Annoncée en grande pompe au mois de mars, l’édition “10th Anniversary” du dernier album de Daft Punk “Random Access Memories” est enfin disponible, augmentée de neuf plages supplémentaires, entre inédits, démos et documents témoignant du processus d’enregistrement du disque. Mais tout valait-il la peine d’être entendu ? Notre track by track.
Fallait-il que Daft Punk dévoile les plages inédites qui dormaient jusque-là dans ses placards ? Le duo, dont le suicide du 22 février 2021 est documenté dans une séquence vidéo extraite de l’immense Daft Punk’s Electroma (2006) et habillée par une version revisitée de son classique Touch (qui compte parmi les neuf titres supplémentaires de la réédition de Random Access Memories à l’occasion des dix ans de l’album), a, depuis l’officialisation de sa fin, débuté un travail de mise en ligne de ses archives, essentiellement constituées jusque-là de captations live et de remixes inédits (notamment pour les 25 ans de Homework, le premier album du groupe paru en 1997).
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Dire que l’on attendait avec impatience de découvrir ce que les sessions d’enregistrement hasardeuses, tâtonnantes, grandioses et étendues sur plusieurs années de Random Access Memories, avaient laissé de côté est un euphémisme. À l’aune de quoi pouvions-nous imaginer que ces chutes de studio pouvaient nous intéresser ? De plusieurs indices, à commencer par la présence sur l’édition japonaise lors de sa sortie d’un titre, Horizon, ballade introduite par une guitare acoustique floydienne à la puissance de fascination sidérante, augurant de beaux trésors cachés. Ou encore de ces propos de Julian Casablancas, déjà présent sur le plus beau titre de l’album, Instant Crush, qui évoquaient ci et là l’existence d’un deuxième titre enregistré que le leader des Strokes décrivait “comme un jazz moderne bizarre (…) plus bizarre que n’importe quelle autre chanson du disque”. Ce deuxième titre, c’est Infinity Repeating, crédité en temps démo, et il s’écoute enfin après des années de spéculations.
Promesses d’avenir en archives
Croisé récemment autour d’un petit-déjeuner au cours duquel il revenait sur la composition de Mythologies, son album classique pour le ballet d’Angelin Preljocaj du même nom, Thomas Bangalter nous confiait que la plupart des morceaux de Random Access Memories avaient bénéficié de sections symphoniques. Les inédits publiés ici en témoignent.
Alors, fallait-il que Daft Punk dévoile les plages inédites qui dormaient jusque-là dans ses placards ? Oui, et pas seulement pour des raisons fétichistes, ni par souci d’exhaustivité, et encore moins pour enticher notre étagère d’un énième objet de collection. Mais parce que, avec la justesse, le soin et la méticulosité qu’on leur connaît, Daft Punk dévoile un pan non-négligeable de son intimité de créateur et réussit le tour de force de laisser croire à un retour à la case départ, avant que Random Access Memories ne soit Random Access Memories, et, de fait, à la possibilité d’une œuvre infinie.
Petit passage en revue, sous la forme d’un track by track :
Horizon Ouverture
Une chorale d’enfants, façon Rolling Stones époque Let It Bleed (1969), suivie de cordes aériennes et majestueuses en guise d’ouverture parfaite pour cette version augmentée de Random Access Memories. On retrouve d’emblée la trace des sections symphoniques de l’arrangeur Chris Caswell évoquées par Thomas Bangalter et les chœurs qui viendront conclure l’album avec la version réarrangée de Touch. Horizon Ouverture laisse présager un autre disque, qui serait la suite inachevée de RAM.
Horizon (Japan CD)
Introduit par une guitare acoustique plus proche d’un Pink Floyd époque Wish You Were Here (1975) que d’un folk, Horizon est une ballade interstellaire en forme de symphonie de poche dans laquelle se perdent des notes de clavier lumineuses. Présent sur l’édition japonaise de l’album original, ce titre n’est pas un inédit, mais s’inscrit idéalement dans cette version augmentée. D’autant plus indispensable que que beaucoup le découvriront à cette occasion.
GLBTM (Studio Outtakes)
Sorte de jam session qui part dans tous les sens, GLBTM (Studio Outtakes) est une chute de ce qui constituera le morceau d’ouverture de RAM, Give Life Back to Music. Mains qui claquent comme dans le Don’t Let Me Be Misunderstood de Santa Esmeralda, lignes de basse, claviers et suites au piano improvisées, ce segment témoigne de la volonté de Daft Punk d’user du studio comme d’un terrain de jeu. En filigrane, on comprend que rien sur Random Access Memories n’était prédestiné à advenir et que de ce chaos harmonieux a émergé le disque que l’on connait.
Infinity Repeating (2013 demo)
Il s’agit du deuxième morceau fruit de la collaboration entre Daft Punk et Julian Casablancas, après Instant Crush. Mis en boîte en 2013, si l’on en croit le titre, c’est-à-dire à l’issue de l’enregistrement de l’album, cette “démo” est potentiellement la dernière chanson ever du duo casqué qui sera publiée. Construite sur une boucle infinie dont on n’aurait gardé qu’un segment écoutable à l’envi, Infinity Repeating fait le lien entre les mélancolies respectives des Français et du leader des Strokes, avec ses paroles diaphanes évoquant dans un brouillard pastel l’idée de la perte de quelque chose et ses motifs mélodiques répétés jusqu’à l’étourdissement.
GL (Early Takes)
GL, comme Get Lucky. On tient là peut-être, dans ses quelques secondes d’extrait, les traces les plus anciennes des prémices de l’enregistrement de Random Access Memories, avec ce riff légendaire de Nile Rodgers joué ici au clavier.
Prime
Lancé à toute berzingue, ce morceau, sur lequel on retrouve des arrangements de corde, évoque l’instrumental de clôture de RAM, Contact. Visiblement pas destiné à accueillir des voix, Prime semble être un travail exploratoire faisant le pont entre l’avant-garde électronique française et l’obsession de Daft Punk pour le travail en studio des papes du soft rock, dont Steely Dan fait partie.
LYTD (Vocoder Tests)
On reconnait d’entrée de jeu le tempo de Lose Yourself to Dance et sa basse groovy as fuck, sur lesquels les robots jouent une sorte de variations pour vocoder. En gros, Daft Punk teste ici ses machines.
The Writing of Fragments of Time
Daft Punk pose la caméra et laisse tourner la pellicule. Première pièce dévoilée après l’annonce de la sortie de cette édition 10e anniversaire, The Writing of Fragments of Time capte sur le vif le processus de mise en boîte de ce morceau interprété par Todd Edwards, qui prend forme sous nos yeux.
Touch (2021 Epilogue)
Cette version de Touch, expurgé de la voix de Paul Williams, mais où les chœurs d’enfants ont été davantage mis en avant, a été dévoilée en février 2021 pour habiller la vidéo annonçant l’autodestruction de Daft Punk. “Hold on, If love is the answer, you’re home”. Une bien belle épitaphe.
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