Avec “Everything Is Alive”, la formation de Reading retrouve la brume du shoegaze pour développer avec élégance une nouvelle trame introspective.
Perdu·e mais jamais seul·e. C’est la sensation que ne cessent d’instiller les images du retour de Slowdive, diffusées en juin dernier à travers le clip du single Kisses. Devant l’objectif, les regards s’égarent dans le vide de la nuit napolitaine. À mesure que résonne de nouveau le chant de Neil Halstead et Rachel Goswell, devant la caméra défilent les déambulations d’adolescent·es queer des environs, aux allées et venues désabusées et se soutenant mutuellement.
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En quelques minutes, la vidéo comme la bande-son réussissent à saisir la quintessence du sentiment adolescent, cet état si particulier où gravite une mélancolie intemporelle, dont les compositions du groupe de Reading ont toujours su se faire l’écho.
Séparation au mitan des années 1990
“Slowdive produit une musique assez émotive qui peut tout autant pencher vers l’obscurité que vers la lumière, résume la chanteuse et guitariste Rachel Goswell. Il est clair que nous avons un certain son identifié et un thème marqué qui traversent toute notre discographie. Mais on ne s’est jamais demandé comment sonner à la Slowdive. Nous avons toujours fait ce que nous voulions, sans nous en tenir à une forme particulière.”
Encensé par la presse musicale britannique dès la sortie d’un premier EP en novembre 1990, puis descendu en flammes et méprisé l’année suivante avec l’album inaugural Just for a Day, Slowdive s’est très vite retrouvé étiqueté shoegaze pour le seul motif de bricoler des chansons naïves en apparence, à grand renfort de voix éthérées et de pédales d’effets.
La plupart des demos d’“Everything Is Alive” sont alors construites autour d’expérimentations électroniques
Pourtant, des maxis originels à l’album de la renaissance Slowdive, paru en 2017 après plus de vingt ans d’absence, sans oublier les chefs-d’œuvre Souvlaki (1993) et Pygmalion (1995) qui ont su pérenniser le mythe du quintette jusqu’à sa séparation au mitan des années 1990, les Anglais·es n’ont eu de cesse de moduler leurs formes pour mieux évoluer. “Il n’y a jamais eu de règle, témoigne le deuxième guitariste Christian Savill. Idem pour ce nouveau disque. Nous jouons simplement la musique qui nous excite plutôt que de reproduire ce qui a déjà fonctionné pour nous.”
Une musique de l’intime, faite de matières volatiles
En 2019, Slowdive sort tout juste d’une tournée mondiale et s’octroie une année de repos avant de se mettre à plancher sur un cinquième album. Covid oblige, les sessions de studio prévues à l’issue de cette trêve sont finalement repoussées, ce qui permet au compositeur en chef Neil Halstead de continuer à travailler sur de nouvelles idées. La plupart des demos d’Everything Is Alive sont alors construites autour d’expérimentations électroniques et de séquences créées au synthé modulaire, avant d’être retravaillées tout en finesse et de manière collégiale avec le reste de la bande.
Sans délaisser les guitares en suspension et ses sonorités réverbérées, Slowdive se pare ici de nappes de synthétiseurs aux emprunts eighties (Andalucia Plays, Chained to a Cloud) et pioche autant dans la pop (Alife, Kisses) que dans l’ambient (Prayer Remembered) pour ouvrir de nouvelles voies introspectives sur un disque marqué par la perte.
“On se comporte émotionnellement comme des ados dysfonctionnels. Ensemble, nous sommes toujours des inadaptés.”
“Nous avons vécu une période difficile pendant l’enregistrement de cet album après les décès, à quelques mois d’intervalle, de ma mère et du père de Simon [Scott, batteur de la formation], confie Rachel Goswell. Neil a alors dû composer dans un certain état d’esprit, car ces événements intenses l’ont fait réfléchir sur des aspects de sa propre vie. Il y avait donc un réconfort indéniable à rejouer ensemble et à se retrouver pendant ces moments difficiles. On pouvait surtout porter notre attention ailleurs et trouver un peu de répit face au chagrin que nous devions surmonter.”
La musique de Slowdive est une musique de l’intime, faite de matières volatiles, enveloppantes et grisantes. Propice aux errances mentales, elle prend la forme d’un refuge solitaire doublé d’un espace en expansion perpétuelle. Elle traduit autant qu’elle ménage le flux de ces émotions latentes et universelles qui jaillissent du tumulte de l’adolescence, demeurent sans jamais totalement se résoudre et perdurent jusqu’au dernier souffle.
Aujourd’hui produite par une bande de cinquantenaires, elle reste aussi pertinente pour ce qu’elle propose que celle devenue culte et jouée autrefois par de jeunes insouciant·es. “Que tu aies 17, 45 ou 75 ans, les émotions vécues restent les mêmes”, statue Christian avant de laisser la parole à Rachel : “On se comporte émotionnellement comme des ados dysfonctionnels. Ensemble, nous sommes toujours des inadaptés.” Perdu·es, peut-être, mais jamais seul·es. Les voix de Slowdive ont toujours été là pour nous le rappeler.
Everything Is Alive (Dead Oceans/Modulor). Sortie le 1er septembre.
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