Clavier et aiguilleur de quelques beaux déraillements des Beastie Boys, Money Mark est également l’auteur de deux albums tourneboulants, dont le récent et luxuriant Push the button. Un maboul authentique, à la fois fouteur de boxon et faiseur de beau son. Ce type, Mark Ramos-Nishita, est un cas. En privé, il est un père de […]
Clavier et aiguilleur de quelques beaux déraillements des Beastie Boys, Money Mark est également l’auteur de deux albums tourneboulants, dont le récent et luxuriant Push the button. Un maboul authentique, à la fois fouteur de boxon et faiseur de beau son.
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Ce type, Mark Ramos-Nishita, est un cas. En privé, il est un père de famille sans histoire, artisan charpentier veillant sur un Jésus baptisé Nico et sur les destinées d’une carrière d’artiste dont il confesse qu’elle tient du miracle. Car en public, Mark se transforme en Money Mark, agent d’ambiance garantie funky qui a déjà secoué du bout des phalanges quelques fameux cocotiers : les Beastie Boys en premier lieu, mais aussi le Jon Spencer Blues Explosion, George Clinton, Ben Lee ou plus récemment Sean Lennon et le prochain Beck. Partout où il passe, la morosité trépasse, la fête est incontestablement plus folle, les filles plus nues, les garçons plus lascifs. Pourtant, Money Mark n’a rien d’un MC tendance méga cool, qui vous tape dans le dos et, très vite, sur les nerfs et lorsqu’il se prête aux interviews, c’est avec un entrain de comptable sujet aux aigreurs d’estomac. Il souffre, visiblement, mais en silence, très pro. Il s’emmerde, mais très poliment.
Tout, chez lui, est affaire de distance : celle qui le sépare de son noyau dur sa femme, son gosse, son studio , Money Mark la fait payer en petites coupures à ses interlocuteurs. La distance, aussi, qu’il se plaît à maintenir entre lui et ses diverses familles d’accueil les labels Grand Royal ou Mo’Wax , il la résume en une formule, terriblement assassine pour nos idéaux : « Tout ça n’est que du business, n’allez pas vous imaginer autre chose. » Fils d’une mère japonaise employée chez un éditeur de jazz et d’un père mexicain ingénieur en aéronautique, il en a conservé ce goût panaché pour le swing et la science, y ajoutant sa touche manuelle personnelle : « Ce qui me plaît le plus dans la vie, c’est la charpente. Tout ce que je parviens à faire en musique, je le dois d’abord à mon premier métier de charpentier, métier que je continue d’exercer aussi souvent que le permettent mes obligations de musicien semi-professionnel. Faire des tournées, répondre à des interviews, c’est autant de temps perdu pour faire ce dont j’ai vraiment envie. » Money Mark n’aspire qu’à une paix durable, celle qui consiste à vivre reclus parmi ses claviers, ses outils et ses repères, continuer à bricoler de drôles de haïkus expérimentaux pour le propre bénéfice de son label Pinto.
C’est d’ailleurs ainsi qu’il a débuté, en publiant à compte d’auteur la première ébauche de Mark’s keyboard repair en vinyle artisanal. La suite, on la connaît : appelé pour réparer le portail des Beastie Boys, il ne quitte dès lors plus leur giron à la demande du groupe qui l’enrôle pour jouer du marteau sur les lambris de son studio et du clavier sur les débris de ses disques, puis lors de la tournée Ill communication. Mark est ainsi considéré depuis Check your head comme le quatrième membre officieux des Beasties, l’indispensable rouage de cette mécanique groovy, tandis qu’il charpente en parallèle une carrière solo de moins en moins confidentielle, clairement appelée avec le nouveau Push the button à enfoncer le clou quant à sa renommée internationale. « Personne n’était censé écouter Keyboard repair, mon premier album. Il s’agissait d’un exercice personnel qui, par accident, s’est retrouvé commercialisé. Lorsque je l’ai fait, je ne me suis pas du tout attaché à la production, au son, puisque tout ça ne devait pas sortir de chez moi. Pour ce second album, je savais à l’avance que les gens seraient amenés à l’écouter, donc je me suis senti responsable du plaisir qu’on pourrait y prendre. » En témoigne cette version retravaillée d’un morceau du premier album, Hand in your head, qui, paré de ses nouveaux atours, pourrait bien casser la baraque tout l’été.
On avait un peu vite rangé Money Mark dans la catégorie des bricolos rigolos, sous une étiquette « Jimmy Smith lo-fi » qui ne lui sied désormais plus trop. Car cette fois-ci, il chante beaucoup et beaucoup mieux à la manière d’un Costello américain, pile au centre d’une ligne Lennon-Dylan somme toute assez idéale et sa panoplie d’instruments s’est considérablement élargie, tout comme le son s’est épanoui, densifié, hi-fisé. Money Mark, Dieu l’en préserve, est encore loin de Mark Knopfler, mais il a cette fois quelque peu mis au rancart ses claviers au profit de guitares. « Je voulais que cet album soit ostensiblement pop, j’ai donc un peu laissé tomber les machines pour composer de manière plus traditionnelle. Je fais partie d’une génération qui a grandi à la fois au son des Beatles et des musiques noires et qui continue à écouter des trucs sixties comme de la soul ou du hip-hop. Avec les Beastie Boys, je n’ai pas souvent l’occasion de faire de la pop, alors je me rattrape sur mes propres albums. »
On ne craint pas de l’affirmer : la musique de Money Mark constitue le résumé bien vivant d’une discothèque exemplaire où l’on retrouverait, amoureusement entrelacés, les Beatles et Curtis Mayfield, Herbie Hancock et Todd Rundgren, Pierre Henry et A Tribe Called Quest, Lee « Scratch » Perry et Beck. Des producteurs et des acteurs, des sorciers et des sourciers, des géniteurs et des génies. Pas un hasard si son premier album fut aussi déterminant dans la carrière d’Air cet autre concentré des grands élixirs qu’il est de bon ton, actuellement, de réduire à de la pisse d’âne tiède. Sous ses airs de yakusa pincé et faussement irascible il y a du Kitano planqué derrière ces lunettes noires , Money Mark abrite aussi un pitre intérieur qu’il ne laisse sortir que lorsque la glace est enfin rompue. Ainsi se lance-t-il dans des descriptions assez pittoresques de son travail en studio. « J’enregistre seul, mais en réalité, nous sommes plusieurs. En moi cohabitent un producteur, un ingénieur, un songwriter et un musicien. Ce sont autant de casquettes différentes que je porte alternativement en studio et ça donne parfois lieu à de sérieuses empoignades : l’ingénieur s’engueule avec le producteur parce qu’il n’est pas d’accord, ou bien c’est le musicien qui la ramène, le songwriter qui lui dit de la mettre en veilleuse. Bref, je dois sans arrêt régler des conflits, arbitrer des choix entre les différentes parties de moi-même qui collaborent au disque. »
Et avec ses instruments, Money Mark n’entretient pas moins des rapports, disons, particuliers. « J’ai besoin qu’un instrument soit vivant, qu’il ait une âme. Mon premier réflexe, lorsque j’achète un orgue, c’est de le dépecer pour voir ce qu’il y a à l’intérieur. Je sais ainsi d’emblée si on va pouvoir s’entendre ou pas. Quand j’enregistre, il m’arrive même d’entrer en conflit avec un instrument. Par exemple, sur le morceau Destroyer, j’avais choisi d’utiliser un mélodica. A priori, c’est inoffensif un mélodica, ça porte un joli nom et ça a la réputation d’être assez docile. Seulement, ce jour-là précisément, mon mélodica était d’une humeur massacrante. Il m’a prévenu d’entrée : « Ton morceau, mon pote, je vais te le pourrir ! » On s’est engueulés très fort et, pour me venger, j’ai poussé la distorsion à fond. Je n’aime pas me laisser dominer. »
Money Mark vous débite tout ça sans un rictus de connivence, sans le moindre clin d’oeil prouvant noir sur blanc qu’il se fout gentiment de votre gueule. A l’image de ses copains Beasties, il mène la fumisterie aux frontières du grand art et brouille manifestement les pistes dans le seul but qu’on s’y perde ou qu’on s’y rétame. « Sans la technologie, je ne suis qu’un charpentier », dit-il, faux modeste, et pourtant il n’est guère de musique plus antitechnologique autrement dit : moins vibrante que celle de Money Mark. Et pour clarifier un minimum sa bordélique démarche, il remonte le temps jusqu’à celui des écoliers. « Je devais avoir 12 ou 13 ans lorsque mon père m’a offert un clavier Fender Rhodes. Les jours suivants, je me suis empressé d’acquérir un magnéto à bandes. Comme je ne savais me servir ni de l’un ni de l’autre, j’ai inventé mes propres techniques. Je passais la plupart de mon temps libre dans ma chambre à bricoler sans modèle ni méthode. Avec le clavier, je produisais des sons étranges et avec le magnéto, je faisais en sorte de les capter et de les modifier. C’est à la même époque que je me suis mis à potasser des ouvrages très sérieux sur l’acoustique et la prise de son. Je n’y comprenais rien mais ça me donnait des repères, notamment en lisant les bibliographies où apparaissaient des noms comme John Cage ou Brian Eno. Je me suis fait ainsi une éducation complètement de travers qui me sert encore aujourd’hui. D’ailleurs, j’apprends encore tous les jours, je tâtonne, et mes disques ne sont qu’un état des lieux de l’endroit où j’en suis, au moment précis où je les fabrique. » Si l’on en juge par l’air enivrant qui balaie les dix-huit plages de Push the button, Money Mark n’est cette fois pas très loin des sommets.
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