Absents des scènes françaises depuis des années, et des platines depuis This is hardcore en 1998, Jarvis Cocker et Pulp préparent leur retour en France avec un concert unique cet été à La Route du rock de Saint-Malo. Jarvis Cocker revient sur ses expériences de la scène et sur les curiosités touristiques de Saint-Malo.
Nous venons de jouer dans deux festivals très différents en Angleterre. Le premier, c’était un festival de littérature. Le deuxième était un festival techno où il y avait environ 30 000 personnes, c’était quelque chose. Ça s’est très bien passé et on était assez contents de nos concerts. La moitié des chansons était des nouvelles, que personne n’avait jamais entendues. J’avais peur que les gens s’endorment ou, au mieux, aillent au bar se chercher un verre. Pas du tout. On avait envie de jouer dans deux festivals aussi différents. Quand on est dans un groupe, on devient vite paresseux, surtout quand on joue ensemble depuis aussi longtemps que nous. On est toujours tenté de choisir l’option la plus facile : reposer sur ses lauriers. On n’était pas certain que le public d’un festival dance aimerait notre musique. On ne fait quand même pas de la pure dance music, on ne fonctionne pas au bpm. Mais on a pensé qu’on pourrait communiquer avec ce genre de public simplement en tant qu’êtres humains. Et on a réussi. Comme il y avait un pourcentage de chance pour que ça ne marche pas, le fait que ça se soit bien passé a été encore plus satisfaisant.
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Entre les concerts précédents et aujourd’hui, on a fait beaucoup de choses. On n’est pas restés si longtemps que ça en studio. Une fois qu’on a su ce qu’on voulait faire, où on allait, quand on a enfin trouvé les bonnes personnes et les bonnes chansons, on n’est restés en studio que dix semaines. On s’est beaucoup baladé à droite et à gauche, on a été impliqué dans beaucoup de projets différents. Je n’aime pas être enfermé en studio, je n’ai jamais aimé, c’est terriblement ennuyeux. J’avais donc envie de retourner sur scène. Tant que je suis encore suffisamment bien portant, tant que ma santé va bien j’ai d’ailleurs fait des exercices physiques pour ça j’ai envie de profiter de la scène. Ça serait plutôt la honte si, un jour, je tombais sur scène, terrassé par une crise cardiaque. Ça me fait un peu peur, je deviens vieux… Il faut faire attention à ce genre de choses. Mais j’aimerai être sur scène tant que j’estimerai qu’on a quelque chose de pertinent à dire. Je n’ai pas envie qu’on devienne un groupe qui se répète. C’est aussi pour ça qu’on était contents des concerts en Angleterre, parce que j’ai vu qu’on était passé dans une période différente, qu’on ne répétait pas des choses qu’on avait déjà faites il y a cinq ans.
On avait un peu peur de révéler les nouvelles chansons au public. Ça me met toujours à bout de nerfs de jouer de nouvelles chansons, mais il faut bien le faire. Quand on sort avec quelqu’un il faut bien finir par enlever ses vêtements devant lui et la première fois qu’on le fait, c’est toujours stressant. Après ça, on ne peut plus arrêter de le faire. Jouer live, ça doit être excitant. Et pour ça, il faut créer les bonnes conditions. Du coup, on adore les festivals, c’est comme des vacances pour nous. En général, c’est le week-end, dans des endroits sympas, on peut voir d’autres groupes si on en a envie, on ne doit jouer qu’une heure. A Saint- Malo, ce qui est bien, c’est que je pourrai aller voir les sculptures de l’abbé Fauré, qui sont des roches sculptées sur la côte, vers Saint-Malo. Je connais ça parce que j’ai fait une émission de télé tournée comme un road-movie pour la télé anglaise sur l’art brut et ça en faisait partie. On est arrivé en ferry de Portsmouth à Saint-Malo et c’est le premier endroit qu’on a vu, à cinq kilomètres de Saint-Malo. Un prêtre, il y a une centaine d’années, a décidé de sculpter les rochers qui donnaient dans la mer, à un endroit où il passait beaucoup de temps. Il avait commencé par imaginer des visages dans les roches et il a fini par sculpter de nombreux personnages, des légendes de pirates des environs dans les rochers. Il y a des centaines de sculptures le long de cette côte. Elles commencent à être érodées par la mer, c’est dommage. Mais on peut passer des heures à se promener en apercevant à droite à gauche des choses qui y ressemblent et à se demander si ce sont des sculptures naturelles de la mer ou bien celles de l’abbé. C’est un joli endroit à visiter, j’ai hâte d’y retourner.
C’est toujours surprenant de jouer à l’étranger, où nous ne sommes pas allés depuis des années. La France, c’est le seul pays où je peux parler un peu la langue, je connais deux-trois mots. Quand on joue ailleurs, on peut juste faire confiance à la musique pour communiquer avec les gens. Je suis toujours surpris quand je vois que les gens aiment ce qu’on fait sur scène parce que je me demande ce qu’ils en ont compris. Ceci dit, j’écoute beaucoup de musique française et je ne comprends pas toujours les mots. Tout ne se passe pas dans le cerveau : le reste du corps, le c’ur ou les pieds, perçoit aussi la musique. De toute façon, même dans ma propre langue, j’ai du mal à communiquer avec les gens…
Je ne sais pas si on pourra transporter tout le matériel qu’on avait sur les deux derniers concerts avec nous à l’étranger, mais j’ai travaillé sur de nombreux petits films pour accompagner les chansons sur scène. Le visuel aide beaucoup à installer l’atmosphère d’une chanson. J’ai fait ça moi-même, chez moi. Certaines images ont été filmées par moi, j’en ai piquées d’autres à droite à gauche et j’ai monté ça ensemble. Il s’agit de garder l’attention des gens pendant une heure et demie et ça peut passer par autre chose que la musique. Ce qui est bien, c’est que les gens regardent les films et ne nous regardent pas nous, ne voient pas qu’on est affreux. Une grosse différence, c’est que je ne porterai plus mes lunettes sur scène, parce qu’elles tombaient tout le temps. Quand le Jarvis rationnel écoute ou regarde le Jarvis sur scène, le Jarvis rationnel se dit « quel imbécile ». Mais le Jarvis rationnel n’aurait jamais rien créé dans sa vie. Il faut que je garde un total contrôle sur le Jarvis rationnel. Le Jarvis de scène a quand même un lien avec le rationnel, ce n’est pas non plus Dr Jekyll et Mr Hide. Ils sont parents proches, mais pas exactement la même personne. Je n’ai pas trop le trac, moins que certaines personnes que je connais et qui vomissent avant d’entrer en scène. Pas moi. Je suis nerveux et c’est plutôt sain.
On réarrange un peu les chansons pour la scène. Common people, par exemple, ne ressemble plus à ce qu’elle était. On n’a pas fait une version reggae non plus… Il faut faire attention quand on réarrange les chansons, parce que les gens qui aimaient la chanson initiale détestent qu’elles deviennent méconnaissables. C’est surtout pour que ça soit plus intéressant pour nous, ça fait tellement longtemps qu’on la joue. A Saint-Malo, on jouera des nouvelles chansons. On essaie toujours d’équilibrer à cinquante-cinquante entre les anciennes et les nouvelles. Ça paraît bien, même si notre album ne sortira pas avant septembre.
Je n’ai pas de tics superstitieux avant d’entrer en scène. Il faut faire attention avec ça. Si on se dit qu’il faut qu’on porte telle paire de chaussures parce que la dernière fois qu’on les portait le concert était super, et si on perd ces chaussures, on va paniquer, (il hurle avec un tremblement dans la voix) « J’AI BESOIN DE CES CHAUSSURES », ça craint. C’est vrai que parfois, on est tenté de faire ce genre de choses. Je comprends que certaines personnes aient des petits rituels, pensent que s’ils ont oublié de faire quelque chose, tout va mal se passer. Mais c’est n’importe quoi. C’est comme lire l’horoscope, c’est des bêtises. Notre destin est toujours entre nos propres mains. Après un concert, la première chose que je fais même si ce n’est pas très sain c’est d’allumer une cigarette. Ensuite je m’assois sur une chaise confortable et si j’ai de la chance, quelqu’un va m’offrir une coupe de champagne. Et pendant dix minutes, je suis heureux comme ça. Si c’était un bon concert, je ressens une certaine plénitude. Après dix minutes, la réalité ressurgit. Mais j’ai eu dix bonnes minutes. En backstage, on demande du brandy, du gin, du champagne et du vin rouge, de l’alcool, notre seule exigence. Et ça me va, je suis heureux.
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