« I’m in love with the coco! »
Extase de la débilité
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« I’m in love with the coco, I’m in love with the coco, I got it for the low low… » Depuis sa mise en ligne le 13 octobre dernier sur YouTube, la déclaration d’amour stupéfiante du rappeur O.T. Genasis empile les écoutes. Près de 90 millions de vues en quatre mois pour ce clip aussi simpliste que les paroles extatiques qui lui servent de scénario : Genasis adore la cocaïne, surtout celle qu’il l’achète à bas coût. Parfois, il lui arrive de la mixer avec du Bakin’ Soda (bicarbonate de soude) et de la brasser avec de l’eau « comme s’il était Nemo ». Voilà.
Avec sa boucle de sons qui ne change jamais et son texte ultra-répétitif, CoCo ne constitue pas seulement un tutoriel très intelligible pour confectionner sa propre crack cocaine à domicile. Il s’agit surtout d’un morceau idéal pour poser son cerveau pendant quatre minutes et laisser libre cours à la débilité latente qui sommeille (plus ou moins profondément) en chacun de nous. Des dj sets parisiens les plus hype aux vestiaires de foot de province, ce morceau débride les ambiances et les humeurs grâce à des onomatopées tellement découpées que tout le monde parvient à identifier les paroles dès la première écoute. La tentation de les scander comme un hymne accompagne souvent ce premier constat. Aucune excuse pour les danses d’épaules mal imitées.
Évidemment, rapper des conneries sur des instrus basiques n’a rien de nouveau dans le hip-hop de divertissement. Ces dix dernières années ont d’ailleurs permis d’ouvrir les yeux sur une longue liste de héros fulgurants, auteurs de morceaux-comètes dont le potentiel de fascination reste malheureusement inversement proportionnel à leur capacité à établir des carrières de qualité. Citons à ce propos, dans les désordre chronologique, autant de connards auto-satisfaits que Chief Keef, Soulja Boy, Kreyshawn ou Bobby Shmurda.
Mise en ligne début février, la partie 2 du morceau accueille des featuring de Young Jeezy et Meek Mill tandis que Lil’ Wayne ou The Game s’amusent à rapper le morceau original pendant leurs concerts. Mais malgré toutes ces révérences, il est très probable qu’O.T. Genasis reste un des nombreux one hit wonder de l’époque. Alors que les écoutes continuent d’affluer par centaines de milliers sur le morceau, la page Facebook du rappeur reste bloquée à 35 000 fans. Sa propre inspiration semble d’ailleurs prisonnière de la même boucle infernale : en début d’année, le MC de Long Beach n’a rien trouvé de mieux à faire que de tourner un deuxième clip pour illustrer le même morceau. Avec, cette fois, de belles lambos clinquantes et un caméo d’Ice-T moins reluisant pour justifier la variation de budget.
Des gangs de L.A à l’anniversaire de Leonardo DiCaprio
CoCo marche tellement bien que la plupart des fans du morceau ne s’inquiète même pas de l’identité de son auteur. Devenu en quelques semaines l’un des mème les plus viraux de l’Internet mondial, O.T. Genasis ne sort pourtant pas de nulle part. Protégé de 50 Cent, le rappeur a profité du succès désormais relatif d’un premier tube pour signer sur G-Unit Records en 2012 et sortir une première mixtape intitulée Black Belt. Insuffisant pour conserver son deal et sa côte auprès de Fifty. Délesté de toute obligation contractuelle, Odis Flores (son vrai nom) persiste dans les conneries rappées jusqu’à claquer un gros Touchdown en 2014. La puissance du morceau attire alors le gros appétit de Busta Rhymes qui le signe sur Conglomerate.
Fort de cette nouvelle amitié, O.T. Genasis enchaîne les freestyles en posant sur les tubes hip-hop de 2014. Jusqu’à publier lui-même le plus gros track de la fin d’année avec son hymne à la coke qui pulvérise encore tous les records. Dans une interview disponible à la lecture sur Noisey, le rappeur de 27 ans mesure le chemin accompli entre sa jeunesse passée à esquiver les embrouilles au milieu des gangs et son succès actuel qui l’a récemment conduit à squatter la soirée d’anniversaire de Leonardo DiCaprio :
» A Los Angeles, il y a un ghetto à chaque coin de rue. Il suffit de marcher quelques rues pour changer de ghetto. Que ce soit par ta famille, par tes amis ou par les amis de tes amis, tu es toujours susceptible d’être affilié à un gang… Sauf si tu viens q’un coin tranquille du type ‘Je vais à l’école, tout va bien, je ne regarde pas plus loin’. […] « Je connaissais pas mal de personnes qui étaient dans des gangs mais le fait d’être neutre et de ne pas prendre partie m’a rendu service. »
« L’anniversaire de Leonardo DiCaprio était probablement l’un des soirées les plus tarées de ma vie. Avec Swiss Beatz en Dj Set et Kanye West en concert . Il y avait aussi Kim. Un Texan a dépensé 300 000$ en bouteilles, un autre a offert un chèque de 250 000$ à DiCaprio et puis il y avait aussi ce malaisien qui a lâché un million en alcool. »
Il y a quelques jours, Genasis se confiait à Vlad Tv sur la même anecdote avec (un peu) moins d’emphase sur les considérations pécuniaires et un naturel plutôt attachant.
Parodies et haters
Quand on claque un tube international avec une structure aussi simpliste, le risque de se faire parodier grandit à mesure que les compteurs de vues s’affolent. Si la dernière mode consiste à enregistrer son enfant de quatre ans pour qu’il hurle à la gloire du chocolate milk, au petit jeu des parodies, certains YouTubeurs ont mis le paquet pour se faire de l’audience sur le dos du morceau, n’hésitant pas à déplacer son intérêt de la cocaïne vers les Cookie Crisps.
Toujours sur YouTube, la vidéo originale compte plus de 100 000 dislikes, ces pouces baissés autrefois synonymes de mort des gladiateurs et qui sanctionnent aujourd’hui les artistes les plus flingués de la plateforme.
Parmi les détracteurs, les racistes ordinaires qui émaillent les fils de commentaires des rappeurs Noirs en rivalisant de métaphores simiennes cohabitent avec les puristes auto-proclamés du hip-hop. Ces derniers considèrent CoCo comme une caricature de la culture qu’ils transpirent à défendre et l’opposent volontiers à un héritage inattaquable en invoquant Nas, Jay Z ou d’autres grands prophètes lyricistes. Comme si rapper hyper bien avait un jour traversé l’esprit du héros de l’instant.
Loin de ces considérations stylistiques, O.T Genasis semble plutôt décidé à étirer au maximum le spectre de son état de grâce tout en capitalisant le plus possible. Comme il l’a récemment assumé sur Instagram, le rappeur traîne désormais avec Alexander Wang et donne des concerts dans les soirées fashion, à distance respectable des moralistes et des dictateurs du bon goût. Chacun son gang.
Azzedine Fall
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