriques andalous, né aux alentours du XIIe siècle a soudainement atterri dans nos casques. L’opération ne vient pas du Saint-Esprit. Elle a la simplicité du prénom – Rosalía – et la jeunesse du chiffre : 25 ans. Quand d’autres essorent les années 1990 jusqu’à s’exploser la tête sur du Gala de beau matin, Rosalía ressuscite le flamenco.
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Non pas que le flamenco ait été mort, loin de nous cette pensée. Rosalía reprend le flamenco, mais aussi le transforme, le confronte plutôt : à la pulsation du r’n’b, à la musique électronique, aux beats dénudés, aux refrains syncopés, aux basses lourdes. Rosalía se fend même d’une reprise de Cry Me a River, tube culte de r’n’b de Justin Timberlake sorti en 2002, qui s’assurait ainsi des décennies de cool. Seize ans plus tard, la coolitude fonctionne toujours à plein régime. Il faut dire que la reprise est excellente, reconnaissable dès les premières notes tout en prenant son envol, en espagnol et loin de Timbaland (producteur de l’original). Elle s’appelle Bagdad et explose sur El Mal Querer, son deuxième album après Los Angeles qui avait échappé à nos radars.
Entre traditions et modernité
Notre histoire avec elle commence en mai dernier avec le clip de Malamente. S’y entrechoquent le folklore espagnol et la pop culture actuelle : un nazareno (pénitent de la Semaine Sainte de Séville) en costume traditionnel avec sa capirote (ce chapeau pointu en forme de cône) en train de skater, de multiples références à la corrida – Rosalía perchée sur une moto incarnant le taureau face au toréro, par exemple – une bande de filles qui dansent en mêlant chorés façon Britney Spears et flamenco.
Le morceau déroule lui aussi des tonnes de passerelles, intégrant les palmas, ces fameux claquements de mains, et une rythmique électronique figurant le zapateado, ces claquements de pieds typiques de la danse flamenco. En son cœur, la voix de Rosalía alterne vocalises traditionnelles et modernité du chant grave, profond, rappelant presque dans son affirmation la prise de position “unapologetic” d’une Princess Nokia.
Si l’esthétique tient une place importante, elle ne surpasse jamais les morceaux, capables de vivre seuls, forts de leur complexité passé/présent, fiers de puiser dans cet art ancestral trop souvent taxé de poussiéreuse ringardise. Rosalía n’y va pas de main morte, certains titres de l’album (Que no salga la luna) abandonnant toute allusion actuelle pour se concentrer sur le duende pur et dur, avec entrelacs de voix féminine et masculine. Car El Mal Querer (que l’on pourrait traduire par “le mauvais amour”, ou “la mauvaise façon d’aimer”) conte l’histoire d’un amour “retourné, sens dessus dessous”, nous dit-elle par téléphone. “Je voulais explorer la violence, la passion, la possession, toutes ces zones d’ombre de l’amour. Quand tu ne sais pas comment aimer.”
Obnubilée par le flamenco
Découpé en chapitres, l’album s’inspire de Flamenca, roman d’amour courtois du XIIIe siècle, “l’histoire d’une jeune femme fiancée à un homme qui devient fou de jalousie et l’emprisonne”. Elle est comme ça Rosalía, férue de chants grégoriens, obnubilée par le flamenco qu’elle découvre seule, enfant, et qui la prend aux tripes. “Mes parents écoutaient plutôt Supertramp, Queen, Bob Dylan”. Elle, se plonge dans La Niña de los Peines, Camarón de la Isla, Lole y Manuel, Enrique Morente. A 16 ans, elle commence à apprendre auprès d’El Chiqui (Chiqui de Jerez). “La musique, c’est ma vie. Je ne sais pas comment vivre autrement. Je ne pense qu’à ça, du lever au coucher, sur scène et en studio. C’est un besoin.”
“Je veux être leadeuse et envoyer un message aux jeunes filles, leur montrer que cette industrie n’appartient pas qu’aux hommes.”
Si Rosalía vient de la banlieue barcelonaise, elle conçoit son premier album à Los Angeles, sa cité de cœur, et obtient cinq nominations aux prestigieux Latin Grammy Awards. Pedro Almodóvar la suit, devient son ami et lui offre un rôle dans son prochain film, Dolor y gloria, aux côtés de Penélope Cruz (dont la sortie prévue pour 2019). Elle tape dans l’œil de Pharrell Williams qui l’invite à enregistrer un morceau à ses côtés aux studios Conway, toujours à LA. Bref, tout sourit à cette bosseuse invétérée qui, bien qu’ayant signé chez Sony, est décidée à prendre elle-même toutes les décisions artistiques touchant à son projet.
« J’essaye toujours d’être forte sur scène »
“J’ai toujours adoré Björk, Beyoncé car elles produisent elles-mêmes leurs morceaux. J’essaye toujours d’être forte sur scène, dans ma musique, d’avoir l’autorité. Je veux que ce soit ma vision. Je choisis les gens qui m’entourent afin de réaliser au mieux le projet que j’ai en tête. Je veux être leadeuse et envoyer un message aux jeunes filles, leur montrer que cette industrie n’appartient pas qu’aux hommes.” Bien dit.
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