Après des années de préparation, et avant un passage au festival des Inrocks en novembre, le duo français s’apprête à dévoiler l’étendue de sa mélancolie dans un album à découvrir ici en avant-première. On en parle avec les deux garçons dans l’interview qui suit, où il est question de Junior Boys et de Laurent Voulzy, de déconstruction et de jusqu’au-boutisme.
« Là-bas, le soleil s’écroule dans la mer. » Le temps a passé depuis La ballade de Jim, une reprise de Souchon que certains écoutaient sans faire attention à la signature. Le temps a passé, et il a fait son travail. D’un côté, ceux qui saignaient La ballade de Jim ont eu le temps d’oublier ; de l’autre, les fameux signataires se sont organisé. Si bien qu’après des années de travail, la case ep et un bouche à oreille qui préfère les secrets de polichinelle, Paradis s’apprête à publier un premier album que des fans déjà en place attendent fébrilement. Titré Recto verso, c’est le genre de disque à écouter chez soi en PLS, quand dehors le ciel s’effondre et que seul la mélancolie perce à travers les volets.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Paradis, c’est l’histoire banale de deux garçons qui se rencontrent dans une soirée à Paris, chez un ami commun. Nous sommes fin 2010, Simon Mény et Pierre Rousseau n’habitent pas en France depuis longtemps. Ils ont passé leur vie en Angleterre (pour Pierre) et entre l’Argentine et le Portugal (pour Simon). Ils se rencontrent, donc, et ils ne se lâchent plus. « C’est allé extrêmement vite », raconte Pierre quand on les rencontre un après-midi de septembre. Dès le lendemain de la soirée, ils commencent à jouer de la musique ensemble, assez naïvement, mais les choses prennent tout de suite une forme. Une esthétique commence à s’inventer, des idées s’arrêtent et quelque chose finit par naître : Paradis existe.
A mi-chemin entre house music et chanson française, Recto verso raconte un coup de foudre musical entre deux garçons issus de la musique électronique, mais qu’un lien intime à la France a poussé à chanter quelques mots délicats. Dans les douze chansons à découvrir dans le lecteur ci-dessous, Pierre et Simon racontent cette rencontre et le monde clos qu’elle a créé autour d’eux.
Interview
Le groupe existe depuis 2011. Qu’est-ce qui a changé depuis ?
Simon Mény – Beaucoup de choses…
Pierre Rousseau – J’ai pas l’impression, justement ! Les choses qui ont changé, ce sont celles qu’on ne voyait pas forcément venir. On fait toujours les choses pour les mêmes raisons, et de la même manière. Quand on me dit que cinq années ont passé, c’est un énorme flou. Ça me parait surréaliste, comme un long rêve…et parfois cauchemar éveillé. Ce qui a vraiment changé, ce sont les choses structurelles : la maison de disque, le live, l’échelle de diffusion – toutes les choses auxquelles on ne pensait pas quand on a commencé la musique.
Vous travaillez toujours de la même façon, donc.
Pierre – On a un processus assez jusqu’au-boutiste. On est tous les deux actionnaires à part égale des décisions artistiques. Si je fais quelque chose qui ne plait pas à Simon, ce n’est pas Paradis – et vice versa.
Simon – Cinq ans, vu de l’extérieur, je comprends que ça puisse paraître long. Mais pour nous c’était important de trouver un équilibre. Pendant cette période, on a essayé de structurer ce qu’on voulait faire.
Pierre – On a une vision qui nous donne envie de faire de belles choses, même à différentes échelles, au fur et à mesure. Mais il n’y a pas de notion de « travail » au sens classique. Quand on a commencé, on essayait beaucoup de se ressembler et de se plaire, alors que pendant les derniers mois de l’album, on a compris que nos différences pouvaient être une force. Il fallait sublimer ces différences.
Comment est né le son de Paradis ?
Simon – C’est venu très vite, de façon très organique. Chacun de notre côté, avant de se connaitre, on avait construit des sortes de palettes sonores qui ont fini par se rencontrer.
Pierre – Nos univers respectifs sont assez éloignés, mais les 5 à 10% qu’on a en commun sont quelque chose de très fort pour nous. Ce dénominateur commun étant si réduit, je ne sais même pas si on pourra faire évoluer notre son – sauf si nos univers individuels évoluent radicalement aussi.
Simon – Je pense que notre palette commune peut vraiment évoluer, mais ça se fera progressivement. Maintenant, par exemple, Pierre joue de la guitare sur scène.
Pierre – Ça parait très anodin dit comme ça, mais ajouter un instrument qui n’est pas dans notre palette à la base, c’est un geste très fort pour nous… On passe beaucoup de temps à discuter de ce qu’est notre musique. Je crois que c’est pour ça qu’on a mis 5 ans à faire un album !
Il y a des rôles définis dans le groupe ?
Simon – Dans le travail concret, Pierre a une manière de déconstruire la musique que je trouve assez prodigieuse. Il a une façon très architecturale d’aborder les choses. Ça m’a beaucoup guidé au début.
Pierre – J’ai tendance à me concentrer sur de très petits détails. Simon, il a une vue d’ensemble, il veille à ce que ces détails dialoguent bien ensemble. Mais ce n’est pas forcément vrai : dans le chant, Simon va être à son tour très regardant sur le détail… Je ne sais pas, c’est difficile d’avoir du recul sur nos dynamiques.
Simon – En fait, on a la même implication. On écrit vraiment les chansons ensemble, à la virgule près. Pour le reste, ça peut déborder vers l’un ou vers l’autre.
Pierre – On filtre chacun les idées qui viennent d’en face. On fait des allers-retours, on pèse le pour et le contre, et au final les idées de chacun deviennent une idée commune.
Ça ressemblerait à quoi si vous faisiez de la musique chacun de votre côté ?
Pierre – A un grand bazar inabouti ! Je parle en tout cas pour ma part. On est devenu assez dépendants l’un de l’autre. Après, il y a des taches précises sur lesquelles on est compétents individuellement. Mais pour ce qui est d’exprimer des émotions, il a fallu une rencontre, une espèce de choc, et quelque chose est né de ça très rapidement.
Simon – Savoir ce qu’on est capables de faire seuls, c’est surement une question qu’on se posera un jour. Ça me parait naturel.
Pierre – On s’est mis une grosse pression émotionnelle pour faire ce disque. On en ressort tout juste, et assez timidement. On a donc du mal à imaginer la création en dehors de ça pour le moment. Ce disque ressemble vraiment à ce qu’on est ensemble.
C’est quoi, vos influences respectives ?
Simon – Quand on s’est rencontrés, j’écoutais beaucoup de techno et de house, avec un passé qui venait plutôt du hip-hop. Le tout dans des tonalités assez tristes, en général.
Pierre – Notre point commun, c’était la house. La house un peu pop, un peu chantée. Les trucs de Kompakt, les Junior Boys… J’étais aussi hyper fan de disco, et tout ce qui s’y apparentait – mais pas forcément les gros trucs, aussi les choses un peu alternatives. Pendant un moment, j’étais entièrement focalisé sur la période fin 70-début 80.
C’est venu comment, alors, le côté chanson française de Paradis ?
Pierre – Comme un coup sur la tête. On faisait de la musique instrumentale et Simon a commencé à chantonner un truc de Souchon qui traînait entre nous.
Simon – A ce moment, la voix était juste un instrument de plus dans la palette qu’on a construite en se rencontrant.
Pierre – On a jamais fait les choses pour envoyer des statements artistiques. On voulait juste faire de la musique pour s’amuser. On avait un synthé, une boite à rythme et Ableton Live, qu’on apprenait à utiliser. C’est quelque chose d’assez dur à tenir, mais on ne s’est pas posé la question de savoir comment les choses allaient être reçues. On n’a jamais eu l’impression de jouer un rôle, ni du côté de la musique électronique ni du coté de la chanson. Parfois, ça arrive qu’on nous dise que notre musique ressemble à ça ou ça – en général, que des choses qu’on ne connait pas, mais qu’en découvrant on réalise que oui, il y a quelque chose. Ça a été le cas avec Laurent Voulzy, par exemple.
Ça vous étonne qu’on vous renvoie à ça ?
Pierre – Chaque pays a sa propre façon de nommer son folklore. Oui, on fait des chansons. Mais si la traduction, c’est « songs », il y a quoi de plus beau ?
Simon – Ce qui est marrant, c’est que le côté chanson est peut-être celui sur lequel on s’appuie le plus aujourd’hui. A partir de là, on peut faire de l’ambient, des trucs plus rock, etc.
Pierre – La chanson est un peu comme un cadre, et la pop comme une démarche. On veut avoir une liberté stylistique. La musique électronique est un outil. Mais un outil, ça se change. Un cadre, peut-être pas.
Vous avez des parcours ancrés à l’étranger. Vous pourriez ne pas du tout vous identifier à des influences françaises.
Pierre – On revenait en France surtout l’été. A la campagne en ce qui me concerne. Paris, dans ma tête, c’était comme New York ou Tokyo : un truc génial.
Simon – Mes parents racontent encore que quand on revenait d’Argentine, je regardais à travers la vitre de la voiture en disant : « Wow, elles sont tellement belles les routes ! »
Pierre – Et la culture est énorme, ici. L’architecture, les musées, la musique… Même si après tu t’en détaches forcément…
Simon – Ça nous a justement décomplexés de ne pas être là.
Pierre – En tout cas, je regarde toujours la culture française comme si je n’en faisais pas partie. La France, c’est un laboratoire énorme de kiff.
La grande question autour de Paradis, j’ai l’impression que c’est celle de la mélancolie.
Simon – C’est vrai, c’est une grande question.
Pierre – Mais je pense qu’on n’a pas de réponse à te donner car on entre dans le domaine du spirituel et du psychologique. Des trucs qui peuvent paraître tristes ou mélancoliques à certains nous apportent vraiment un bonheur intense. Quand on écoute notre musique, on ne bade pas !
La mélancolie c’est justement ça : une sorte de confort dans la tristesse.
Pierre – Peut-être que dans notre complémentarité, l’un est toujours la réponse à l’autre. Quand on est tous les deux très tristes ou très heureux, je ne sais pas si ce qu’on fait est très intéressant.
Simon – Quand je fais de la musique de mon côté, par contre, c’est vrai que c’est très triste.
Pierre – Et moi, c’est maxi patate. Je pense qu’on va tous les deux tirer des choses l’un dans l’autre. Et comme on est assez jusqu’au-boutistes, encore une fois, je pense que ça infuse dans tous ce qu’on fait, jusque dans l’image. Ce qui est beau dans la mélancolie, c’est que c’est un état auquel beaucoup de monde peut s’identifier. C’est un entre-deux.
La mélancolie a conscience d’elle-même. Ce qui colle assez bien avec votre minutie dans les discussions, cette sorte de conscience exacerbée de ce que vous faites.
Pierre – Il y a une obsession du détail chez nous – le détail dans un sens presque sensoriel. Je crois qu’on est assez attachés aux symboles. Quand un mot en englobe cent mille autres, ce genre de trucs. Ça peut paraître bizarre à expliquer, mais le mot qui va commencer une phrase ou la finir, ou en tout cas le mot fondamental de cette phrase, on peut passer une heure à le choisir. Quand je tombe sur des commentaires qui mettent en avant notre « légèreté », je me dis quand même qu’on fait quelque chose qui a davantage de substance que ça, qui n’est pas si superficiel que ça peut en avoir l’air.
Vous espérez quoi pour la suite ?
Pierre – On espère se trouver sur scène. J’aimerais qu’on soit un bon groupe de live dans un futur proche. On veut s’améliorer en tant que musiciens, ce qui n’est pas vraiment notre savoir faire premier.
Simon – Il faut qu’on apprenne à prendre du plaisir pendant les concerts, pour pouvoir en donner au public en retour.
Pierre – A plus long terme, j’aimerais qu’on ait fait, à chaque fois, des disques dont on est super fiers. Avec de plus en plus de substance, des histoires de plus en plus fortes, et une entente qui reste intacte entre nous, qui soit très belle. Un duo, c’est quelque chose de compliqué à maintenir. On en parle entre nous, on le sait : ça peut bloquer sur de simples blocages psychologiques, ou n’importe quoi d’autre.
Simon – Réussir à partager notre musique dans l’instant, sur scène, c’est justement le genre de chose pouvant faire beaucoup de bien à notre relation, qui, dans le travail, est très condensée.
Pierre – Parfois, ni la résonance des morceaux, ni le nombre de vues, ni les réactions très positives des gens ne calment certaines choses. La scène, c’est un moment où il n’y a pas que nous deux. Ça se passe là, maintenant.
Simon – Un concert, c’est une série d’ascenseurs émotionnels. Mais quand on en termine un, on n’a qu’une envie : c’est d’y retourner.
Paradis, c’est un projet de vie ?
Pierre – C’est le truc qui doit donner du sens à notre vie, oui. Le truc qui doit faire ressortir ce qu’il y a de plus important. Simon et moi, on a une relation très forte. On n’est pas un couple, mais il y a beaucoup de choses qui s’apparentent à ça. Quand quelque chose qui n’était pas envisagé comme une carrière le devient, il y a beaucoup d’interférences. La sortie de ce disque va permettre d’évacuer beaucoup de pression émotionnelle, qu’on a gardée pour nous pendant longtemps. Je pense qu’une sorte de bulle va éclater.
propos recueillis par Maxime de Abreu
Album Recto verso (Barclay) disponible le 23 septembre
Release party le 23 septembre à Paris (Cabaret Sauvage) avec Paradis DJ set, Tim Sweeney et Pachanga Boys
Tournée en novembre, avec des concerts dans le cadre du Festival Les Inrocks le 17 novembre à Tourcoing, le 18 à Paris (Cigale) et le 21 à Bordeaux
{"type":"Banniere-Basse"}