En fin de semaine dernière, la police du Nevada annonçait avoir arrêté et inculpé Duane Davis pour le meurtre de 2Pac, survenu en septembre 1996. De quoi déclencher des dizaines de questions en rafales : pourquoi cette enquête met-elle autant de temps à se résoudre ? L’auteur d’“All Eyez On Me” est-il le JFK du rap ? Quid des complices de l’accusé ? Autant d’interrogations qui ne doivent pas occulter la principale : qu’est-ce qui pousse un homme à se confier plus de décennies après le drame ?
“C’était clair pour moi depuis le premier jour que la police de Las Vegas n’avait aucune intention de résoudre le meurtre de mon fils.” De son vivant, la mère de 2Pac, Afeni Shakur, n’a jamais fait de mystère quant à la volonté de la justice américaine de s’impliquer outre-mesure dans l’enquête sur la mort de son fils. Après tout, comment expliquer qu’une telle célébrité (20 millions d’albums vendus en 1996, 75 millions aujourd’hui…) puisse faire se faire abattre dans sa voiture, au beau milieu d’un carrefour de Las Vegas, sans que l’on parvienne à retrouver les coupables dans les heures ou les jours qui suivent ?
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En ce soir du 7 septembre 1996, tout avait pourtant bien commencé. La météo est on ne peut plus clémente et le Strip de Las Vegas regorge d’automobilistes se dirigeant avec ferveur vers le MGM Grand Hotel afin d’assister au grand retour sur le ring de la légende Mike Tyson. 2Pac figure lui aussi parmi les 16 000 spectateur·rices, aux côtés de Suge Knight, le patron de Death Row, et de son garde du corps, Frank Alexander. Si le combat face à Bruce Seldon promet d’être un événement, il ne dure finalement que 109 secondes, Tyson étant tout simplement trop fort, trop vif. Tant mieux. Cela laisse le temps à 2Pac et son équipe de retourner à l’hôtel pour se changer avant de se rendre à la soirée organisée par Death Row au Club 662. La nuit s’annonce divertissante…
Un cri court dans la nuit
Quelques heures plus tard, le soleil s’est couché et l’ambiance devient subitement glaciale. Pour cause : il est 23h15 et une fusillade vient d’éclater à l’angle de Flamingo Road et de Koval Lane, sur l’Interstate 15, la principale artère pour entrer et sortir de Las Vegas. Le sergent Chris Carroll, stationné aux abords de cette intersection, reçoit alors un appel l’incitant à se rendre sur les lieux de l’incident où des dizaines de voitures se sont entassées pour tenter de comprendre ce qui vient de se produire : touché par quatre balles, 2Pac vient de tomber comme une masse dans les bras du sergent, victime d’un drive-by-shooting dont il succombera le 13 septembre à 16h03. Pour l’éternité, le rappeur sera le numéro 855971.
Depuis, il y a eu bien des rumeurs. On a accusé la police d’être impliquée dans la disparition de cette figure politisée de la musique, ce “messie noir” comme le surnomment certain·es. On a également prétendu que tout accusait Suge Knight, assis au volant de la BMW noire de 2Pac le soir de la fusillade, dont il est toutefois sorti miraculeusement indemne. Pour les plus sceptiques, il y aurait même la possibilité que 2Pac ne soit pas mort, qu’il rappe sous une autre identité (Blac Haze, par exemple, dont la ressemblance vocale est troublante) ou qu’il écoule ses journées sur une île déserte avec Elvis et Jim Morrison. Parmi les pistes avancées, la plus sérieuse menait jusqu’alors à Orlando Anderson, ce membre des Crips passé à tabac par le rappeur quelques heures plus tôt dans le hall du MGM Grand Hotel, juste après le combat opposant Tyson à Seldon. 2Pac, victime de la guerre des gangs ? C’est désormais l’option la plus plausible.
Étranges confessions
Ces derniers jours, la justice américaine a effectivement révélé avoir arrêté un homme de 60 ans, accusé d’avoir commandité le meurtre de 2Pac. Coïncidence : Duane “Keefe D” Davis, membre des Crips également, n’est autre que l’oncle d’Orlando “Baby Lane” Anderson, assassiné lors d’une fusillade en 1998. Si le désormais suspect numéro 1 est le dernier passager de la Cadillac blanche à être encore en vie, il n’est clairement pas le dernier à se vanter d’être impliqué dans la fusillade. En 2011, déjà, dans le livre Murder Rap: The Untold Story of the Biggie Smalls & Tupac Shakur Investigations de Greg Kading, l’ancien chef de gang prétendait avoir été engagé par P.Diddy, alors patron de Bad Boy Records, afin de remporter pour de bon cette fameuse guerre East Coast vs West Coast : “Il m’a emmené en bas des escaliers et il m’a dit genre ‘Mec, je veux que tu te débarrasses d’eux’… Je lui ai alors répondu ‘On va les liquider, rapidement. Ce n’est pas grand-chose.‘”
Huit ans plus tard, c’est cette fois dans ses propres mémoires (Compton Street Legend) que Duane Davis se tire une balle dans le pied, reconnaissant être l’un des passagers de la Cadillac blanche tout en précisant ne pas être l’un des tireurs – comprenez, lui était à l’avant, alors que les tirs venaient de l’arrière, probablement de l’arme d’un certain DeAndre Smith, décédé aujourd’hui.
Dans les faits, la position de Duane Davis importe peu : pour la justice américaine, ce rôle indirect n’est pas incompatible avec une inculpation pour meurtre, d’autant que le Crips est depuis longtemps considérer comme le “cerveau de l’opération”. C’est du moins l’expression employée par Ben Westhoff, auteur d’Original Gangstas. Qui poursuit : “S’il n’a pas tiré, c’est en raison de la position de la voiture par rapport à celle de Tupac. Si la configuration avait été différente, il aurait appuyé sur la gâchette.”
Depuis, de nouvelles questions ont fait leur apparition : qu’est-ce qui pousse un homme, plus de deux décennies après les faits, à se confesser ainsi ? Est-ce par fierté (avant Duane Davis, d’autres ont prétendu être impliqués dans ce meurtre…) ou simplement par volonté de se purger de ses péchés ? Seule certitude : la justice américaine a profité de ce témoignage pour rouvrir la conquête (ou du moins, y ajouter des preuves concrètes) et perquisitionner le domicile de sa femme en juin dernier. “Il a fourni sa propre série de déclarations qui sont tout à fait cohérentes avec les preuves rassemblées par les enquêteurs”, confirmait le lieutenant de la police de Las Vegas Jason Johansson il y a quelques jours, lors d’une conférence de presse. Avant d’affirmer : “Duane Davis a commencé à élaborer un plan pour obtenir une arme à feu afin de se venger de Suge Knight et de M. Shakur”.
“Combien de temps pleureront-ils ma mort ?”
Ces derniers jours, les proches de l’auteur d’All Eyez On Me ont bien évidemment pris la parole pour manifester leur soulagement. Sekyiwa Shakur, sœur de, est même allée jusqu’à parler de l’arrestation de Duane Davis comme d’une victoire, tout en refusant de se poser la même question que le reste de la population : “pourquoi maintenant ?”. Pour elle, comme pour le demi-frère de 2Pac, Mopreme Shakur, il s’agit plutôt de se demander : “encore combien de temps ?”. Combien de temps avant que le verdict ne soit rendu ? Combien de temps avant que cet homme, “à la langue bien pendue depuis des années”, ne révèle le nom de ses complices ? Combien de temps avant que Suge Knight, qui a déclaré ne pas vouloir témoigner contre Duane Davis, précisant au passage qu’Orlando Anderson n’était pas impliqué dans cette affaire, ne révèle ce qu’il sait vraiment de cette soirée morbide ?
C’est que derrière le côté amusant et divertissant que peuvent avoir les rumeurs autour de cette affaire, la mort de 2Pac révèle avant tout la lenteur du système juridique américain (qui, de longue date, connaissait la chronologie des faits sans pour autant avoir les moyens de les prouver), l’opacité des relations entre les forces de l’ordre et Death Row, la toute-puissance des gangs, ainsi que la lucidité du rappeur quant à sa triste issue : “How Long They Will Mourn Me ?”, rappait-il en 1994, probablement conscient de faire partie de cette longue liste de héros mortels dont la brièveté de leur passage sur Terre renforce la dimension iconique.
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