C’était l’ultime projet artistique de Bowie. La pièce créée à New York et très librement inspirée du film « L’homme qui venait d’ailleurs » vaut-elle le déplacement à Londres ? Verdict.
La mort, non contente d’être une sacrée emmerdeuse, est aussi une redoutable attachée de presse. Depuis sa disparition, tout ce qui touche à David Bowie relève désormais du sacré. C’est d’autant plus vrai pour Lazarus, l’ultime projet du chanteur-transformiste. D’abord montée à New York où elle s’est jouée sold out pendant trois mois, la comédie musicale débarque sur la scène (ou plutôt sous la tente, le théâtre étant en fait un gigantesque chapiteau planté sur l’esplanade de la gare de St Pancras) du King’s Cross Theatre de Londres avec un cast quasi-identique et une scénographie à peine remaniée.
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Michael C Hall est Thomas Jerome Newton dans « Lazarus » (photo DR)
La pièce, mise en scène par le Belge Ivo van Hove, se veut une suite de L’homme qui venait d’ailleurs dont l’intrigue se situe quelques années après celle du film qui donna à Bowie son premier rôle au cinéma. On y retrouve le personnage Thomas Jerome Newton (cette fois incarné par le comédien Michael C. Hall), alien immortel échoué sur Terre et vivant désormais reclus dans un appartement new-Yorkais d’un beige atroce. Ce Dorian Gray de l’espace emploie désormais ses journées à se défoncer au Gin, à la télévision et aux gâteaux fourrés à la crème. Prisonnier d’un monde qui n’est pas le sien, obsédé par le souvenir de son ex et parasité par un entourage malsain, Newton s’enfonce peu à peu dans la folie.
Boucler la boucle
En emboîtant comme des legos les chansons de son répertoire, Bowie aurait pu raconter mille autres histoires, celle de Ziggy Stardust notamment (projet maintes fois avorté). Mais le chanteur a préféré reprendre la trame du film qui l’a installé en tant qu’acteur, comme pour boucler une boucle qui n’appelait pourtant pas de variation.
Sur scène, Lazarus doit évidemment beaucoup aux chansons du Starman mais aussi au charisme de Michael C. Hall (Dexter, Six Feet Under). Si le comédien ne rivalise pas avec la vulnérabilité extrême de Bowie dans le film de Nicolas Roeg (physiquement, Hall n’a rien du vampire rachitique et cocaïné qu’était le chanteur en 76), sa présence massive et son timbre de voix « bowien » sont captivants. C’est sa performance à Broadway dans « Hedwig and the Angry Inch » qui aurait convaincu van Hove et Bowie de lui confier le rôle de Newton.
Après avoir joué dans les comédies musicales de Green Day et de Sting, l’acteur Michael Esper a quant à lui été choisi pour jouer le rôle de Valentine. Ému, le comédien se souvient avec Lesinrocks.com de sa rencontre avec David Bowie:
« Il m’a longuement parlé d’où il venait, de son besoin d’amour… J’ai eu l’impression qu’il me prenait sous son aile. Dans ce sens, c’est ce qu’il a réalisé tout au long de sa carrière. Regarde ce qu’il a fait pour Lou Reed ou Iggy Pop: ils les a recueillis au moment où ils étaient au plus bas et leur a dit : « Ok, maintenant tu es avec moi. »
Le comédien Michael Esper joue le rôle de Valentine dans « Lazarus » (Photo DR)
« Bowie a écrit cette pièce en sachant qu’il allait mourir »
Conscient du caractère crépusculaire de la pièce, l’acteur ne savait pourtant rien de l’état de santé de la rockstar jusqu’à sa disparition le 10 janvier 2016 :
« On a appris sa mort à la veille de l’enregistrement de l’album. Je ne savais même pas qu’il était malade. Aujourd’hui, je sais qu’il a écrit cette oeuvre en sachant qu’il allait mourir. Des aspects de la pièce qui initialement pouvaient sembler abstraits sont soudain devenus très littéraux et personnels. »
Si Lazarus impressionne techniquement (notamment par l’utilisation ingénieuse des projections), elle laisse surtout un goût d’inachevé. Sans doute pressé par le temps qui venait à lui manquer, Bowie n’a pu mener à terme son grand rêve théâtral. Même co-écrite avec le dramaturge irlandais Enda Walsh (scénariste du film de Steve McQueen, « Hunger »), l’intrigue de Lazarus est brouillonne (malgré quelques clins d’oeil appuyés à Beckett ou Lewis Carroll), les dialogues y sont souvent faibles, parfois amusants mais jamais mémorables.
Mausolée conçu de son vivant
Mais aussi imparfaite fût-elle, Lazarus reste une œuvre en phase avec les thèmes de prédilections de Bowie, à savoir : la mort, l’espace et l’aliénation.
L’ultime cadeau de Bowie à nous autres simples terriens. Plus jeune, l’artiste a souvent répété qu’il souhaitait mettre en scène sa propre disparition, à l’image d’un de ses écrivains préférés, le Japonais Mishima. Et tels les pharaons, il a conçu son mausolée de son vivant.
Michael C. Hall et Amy Lennox (Photo DR)
Et si les réinterprétations des chansons de Bowie ne sont pas toujours convaincantes, il y a quelque chose de déchirant à entendre encore une fois sur scène ses mélodies (dont trois inédits comme le sublime No Plan) ou les paroles de la chanson-titre (« Regarde là haut, je suis au paradis« ) résonner par-delà le Styx.
« Lazarus » de David Bowie et Enda Walsh, mise en scène par Ivo van Hove jusqu’au 22 janvier 2017 au King’s Cross Theatre à Londres.
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