50 ans et toutes ses canines, bien affûtées : Bobby Gillespie et son Primal Scream reviennent avec l’excellent More Light et l’Ecossais explique cette increvable énergie dans une rare interview.
Comment décrirais-tu le jeune Bobby ?
Bobby Gillespie : A 15 ans, j’étais un doux et innocent fan de punk rock, obsédé de musique et de foot. J’ai quitté l’école à 15 ans, j’ai bossé dans une usine, une imprimerie. Mais je n’étais pas bon pour ça. Je n’avais juste pas le choix. Le midi, à la pause, je filais dans le centre de Glasgow, où il y avait encore à l’époque des tonnes de magasins de disques. J’y trainais, j’y écoutais tout ce que je pouvais écouter, j’achetais des places de concert pour l’Appollo, une salle où tous les groupes jouaient. Il y avait dans le punk toute la réalité sociale de notre génération, quelque chose qui nous parlait directement. Ce qui était chanté était dur, il n’y avait pas de fun, c’était plus sincère que tout le reste.
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Qu’avais-tu en tête dans tu as commencé à jouer, toi-même, de la musique ?
J’ai dédié ma vie entière au rock’n’roll. Nous étions de jeunes types jouant très fort un rock plein d’énergie, avec tout leur cœur et toute leur âme. La seule chose que nous voulions faire de notre vie était de publier un bon album, de jouer de bons concerts. Pas de copains, pas petite amie, pas de famille : tout ce que nous avions était le rock. Ca peut devenir une expérience assez égoïste, solitaire, voire douloureuse. Mais en vieillissant, j’ai appris qu’on pouvait trouver un équilibre entre le fait de dédier sa vie à l’art tout en ayant une famille –j’ai deux gamins, un de 9 ans, l’autre de 11. Par contre, je pense que nous ne sommes pas devenus comme ces types qui donnent tout dans leur jeunesse, puis tombent finalement dans l’entertainement à l’eau de rose : nos vies sont encore dédiées au rock’n’roll.
Tu as aussi donné de toi-même, de ton corps avec une relation assez étroite aux drogues….
Si nous n’avions pas découvert l’ecstasy, nous n’aurions pas découvert l’acid house, et si nous n’avions pas découvert l’acid house, nous n’aurions pas rencontré Andy Weatherall, donc nous n’aurions pas fait Screamadelica. Les drogues ont joué leur rôle dans Primal Scream, mais elles n’ont jamais écrit les chansons à notre place… Les drogues, c’était souvent en tournée ; je me souviens avoir pris beaucoup de speed pendant la tournée de XTRMNTR, mais je crois qu’on était plutôt clean pendant son enregistrement. On faisait la fête le week-end, mais on était plutôt sérieux en studio : on a vite découvert que si tu es trop défoncé, tu es incapable de faire quoi que ce soit… Mais on s’est calmés, même en tournée.
Tu as désormais dépassé la cinquantaine… Comment envisageais-tu cet âge, quand tu étais plus jeune ?
Vieillir me va : je suis un meilleur artiste, un meilleur performer, un meilleur songwriter que je ne l’étais il y a 10 ans. J’ai vécu des tonnes d’expériences, traversé des tonnes de choses qui peuvent nourrir mon art. Un gamin de 22 ans a la vie devant lui mais il ne connait pas tout ça, il ne peut à la rigueur que l’imaginer. Cette idée qu’on fait sa meilleure musique quand on est un jeune gars, j’en suis largement revenu : More Light, selon moi, est l’un des meilleurs disques que l’on n’ait jamais fait.
Te sens-tu plus sage que tu ne l’as été ?
Ma femme est une personne de caractère. Les femmes avec qui j’avais passé du temps avant ne l’étaient pas ; cela ne m’obligeait pas vraiment à quoi que ce soit. Mais parce que ma femme est forte, parce que j’ai eu deux enfants avec elle, il a vraiment fallu que je réfléchisse à ce que j’étais, à ce que je faisais, à la personne que je voulais être dans le futur. Et je me suis assagi, je m’implique beaucoup dans la vie de famille. Je ne veux plus être simplement un gars dans un groupe, je veux être un bon mari et un bon père, je veux être responsable. Avant d’avoir mes deux gamins, j’étais tout simplement resté au stade de l’adolescence, un vrai trou du cul, un enfant gâté. Et à partir du moment que tu as un manager qui s’occupe de tout, que le label se fait un peu d’argent, tout le monde te laisse être un trou du cul. Mais grandir ne signifie surtout pas perdre l innocence, l’excitation que l’on avait pour le rock quand on était gamin : ça, il faut le préserver à tout prix.
Et le groupe, a-t-il changé abec toutes ces années ?
On a toujours été sincère, et je pense que nous sommes toujours sincères aujourd’hui. On croit en ce que l’on fait, autant que le MC5 était convaincu de ce qu’il faisait. Nous sommes leurs enfants, nous perpétuons une tradition. Et je pense qu’ils avaient une pureté que Primal Scream a également. Nous ne perdrons jamais ça. On peut avoir une famille, être responsable, mais quand on en vient au rock’n’roll, on donnera toujours ce qu’on a, notre cœur et notre âme. Ce n’est pas le cas de tous les groupes de rock. Nous avons une énergie instinctive qui nous pousse à écrire de meilleures chansons, à devenir de meilleurs performers. Je veux juste devenir un bon artiste. Faire un art qui reflète parfaitement la manière dont je ressens les choses, et qui puisse inspirer des gens, leur donner du plaisir… Toutes ces années après, on est encore bourré d’énergie et d’idées, on ne va pas s’arrêter, on veut rester un groupe progressiste, qui regarde devant. Quand je pense à tous ces vieux groupes qui, chaque soir, jouent les mêmes chansons, dans le même ordre, qu’en 1972…
Quelles sont les principales influences de tes textes ?
La principale influence est ce qui se passe en moi, mes espoirs, mes doutes, mes angoisses. Mais je regarde aussi beaucoup ce qui se passe autour de moi. Et ces cinq dernières années, depuis que je ne bois plus et ne prends plus de drogue, je sens que je devenu plus lucide, je comprends mieux les choses, j’ai beaucoup lu, je comprends beaucoup mieux comment le monde fonctionne. Des choses utiles pour une chanson.
Tu as d’ailleurs toujours été très politisé… Quelle est ta vision du monde actuel ?
Le libre marché est devenu une religion, les gouvernements n’ont aucun pouvoir face aux multinationales, on démantèle l’Etat Providence, la précarité touche de plus en plus de monde, les gens doivent accepter des salaires de merde parce qu’ils n’ont plus le choix : le monde occidental dans son ensemble a basculé à droite. On a l’impression que certains voudraient revenir au XIXème siècle, quand les travailleurs n’avaient aucun droit. Et tout ceci est notamment l’œuvre de Thatcher. J’étais content quand elle est morte, c’était une personne horrible. Mais l’idéal aurait été que sa mère avorte en 1925, et qu’on n’en entende jamais parler. Elle est morte mais pas partie : ses idées dominent notre monde.
Tu disais que vous vouliez rester un groupe progressiste, qui regarde vers l’avant : vous n’avez pas eu peur du piège de la nostalgie quand on vous a proposé la tournée Screamadelica ?
Au départ, quand on nous a proposé de faire cette tournée Screamadelica, on a effectivement eu peur de la nostalgie, du retour en arrière que ça pouvait présenter. Mais on a réécouté les masters de l’album, ses arrangements ; et on s’est rendu compte qu’on pouvait le jouer différemment sur scène, y ajouter beaucoup de chose. Ca a demandé pas mal de boulot. On s’est dit que si on devait le faire, on devait le faire en prenant un risque. On devait le faire sonner comme s’il était sorti en 2010 ou 2011. Et on savait déjà qu’on allait bosser avec David Holmes, qu’on avait quelque chose de neuf à l’horizon : ça aide à chasser la nostalgie.
Quelle était l’ambiance au sein du groupe, en entamant le travail sur More Light ?
Il y avait une nouvelle énergie, et une sorte de grand sens du devoir. Et on s’est très vite rendu compte, en écrivant les chansons, qu’elles étaient plutôt bonnes et qu’on travaillait sur un album qui serait bon. On bosse ensemble depuis longtemps, ce sont des choses que l’on sent assez vite, instinctivement. Avec 2013 ou Tenement Kid, on sentait qu’on faisait quelque chose de nouveau, et on était très excités par la direction qu’on prenait. On a pas mal travaillé, retravaillé sur les enregistrements, on les a fractionnés, on a utilisé des signatures rythmiques différentes au sein d’un même morceau, des choses parfois un peu free jazz, ce qui est nouveau pour nous. On voulait faire un disque de rock moderne, étirer encore un peu le psychédélisme, éclater les structures, faire des morceaux de 7 minutes qui restent excitantes, pop et expérimentales.
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