Stoppé en pleine course par la maladie en 2019, le rappeur français prend sa revanche sur “Moussa”, un premier album solo cathartique, volcanique et à l’ambiance cinématographique. Interview.
Deux EP rutilants plus tard (Junior en 2016 et BOY Z en 2018), Prince Waly revient après trois années de silence discographique – une éternité dans le rap français – durant lesquelles une bataille contre un cancer l’aura tristement écarté de la musique.
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Avec l’intime et revanchard Moussa – son vrai nom –, véritable premier album solo, le rappeur de Montreuil troque sa casquette de cinéphile ultra-référencé pour celle de réalisateur du “film de [sa] propre vie” invitant au casting Enchantée Julia, Freeze Corleone, Ali, Jazzy Bazz, Luidji ou Makala. Entretien avec un rappeur serein et apaisé qui n’a plus de temps à perdre.
Ça te fait quoi de sortir ton premier album après cette pause forcée de trois ans ?
Prince Waly – Je ne sais pas comment l’expliquer mais Junior, avec Myth Syzer et BOY Z, mon premier EP solo, c’est comme si ça ne comptait pas. Que ce soient Lunatic, Alpha Wann ou Luidji, les mecs ont réussi à marquer leur temps avec leur premier album. Je n’ai pas d’attentes en termes de certifications mais en termes d’estime. J’espère que les gens vont se l’approprier, qu’il va les accompagner tout au long de leur vie. J’ai mis tout mon cœur dedans, donc j’espère que les gens en feront bon usage.
Avant l’annonce de la maladie, c’était quoi ton plan ?
Après BOY Z, je ne comptais pas partir sur un album, mais sur deux autres EP qui devaient sortir la même année. Au moment de mon souci de santé, j’ai mis la musique de côté, je n’y pensais plus, je n’en écoutais plus. Puis un jour, JayJay [beatmaker pour le label Don Dada] me contacte, me dit de passer au studio. Il me fait écouter des prods, des sons et je sens que la flamme se rallume un peu. Je rentre chez moi, je commence à écrire et j’y reprends goût. Je retourne au studio, je lui fais écouter mon truc et il me dit : “C’est cool, mais je connais Prince Waly, tu peux faire mieux”. Il m’a fait ce coup-là quatre ou cinq fois.
Il t’a remis dans une position de rookie ?
Il m’a challengé comme jamais on m’avait challengé, il y avait toujours un “mais”. Donc, un jour, je me pointe avec le texte d’Avertisseurs (Part II) et là, il pète un câble : “Voilà, c’est ça que je voulais entendre!”. À ce moment-là, je ne savais pas si on allait faire un album, c‘était vraiment un morceau sur lequel j’avais besoin d’envoyer tout ce que j’avais accumulé en moi depuis trois ans.
Quand as-tu décidé de parler de ce qui t’était arrivé ?
C’est au fur et à mesure des morceaux que j’ai eu envie de parler de moi, je ne pouvais pas faire comme s’il ne s’était rien passé durant ces trois dernières années. Sur l’album, je me devais de me livrer un peu plus. C’est Souffrance [rappeur de Montreuil] qui m’a beaucoup poussé à le faire. Il me disait que lorsqu’il écoutait ma musique c’était bien, mais qu’il avait l’impression d’écouter une page publicitaire où je ne parlais que de Mercedes, de Nike… C’est de là qu’est venu Moussa, un nom qui correspond à l’album.
Ils étaient censés ressembler à quoi, les deux EP ?
Ça devait être du rap un peu plus léger. Avec BOY Z, je voulais élargir mon public, prendre plus de risques, simplifier mes textes. Mais au final, et je sais que c’est bizarre de dire ça, heureusement que j’ai eu cette épreuve parce qu’avec du recul, je n’aimais pas trop la personne que je devenais. Je serais allé dans un truc que j’aurais regretté. Des morceaux comme Broke ou Miroir n’auraient jamais vu le jour, je serais resté dans ce truc de vitrine, à raconter des histoires qui ne sont pas les miennes.
Est-ce que tu as eu peur de la réception du public après trois ans de silence ?
À la base, je ne voulais pas dire aux gens que j’avais eu un cancer. Je voulais que ça reste discret. Mais on m’a dit : “Les mecs qui sont restés sur BOY Z vont se dire ‘qu’est-ce qu’il a branlé ?’. Faut que tu leur expliques un minimum.” Il ne faut pas en avoir honte mais ça n’est pas non plus un album de pitié. Ma musique est devenue plus universelle. Parler de films, c’est cool, mais tout le monde n’a pas vu Casino [rires]. L’argent, l’amour, la santé, tout le monde connaît.
C’est pour ça que l’introduction raconte une histoire ouverte ?
J’ai eu l’idée d’une espèce de prêche, mais je ne me sentais pas légitime pour le faire. À la base, je pensais à Oxmo Puccino et j’ai eu l’illumination : ”Il faut que ça soit Arthur Teboul”, [chanteur de Feu! Chatterton]. C’était la dernière voix qu’on entendait sur BOY Z, c’est trop beau que, trois ans plus tard, ce soit lui qui reprenne l’histoire de Moussa.
“Mettre le morceau avec Ali juste après le morceau hommage à Lunatic, mais juste avant le morceau avec Freeze Corleone pour faire le 360 du rap. C’est très cinématographique comme démarche”
Paradoxalement, j’ai l’impression que le cinéma, tu en parles moins dans tes textes, mais tu en fais plus.
C’est ouf ce que tu me dis. Quelqu’un m’a fait la remarque : “Avant, tu faisais du storytelling, des clips stylés, du stylisme, mais là tu es en train d’écrire ton propre film”. L’album, c’est le film de ma vie, que ça soit dans les thématiques, l’atmosphère, la réalisation. Cra$h par exemple, c’est vraiment un trio, un truc de groupe. C’est bizarre de dire ça comme ça, mais il sonne un peu ”comédie musicale” [rires]. Où chacun reprend le refrain en chœur qui donne un aspect intemporel au truc, comme s’il était familier. Mettre le morceau avec Ali juste après le morceau hommage à Lunatic, mais juste avant le morceau avec Freeze Corleone pour faire le 360 du rap. C’est très cinématographique comme démarche.
Quelle place prend Enchantée Julia dans ce processus ?
C’est fou la facilité qu’elle a pour la mélodie, Enchantée Julia. Elle est présente sur presque tous les morceaux de l’album, en chant, en chœurs ou même pour me souffler des mélodies. C’est très américain. On n’a pas encore cette culture-là en France. Mais c’est comme quand Beyoncé fait des chœurs pour Frank Ocean. Les voix féminines sont intégrées à la culture rap mais j’ai l’impression qu’on a encore un peu de mal en France.
Toi-même tu as une voix hyper-spécifique.
C’est une chose que je ne remarquais pas avant. Mais quand je parle, les gens disent que je rappe. J’ai des intonations spécifiques qui viennent du rap, je pense. Hill G [des X Men], j’ai l’impression que c’est un Américain qui rappe en français. En termes de flows, de figures de style, d’images, de multisyllabiques, il n’y a rien de plus fou que l’écurie Time Bomb. Ils ont vraiment créé quelque chose. Je suis tellement en admiration devant ces mecs-là que c’est dans mon ADN. Je n’arriverai pas à m’en défaire.
Même des références.
L’album est truffé de références : Booba, Ali, Doc Gyneco ! C’est quelque chose dont je suis content, c’est des mecs qui nous ont bercés, influencés, même éduqués parfois.
C’est aussi un contre-modèle ? “C’est bandant d’être indépendant”, comme disait Booba.
[Sourire] Putain mec, c’est réel ! Pour Mauvais Œil, ils ont essayé de démarcher les maisons de disques, mais même Skyrock disait que c’était du rap de village et que ça ne marcherait jamais. Ils font disque d’or, 100 000 ventes de disques physiques ! Je trouve que c’est un exemple magnifique pour les jeunes, ce que ça raconte, de faire ça par eux-mêmes !
Propos recueillis par Théo Dubreuil
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