Le premier album de Divine Comedy s’appelait Liberation. Avec quelques mois de recul, on comprend mieux pourquoi. Devait-il être frustré, lui, le petit Oliver Twist irlandais, prisonnier de son monde adolescent la chambre derrière l’église, le piano familial, la voiture de papa. Que de sentiments à exprimer, que de chansons à libérer ! Et devait-il […]
Le premier album de Divine Comedy s’appelait Liberation. Avec quelques mois de recul, on comprend mieux pourquoi. Devait-il être frustré, lui, le petit Oliver Twist irlandais, prisonnier de son monde adolescent la chambre derrière l’église, le piano familial, la voiture de papa. Que de sentiments à exprimer, que de chansons à libérer ! Et devait-il être à l’étroit, un peu plus tard, dans une incarnation prématurée et limitée de Divine Comedy, pauvre funambule cloué au sol. Passé solo, son album fut un miracle, une révélation ? pour nous, pas pour lui, déjà sûr de son coup. Sur ce disque, Neil Hannon couchait tous ses fantasmes, toutes ses frustrations. Ses impensables chansons libérées, la bête était lâchée. Aujourd’hui, elle rugit. Tremblez, conventions !
Honnêtement, ou aurait bien repris une part du gâteau Liberation, un autre disque cuit dans le même four. Mais le chef pâtissier, lui, voyait grand, très grand. En secret, il rêvait d’une pièce montée. Après les amuse-gueule, nouveau défi : un disque concept, presque une comédie musicale ? bref, un anachronisme musical. Difficulté : ne surtout pas donner l’impression qu’on « lâche » ici le génial marmiton. Pas d’équivoque, il reste le plus bel espoir, le songwriter le plus inspiré du moment. Mais force est de constater que le sucre glacé dont il enduit sans peur sa nouvelle création laisse sur les palais sensibles une première impression gênante. Oui, il y a quelques réserves à émettre sur sa Promenade un peu folle. Mais des réserves nuancées, limitées, relatives. Pour parler simplement, son nouvel album est somptueux, mais un peu moins que le précédent. Avec Promenade, vous achèterez sans doute votre premier disque d’opérette. Un étrange bazar, plus proche de Starmania que d’Unknown pleasures. En voici la trame : nous sommes le 31 décembre 1999, dans une petite station balnéaire d’Angleterre. Un vieux couple se prépare pour le grand virage et à chacune de ses activités correspond une chanson. Entrer dans le détail de ces incroyables tableaux d’Angleterre fin de siècle serait trahir l’auteur. Ces séquences singulières ne se commentent pas, elles s’écoutent dans leur globalité. On adhère à leur style ? grandiloquent toujours, snob souvent ? ou bien on quitte la pièce. C’est acquis : on ne façonnera jamais Divine Comedy à l’image de nos désirs. Neil Hannon, en parfait schizophrène, joue trop de rôles à la fois pour se faire piéger. Un peu Francis Lopez (pour les clins d’œil à la France et le costume de scène ? gilet et bretelles ou pyjama), un peu Jake La Motta (gringalet mais bagarreur), un peu (un peu trop ?) Jacques Brel en devenir (ici, quelques envols saisissants). Et plus du tout Ray Davies. Il faut attendre Don’t look down, le sixième morceau, pour entendre la première guitare. Pas de Bernice bobs her hair sur Promenade, pas de Lucy non plus. Mais d’autres merveilles (When the lights go out all over Europe, The Summerhouse), complètement déstructurées et venues d’on ne sait où. Manifestement, le rock n’intéresse plus le petit Irlandais aux grandes idées. Les yeux plus gros que le ventre ? Sauf que ce ventre-là semble pouvoir tout ingurgiter. S’il faut un chœur d’armée victorieuse, Neil s’en retourne derrière le micro pour chanter cent fois. S’il faut des hautbois et des flûtes, alors on invite un quatuor à vent, quitte à flirter vicieusement avec Rondo Veneziano. S’il faut énumérer, un peu naïvement, une centaine d’écrivains de bon goût pour les besoins d’une chanson-catalogue (The Booklovers), alors on plonge sans vergogne, sans peur du ridicule. Hannon est tout à la fois chef d’orchestre et musicien(s), scénariste et cadreur, acteur et …spectateur. ce chanteur aime écouter. Il s’adore et s’applaudit, est son plus grand fan, son plus fidèle défenseur. Et comment oserions-nous le lui reprocher Exercice amusant : après la découverte (longue et difficile) de Promenade, réécouter Liberation. le chef-d’oeuvre d’Hannon prend soudain des allures de best of – le « meilleur de sa musique », dégraissé par les années de vaches maigres. Après le rejet initial de son nouvel album (trop de sucre, trop vite), l’estomac s’habitue et s’élargit pourtant aux dimensions gargantuesques de cette Promenade. Entre le rock et l’imprévu, Neil Hannon a choisi sa voie.
Emmanuel Tellier
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