Un des plus grands albums des années 1980, et de toute l’histoire de la pop music : Histoire d’un disque-phénomène, mégasuccès planétaire enfanté par un génie solitaire, visionnaire et divinement sexy.
Contrairement à la projection cauchemardesque que lui associait George Orwell, l’année 1984 fut un moment de pure félicité. Certes, la guerre froide entre blocs de l’Est et de l’Ouest connaissait encore quelques coups de chaud, la famine décimait toujours autant d’Africains et la terreur sévissait dans nombre de pays.
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Mais hormis les habituelles catastrophes et leur cortège de souffrances qui trament depuis la nuit des temps l’histoire du monde et des humains, l’ambiance générale sur la planète Terre était relativement teintée d’optimisme.
Rien à voir en tout cas avec celle désespérante que dépeint la dystopie d’Orwell. Pour ce qui concerne nos contrées favorisées, on peut même dire qu’en 1984 les choses viraient carrément au festif. Et à l’hédonisme décodé.
Un priapisme funky affiché dès le premier album
En France, pour la première fois, une chaîne de télévision (Canal+) s’apprête à diffuser des films pornographiques (ouh là là !). Et ce n’est donc pas un total hasard si Purple Rain, disque incontestable de cette année-là, se trouvait être l’œuvre d’un petit satyre originaire de Minneapolis aux lèvres gourmandes et aux yeux de biche effarouchée, dont le goût pour les élucubrations érotiques et les dispositions au priapisme funky étaient avérées depuis un certain temps.
Dès son premier album en 1978, Prince semblait en effet s’être donné pour mission artistique d’incarner à lui seul un demi-siècle de musique, noire et blanche, en misant sur la désinhibition sexuelle des genres musicaux. En somme, en mettant dans le même lit la soul, le rock, la pop et l’electro naissante, il allait obtenir la plus grandiose partouze sonore de tous les temps.
Cette option pour le moins originale devait ainsi pousser ce virtuose à adopter des positions, certes assez dingues, mais qui en réalité finiraient par relever du domaine de l’orchestral et du littéral plutôt que du Kama Sutra.
Des fantasmes classés X
Quatre ans avant Purple Rain, Prince avait défié tous les pudibonds et les coincés du cul de l’univers avec le bien nommé Dirty Mind, un troisième album où il prenait un malin plaisir à organiser une série de combinaisons et d’emboîtages proches de l’acrobatie copulatoire pour freak show libidinal.
Déjà, la photo de la pochette, signée Allen Beaulieu, l’expose en prostitué gay, comme au sortir d’une backroom new-yorkaise. Ventre duveteux et moustache portoricaine, notre Priape de la chanson s’exhibe ainsi en mode pervers, couvert d’un minislip de cuir dont l’indécence se voit soulignée à dessein par le port d’un trench-coat largement ouvert sur son corps d’éphèbe.
Toutes les chansons y explorent, avec un zèle confinant à la surenchère provocatrice, une large gamme de fantasmes classés X. La plus spectaculaire du lot étant Head où le protagoniste se voit proposer une fellation par une jeune vierge le jour du mariage de celle-ci. Ce faisant, le titre se conclut par, comme aime à le préciser le site PornHub dans nombre de ses vidéos, “un flot de foutre brûlant” qui inonde la robe immaculée de la promise.
Un beau bizarre à la fois de fausset, obsédé par Dieu et le sexe
Les autres titres poursuivent dans la même veine libertine. Le triolisme (When You Were Mine), l’inceste (Sister), le sexe en groupe (Uptown) y font l’objet d’une approche rock-funk-electro qui pour l’époque reste encore novatrice. Sur le disque suivant, Controversy, Prince complète la livraison de ses obsessions avec Jack U off où il est question de masturbation synchronisée.
https://www.youtube.com/watch?v=7PdF5a1mPcM
Pour autant, et même à la lumière explicite de ces différents exemples, finit par s’esquisser le portrait d’un artiste bien plus prisonnier du désir de trouver coûte que coûte sa place dans le gotha très sélectif de la musique, quitte à le scandaliser, que rongé par l’idée de partager ses fantaisies sexuelles. Or, c’est ce vœu de légitimation musicale qui allait être exaucé avec Purple Rain.
Obsédé, Prince l’était. Par le sexe comme par Dieu (qui d’autre aurait eu l’incroyable culot de Lui dédier une obscénité telle que Dirty Mind !). Mais obsédé, il l’était bien davantage par sa musique qui restera, sa vie durant, son seul véritable moyen de communiquer avec le monde. En 1984, il n’est encore chez nous qu’une curiosité branchée.
Un beau bizarre qui chante d’une voix de fausset et tente de se dégager du poids d’un passé où tout semble avoir été fait, joué, écrit, enregistré. Même morts, Jimi Hendrix, Otis Redding et les Beatles forment un mont Rushmore musical obstruant l’horizon. Les Rolling Stones, James Brown, Bob Dylan et Stevie Wonder restent actifs.
Le multi-instrumentiste prodige
Quant à la new-wave et à l’electro balbutiante (Kraftwerk, The Human League…), genres européens, ce ne sont pas des territoires sur lesquels un jeune Noir du Minnesota prendrait spontanément le risque de s’aventurer. A moins d’être complètement toqué.
A moins de s’appeler Prince Rogers Nelson, de jouer de vingt-trois instruments, d’être né et d’avoir grandi à Minneapolis – ville désespérément provinciale qui ne dénombre que 3 % de Noirs – et d’être issu d’un foyer “dysfonctionnel”, comme disent les assistants sociaux. Et surtout d’être dévoré par un phénoménal désir de revanche, de reconnaissance et d’unanimité.
Prince est aussi doté d’une sidérante témérité. Comment imaginer sinon qu’un type mesurant moins de 1,60 m puisse trouver sa place au sein d’une équipe de basket ? C’est pourtant ce qu’il réussit lorsque, adolescent, il intègre la Bryant Junior High School de Minneapolis… Sauf qu’il en est écarté la saison suivante. Expérience qui amplifie chez lui un sentiment de rejet déjà lourd.
De fait, frustration et jalousie vont l’accompagner toute son adolescence sans qu’il puisse s’en confier à quiconque. Ni à son père musicien raté avec lequel il entre en conflit. Ni à sa mère qui reste une figure élusive. Moins encore à son demi-frère Duane qui, plus grand et plus assuré avec la gent féminine, lui pique systématiquement toutes les nanas sur lesquelles il a des visées.
Une indépendance revendiquée dès le premier album
Ces vicissitudes ne sont sans doute pas étrangère à cette manière compulsive de faire du sexe un peu tordu, voire passablement masochiste, l’un de ses sujets de prédilection. Au final, Prince ne cesse d’accroître une tendance à l’isolement. Au point de s’inventer un monde totalement hermétique où la musique tient lieu d’oxygène, de principe vital, d’absolu. Un monde dont il est le seul habitant.
C’est ce monde-là que reflètent ses premiers disques, For You (1978) et Prince (1979). Au verso de la pochette de ce dernier, on le voit nu sur le dos de Pégase, fameux cheval ailé de la mythologie grecque qui permet à celui qui le monte de réaliser les exploits les plus inouïs. L’exploit ici, c’est que Prince compose, arrange, produit, chante et joue de tous les instruments.
Dès le premier album, il a refusé toute intervention extérieure. Quand Warner, avec qui il a signé pour trois albums (moyennant une avance d’environ 200 000 dollars chaque), a voulu lui imposer Maurice White d’Earth, Wind & Fire, puis son frère Verdine White, comme producteurs, il a disjoncté et menacé de rompre le contrat.
Il n’a pourtant que 19 ans et très peu d’expérience en studio. Il vient de passer trois ans à vivre aux crochets d’amis. Et parfois même dans la rue, à se nourrir, faute de mieux, d’effluves de cheeseburger s’échappant de la ventouse d’aération du McDo downtown Minneapolis. Mais, téméraire et orgueilleux, il n’en démord pas. Il sera seul maître à bord. A prendre ou à laisser.
La solitude du démiurge absolu
Quand bien même une chanson comme I Wanna Be Your Lover cristallise ces pénibles sentiments de solitude et de frustration qui le travaillent – “I need some company to help me through the night” (J’ai besoin de compagnie pour m’aider à traverser la nuit”), susurre alors celui qui rejette toute main tendue.
Tous ses premiers albums sont d’ailleurs chantés avec cette même voix haut perchée qui semble imiter celle de Diana Ross. Quant à la musique, elle relève d’une soul-funk discoïde finalement assez conventionnelle. Au fil des albums, il va peu à peu s’affranchir de cette incarnation musicale monochrome pour inclure à sa palette des nuances jusque-là insoupçonnées.
“Don’t make me black, my idols are everywhere”
Au moment de signer avec Warner, il avait jugé utile de préciser à Lenny Waronker, pdg du label : “Don’t make me black, my idols are everywhere” (“Ne me collez pas l’étiquette ‘noir’, mes idoles viennent de partout”). Ce qui ne l’empêche pas de s’enfermer dans le registre très exclusif d’une black music softcore, puis de plus en plus hard.
A l’époque où il dirige ses premiers groupes avec son pote André Cymone, chez qui il a trouvé refuge, il cite pourtant Jimi Hendrix, Santana, Fleetwood Mac et Led Zeppelin comme influences. Le premier groupe formé avec Cymone s’appelle Phoenix, nom emprunté à un album de Grand Funk Railroad, le Metallica de l’époque.
Viendront ensuite, par ordre d’apparition, Soul Explosion, Grand Central Corporation puis Shampagne, où la basse est tenue par Cymone et la batterie par un certain Morris Day, futur chanteur de The Time et Némésis de Prince dans le film Purple Rain. Si le côté soul de Prince découle directement de sa proximité culturelle avec James Brown, Sly Stone et les Jackson Five, le rock a aussi toujours fait partie de son vocabulaire.
Un ordinateur dans le cerveau
Autre personnage important dans son évolution : Rick James, pionnier d’un rock-funk futuriste dont Prince va s’inspirer, avant d’assurer la première partie de James lors d’une tournée américaine en 1979. Au cours de cette tournée, le côté sex freak de Rick James déteint complètement sur lui.
Il en profite aussi pour absorber nombre de ses plans musicaux avec une stupéfiante capacité de mémorisation. Au point de faire réagir James qui, bluffé autant qu’exaspéré, conclut : “Ma parole, ce type a un ordinateur à la place du cerveau !”
C’est un peu l’impression qui ressort des premiers disques : celle d’un logiciel en mode intense process qui, pour très performant qu’il soit, tend à flatter la virtuosité et la quête de perfection au détriment de l’émotion.
D’autant que, dès qu’il découvre les possibilités de machines telles que le synthétiseur Oberheim et la batterie électronique LinnDrum, il en fait, avec la guitare, ses outils de prédilection. Il va sans dire que, muni d’une telle technologie qui lui ouvre un vaste horizon sonore et l’affranchit de toute collaboration extérieure, il peut fermer la porte de sa tour d’ivoire à double tour et jeter la clef par la fenêtre.
Il y serait probablement resté enfermé longtemps si ce désir d’omniscience musicale ne dissimulait en vérité celui plus vaste encore de reconnaissance universelle que les adeptes de l’interprétation psychanalytique pourront le cas échéant traduire par une inassouvissable soif d’amour.
Réussir le grand écart entre soul et rock
Toujours est-il que, n’ayant pu atteindre son objectif initial – toucher les publics rock et soul – avec ses quatre premiers albums, et bien que le cinquième et dernier en date, 1999, ait été reçu élogieusement par la presse rock, Prince se met à vouloir sortir du bois.
Un an auparavant, en novembre 1981, c’est encore attifé comme sur la pochette de Dirty Mind – cuissardes, slip de cuir, trench-coat – qu’il se risque avec son nouveau groupe, The Revolution, sur la scène du Coliseum de Los Angeles devant 100 000 fans venus voir les Rolling Stones.
Pour en sortir, deux chansons plus tard, sous une pluie de canettes, de peaux de banane et de pelures d’orange. Comme le dira le clavier du groupe, Dr. Fink, à l’issue de cette pénible expérience : “Décidément, le rock mainstream ne veut pas de nous.”
Purple Rain, un film et un BO
Loin de s’avouer vaincu, Prince conçoit alors l’idée d’un film dont il serait la vedette et dont il écrirait la BO. En renégociation avec son agence de management, il met comme condition à un nouveau contrat la production du film. Steve Fargnoli, Joe Ruffalo et Bob Cavallo, sa team managériale italo-américaine, parviennent à convaincre Warner de financer en partie les 7 millions de dollars du projet et confient au scénariste William Blinn le soin d’en rédiger la trame.
Ce dernier livre rapidement un premier jet intitulé Dreams, avant de se retirer du jeu pour se consacrer à la série Fame. Le script échoit alors à Albert Magnoli, jeune réalisateur fraîchement diplômé de l’USC School of Cinematic Arts de Los Angeles, qui entend insister sur la part autobiographique de l’histoire. Un angle approuvé à 100 % par Prince qui d’ailleurs s’empresse de souligner au feutre ce passage du scénario.
“Le Kid (Prince) est populaire au sein de la scène locale, mais le conflit qui voit ses parents s’entredéchirer l’a laissé humilié, terrorisé, abîmé. Il doit apprendre à laisser les autres entrer dans son monde. Il doit apprendre à aimer.”
Hormis les scènes de concert, dans lesquels Prince révèle ses prodigieux talents de danseur, Purple Rain n’est pas un bon film. C’est un long clip fictionnel à la psychologie simpliste, ancré dans cette esthétique criarde et kitsch typique des années 1980 qui a considérablement vieilli.
L’histoire d’une chrysalide transformée par la musique
Et pourtant, trente-trois ans après sa sortie accompagnée de sa géniale bande originale, un an après la disparition prématurée de l’artiste Prince Rogers Nelson, il reste l’un de ces moments de pure magie pop où tout – le destin d’un artiste, sa création et même l’air du temps – verse brusquement du côté ensoleillé.
Nombre d’éléments qui y sont distillés reflètent le vécu du chanteur. Parfois le dénaturent. Prince n’est pas le fruit d’un mariage mixte mais il a toujours revendiqué sa “mixité culturelle”. Contrairement à ce que montre le film, son père n’a jamais usé de violence sur sa mère, n’a jamais sombré dans l’alcoolisme ni fait de tentative de suicide.
La paranoïa, l’isolement, la jalousie sexuelle
Mais il est bien ce musicien raté qui a servi à la fois de modèle et de contre-exemple au fils, si cela est possible. En revanche, la paranoïa, l’isolement, la jalousie sexuelle (incarnée dans le film par la très hot Patty “Apollonia” Kotero) et surtout la difficulté qu’éprouve un musicien aussi autocentré qu’autosuffisant à laisser entrer des collaborateurs dans son processus de création sont des données proches de la vérité.
Le film raconte l’histoire d’une chrysalide qui se réalise pleinement à travers la musique. Nombre de morceaux ont été enregistrés en live au First Avenue, club à l’époque centre névralgique de la scène de Minneapolis. Ce qui élimine tout l’aspect surléché des précédents enregistrements.
Un festin de chefs-d’œuvre
D’emblée, Prince choisit le côté rock’n’roll de la force avec Let’s Go Crazy, genre de heavy metal gainé de soie dont le batteur Bobby Z dira plus tard qu’il s’est pris pour John Bonham (Led Zeppelin) en le jouant. Vient ensuite la ballade pop parfaite, Take Me with U, prétexte dans le film à cette virée en moto qui inaugure la romance entre le Kid et Apollonia.
https://www.youtube.com/watch?v=z_EhH7dN4E8
Arrive The Beautiful Ones, le premier chef-d’œuvre du disque, inspiré par la relation qu’entretenait alors Prince avec Susan Melvoin, sœur jumelle de la guitariste de The Revolution, Wendy. ça commence en mode slow technoïde, avec la batterie repassée dans un synthé accompagné par quelques notes égrenées à l’Oberheim, installant cette ambiance que l’on qualifiera, faute de meilleure formulation, de solitude postmoderne.
Vient alors la seconde partie de cette chanson centaure, mi-homme, mi-bête, mi-tendre, mi-rageuse, celle où il s’abandonne en hurlant sa détresse amoureuse comme un animal blessé, dans la grande tradition des shouters de la soul classique Jackie Wilson et James Brown. Mais en beaucoup plus déchirant, en taille surhumaine. Impossible de ne pas se dire en l’écoutant : “Whaou ! Pour exprimer pareille souffrance, le mec a dû prendre vraiment cher dans sa life !”
Les deux derniers morceaux de la face A, Computer Blue et Darling Nikki, sont tout aussi atypiques. L’un crée pour ainsi dire son propre genre, entre pop-techno et r’n’b. L’autre est une sorte de rengaine hystérisée avec, comme sur la précédente, un double tempo qui comporte la seule référence pornographique du disque (une fille s’y masturbe avec un magazine).
Elle aura quand même pour conséquence d’inspirer à Tipper Gore et à sa ligue conservatrice, Parents Music Resource Center, l’invention du sticker de mise en garde “explicit lyrics” qui désormais va orner nombre de disques rock, rap ou metal. Evidemment, personne n’alertera le PMRC sur ce message enregistré à l’envers à la fin de la chanson, où Prince dit “je sais que le Seigneur arrive bientôt” !
Un virage romantique en forme de catharsis
Purple Rain est un album chaste et romantique, preuve d’un changement de stratégie. Ou d’une forme de maturité qui, au moment du grandiose finale qu’offre le titre Purple Rain, révèle une authentique quête d’élévation spirituelle. Sur cet album, Prince parvient à dépasser ses obsessions perverses pour se hisser à un niveau supérieur de communication.
C’est là que le satyre devient homme. Qu’il s’ouvre aux autres. Qu’il apprend à aimer. Du moins essaie. Autre chef-d’œuvre, le bouleversant When Doves Cry détaille toute la complexité affective du personnage. Entre l’image d’un père “trop audacieux” et d’une mère “jamais satisfaite”, il peine à trouver un mode relationnel adéquat.
Pour Prince, l’amour reste un graal à la conquête âpre et douloureuse. Et cette chanson au beat digital un peu bancal l’exprime avec une grâce poétique et harmonique inouïe qui, aujourd’hui comme hier, trouve immanquablement le point vulnérable, la fêlure, en chacun de nous.
Parvenu à ce moment crucial du disque, on constate l’absence de ce combustible alimentant l’essentiel de ses œuvres précédentes : le funk pur et dur. Car hormis sur Baby I’m a Star, Purple Rain fait avant tout étalage des facultés de Prince à savoir trousser des chansons de facture pop-rock, en leur donnant une inflexion baroque comme sur Take Me with U, en les plaçant sous influence soul comme I Would Die 4 U, voire en les transformant en choses mutantes comme Computer Blue ou When Doves Cry. La stratégie est claire : toucher le public blanc sans annihiler le noir. En bref, réussir le crossover.
20 millions d’albums vendus dans le monde
De ce point de vue, les chiffres de vente attestent du succès de l’entreprise. L’album précédent 1999 (certes double), fort de trois tubes – 1999, Little Red Corvette et Delirious –, mettra plusieurs années à atteindre les trois millions d’unités. Purple Rain, lui, a franchi la barre des 20 millions très vite.
L’autre raison de cette désaffection pour sa musique de prédilection tient aussi à l’implication de Prince dans les projets satellites en rapport avec le film. Et notamment The Time, groupe à l’orthodoxie funk qu’il a formé avec les futurs producteurs Jimmy Jam et Terry Lewis et avec son pote d’enfance, rival dans le film, le fantasque Morris Day.
Autre fait majeur du disque, dont le film tire argument, la contribution de The Revolution, groupe mixte qui l’accompagne et où se distinguent la guitariste Wendy Melvoin et la claviériste Lisa Coleman. En prêtant à Wendy l’écriture du titre Purple Rain, Magnoli met en scène l’évolution du Kid/Prince, de l’autisme artistique dans lequel il s’est longtemps complu vers une ouverture aux idées des autres.
https://www.youtube.com/watch?v=i3LHatq2u4k
A la fin du film, et du disque, il y a donc cette apothéose, ce moment déchirant, cette pluie rédemptrice, ce gigantesque geyser de lyrisme électrique. Plus qu’une simple composition héritière de Jimi Hendrix avec sa dimension mystique et son solo de guitare pyrotechnique, la chanson Purple Rain est avant tout un grand geste de réconciliation. Avec lui-même. Avec le monde.
C’est grâce à Purple Rain, disque aussi festif que douloureux, qu’en 1984 Prince s’est imposé au monde. Non comme une synthèse parfaite de l’histoire du rock et de la soul, non comme la dernière sensation sexuelle d’une scène bien pourvue en la matière, mais comme l’un des plus grands artistes de tous les temps. Ou mieux encore, et selon le journaliste Jon Bream, comme “la rock-star la plus complète qui ait jamais existé”.
Purple Rain (Warner Bros), édition Deluxe 2 CD ; édition Deluxe Expanded 1 DVD (live inédit à Syracuse 1985) + 3 CD, sortie le 23 juin
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