C’est l’un des cartons rap français de ce premier trimestre 2017. Kekra et son masque de chirurgien carburent avec Vréel 2, forment un ovni plus qu’intrigant et partent désormais s’attaquer aux scène de France. Qui est-il ? Que nous veut-il ?
« Je suis né le jour où mes sons sont sortis sur YouTube. » Kekra n’est pas compliqué. Il suit les modes, ne parle pas ou peu, reste fidèle à son concept de rappeur masqué. Un Zorro rap du 92 qui ne venge personne, qui roule pour lui. Quoique. Celui qui cartonne avec son second album, Vréel 2, est plus altruiste qu’il n’y paraît. Si il ne se dévoile pas, c’est parce qu’il a découvert qu’en Asie, beaucoup de gens portent un masque non pas pour se protéger des virus ou de la pollution, mais aussi pour ne pas contaminer les autres. Que peut-il bien y avoir chez Kekra de si contagieux ? Mystère, comme pour sa véritable identité, qui se limitera à un type talentueux originaire de Courbevoie. Certains lui prêtent des racines marocaines, on ne se risquera pas à l’affirmer. On sait à quoi ressemblent Kalash Criminel ou Siboy sous leur cagoule. Mais rien sous le masque l’interprète de Vréel 2.
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« C’est ma musique qu’il faut écouter »
Kekra a l’air de sortir de nulle part. D’autant qu’il a démarré le rap il y a peu, dans des freestyles entre potes, sans réellement penser en faire quoi que ce soit. Sauf que deux mixtapes plus tard, Free Base (2015) et Freebase 2 (2016), forcé de constater qu’il y a quelque chose à tirer de ces prédispositions au flow et de ce concept d’anonymat. Et ce qu’il y a à tirer, c’est avant tout de l’argent. « C’est moins risqué qu’un autre business », nous avouait-il en 2016 lors de la sortie de son premier album, Vréel. Il le dit d’ailleurs sur Laissez Moi : « J’écris couplet pharmaceutique / Tout ça pour faire de la maille / Tout ce qui compte c’est faire la maille / J’veux pas finir sur la paille ». Vu le succès actuel de Vréel 2, c’est peu probable en effet.
Kekra ne donne pas d’interview en 2017. Il était déjà compliqué de lui tirer les vers du nez, là, le concept va plus loin. L’an dernier, il nous confiait tout de même : « Je ne veux pas qu’on s’attarde sur moi, c’est ma musique qu’il faut écouter. » Ce que l’on sait par contre, c’est que Kekra est un voyageur. La Thaïlande est sa résidence secondaire, il y va au moins une fois par an, tourne ses clips là-bas (Pas Payé) mais aussi au Japon (Envoie la monnaie) ou plus récemment au Togo et aux Philippines (Sans Visage). Même ses textes semblent rédigés durant de longs trajets, comme celui de Styliste : « J’écris ce qui pue le vécu sur un coup de tête […] Pendant que je roule dans le wagon de ma couchette ». Toujours masqué, bien sûr, voir capuché.
Booba et Young Thug
Vréel avait des allures de panorama. Le concept entre le « vrai » et le « réel » était raccord avec l’ambiguïté entre le rappeur et le personnage. Mais le rap français a changé en un an, Kekra aussi logiquement. Cette fois, si le concept reste, le parti pris mélodique est plus fort, et ce dès les premiers beats de Vréel 2. L’excellent Walou ouvre un album aux basses drones (Family), aux beats parfois très électroniques (9 Milli), à l’autotune plus subtil, plus généralisé aussi que sur ses précédents projets. Le titre Sans Visage est envoyé au front comme single pour à la fois asseoir le concept du bonhomme et pour scander : « Sans visage, m’écarter de la hess, j’envisage / Ces bâtards d’rageux voudraient pouvoir me stopper / Pendant que la famille elle voudrait me voir exploser ».
Il doit aussi le succès de Vréel 2 à son titre 9 Milli, banger chelou teinté de grime, au clip le mettant en scène dans la capitale nippone, à cavaler entre les néons, les gigantesques passages cloutés bondés et les stations de métro sans âme. Plus ça va, plus les références à l’Asie sont nombreuses. Normal pour un féru de mangas. Il y a Young Thug aussi, qu’il cite régulièrement, et puis Booba, du 92 comme lui, qui lui a filé un sacré coup de pouce en postant certaines de ses actus sur ses réseaux l’an dernier.
Le 20 mai à la Gaité Lyrique
Sur Vréel 2, Kekra et son masque de chirurgien ne font pas dans la dentelle. Il sort le scalpel, sans anesthésie, comme sur P.P.R. : « La compét’ j’la connais ap, elle voudrait m’voir flancher / Walking Dead, l’objectif c’est leurs crânes tranchés ». Sans tomber dans la métagore, dans l’odieux jouissif ou dans l’obsénité. Kekra reste relativement sage, mais terriblement chirurgical. Assagi ? Pas forcément, mais le spleen qui construit actuellement bon nombre de carrières dans le rap est sous-jacent : « Ma cité qui brûle vue d’l’hélico’ / Je vois souvent ça quand je songe la nuit / Regard glaçant comme eskimo / Jamais je m’endors sans les rideaux / Cause de ma mort dans l’édito / Je n’veux pas lire de bouquin sur ma vie / J’préfère la monnaie au punani / J’me rappelle des grosses journées sous qualif’ / Récupération d’lovés sous canif », sur Trop Loin.
Prochaine étape, les lives. A Paris à la Gaité Lyrique le 20 mai, mais aussi à Roubaix deux jours plus tôt, à la Cave aux Poètes. Pas sûr que le bonhomme se targue de faire de la poésie, mais il faut aller voir l’énergumène sur scène pour mieux le comprendre. Sans espérer y voir son visage, évidemment.
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