Dans les vidéos signées Quentin Dupieux, les filles en mouillent pour des bonshommes en glaise grisâtre et les DJ jouent de la guitare avec une minerve. Vidéaste mais aussi musicien DJ, succès de l’année avec sa bébête Flat Eric sous le pseudo de Mr. Oizo et auteur d’une célèbre campagne de pub, il explique comment l’image flatte l’abstraction des musiques électroniques. Et affirme qu’en France il se passe plus de choses dans le clip qu’au cinéma.
Flat beat de Mr. Oizo, Party people d’Alex Gopher, Flashback de Laurent Garnier : tous tes clips sont jusqu’à présent des mises en images de musique électronique. Quel est l’intérêt du visuel sur des sons aussi abstraits ?
Je pars d’un choix musical précis. Après, l’intérêt de ce genre, sa qualité, c’est qu’il n’y a pas de message. L’absence de message fait que ce sont des musiques accessibles à tous. Je ne pourrais pas travailler sur de la chanson à textes. Dans le cas du clip de Party people d’Alex Gopher, je voulais aller à l’encontre de l’atmosphère très festive du titre. On a donc tourné dans une piscine vide, avec ce personnage de boue, très loin de ce que dégage la musique a priori. Pour un clip, on te demande de faire quelque chose avec une musique, sans te dire quoi exactement. Mais le fait qu’il s’agisse d’une commande légitime l’image. Paradoxalement, je me pose moins de questions sur ce que je tourne, par rapport à mes courts métrages, puisque le résultat final a déjà une raison d’être. Nightmare sandwiches, qui est mon premier clip, sur Crispy bacon de Laurent Garnier, dure ainsi 15 minutes. C’est d’ailleurs plus un court métrage qu’un clip au sens strict du terme. Aujourd’hui, je n’en suis pas trop fier, je trouve que le film est plein d’erreurs, que les idées sont mal exploitées. Mais ce que je trouve génial, c’est que la chaîne M6 continue de le diffuser, dans toute sa longueur, en jouant le jeu.
Dans la lignée de Chris Cunningham (notamment auteur de la dernière vidéo de Björk), les jeunes réalisateurs de clips semblent aujourd’hui plus inventifs dans leur traitement de l’image. Une renaissance du clip qui accompagne le succès des musiques électroniques.
C’est que la musique aujourd’hui est plus intéressante. Les gens qui la font sont plus ouverts musicalement. La musique électronique véhicule quelque chose de très modelable. Elle est basée sur un principe de répétition qui sied bien à l’image. Elle offre une certaine facilité d’invention. Le clip de Chris Cunningham pour Aphex Twin, Come to daddy, offre un exemple parfait d’alchimie entre musique et images. A l’opposé, j’ai toujours trouvé abstrait un clip de rock qui ne montre pas le chanteur ou le groupe. C’est une nécessité de voir le mec jouer de la guitare. Entendre un groupe sans le voir, ça me fait toujours bizarre. La bonne musique électronique je me méfie de l’appellation « techno », là je parle vraiment des 2 % intéressants d’électronique ressemble à une bonne musique de film : tu ne l’entends pas, tu la ressens. Elle s’efface presque. C’est ce qui fait la qualité du clip de Hey boy hey girl des Chemical Brothers. Quand je regarde ce clip, je n’écoute plus la musique, je suis dans un univers. Je ressens la musique sans l’écouter, comme dans un club.
Tes clips consacrent aussi la mort de l’artiste comme pop-star : tu n’apparais pas dans ton clip, Alex Gopher non plus et Laurent Garnier se déguise dans le sien.
En musique électronique, on n’est pas des pop-stars. On ne fait pas de shows. On n’a pas envie de se montrer. On fait de la musique chez nous, sur nos home-studios. C’est un rapport plus intimiste à la musique. Je ne crois pas que le public ait envie de voir à quoi ressemblent les Daft Punk. Ce n’est pas intéressant que j’apparaisse dans mes clips. Je n’ai rien à dire, rien à chanter, j’ai une gueule normale. C’est toute la différence entre Laurent Garnier et Madonna. Dans Flashback, Laurent Garnier est là en tant que comédien : il joue le rôle d’un guitariste à la manque, il a un bras dans le plâtre, il parle comme un débile. Il n’est pas là en tant que Laurent Garnier. Je suis sûr que des gens voient ce clip sans savoir que c’est lui. En fait, c’est même une voie possible pour les autres : on pourrait intervenir dans nos clips sans que les gens s’en rendent compte.
A quoi sert un clip de musique électronique ?
Mais le clip ne sert à rien. Quand tu vois Britney Spears à la télé, là ça sert. Le clip fait vendre parce qu’en écoutant le disque, les mecs auront l’impression d’avoir la fille à côté d’eux. Parce qu’elle fait vendre ses disques. Dans notre cas, ça ne sert pas à grand-chose. Ce n’est pas ça qui fait vendre nos disques. C’est plutôt une forme d’art. On peut s’intéresser à un clip même si la musique est à chier. En France, il se passe bien plus de choses dans le clip qu’au cinéma parce qu’on peut s’y permettre plus de choses. Attention, là encore, je ne parle pas du clip en général, mais des 2 % intéressants.
Quelle est ta définition d’un clip intéressant ?
Sabotage des Beastie Boys (réalisé par Spike Jonze). Pour moi, c’est le meilleur au monde. Je ne peux pas dire pourquoi, et c’est ce qui est bien. Il n’y a rien à analyser.
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