Réunissant Michel Cloup Duo et Pascal Bouaziz, un power trio formé pour la circonstance s’approprie A la ligne, le saisissant livre-témoignage de Joseph Ponthus, et en offre une magistrale adaptation musicale sous haute tension. Un concert littéraire à voir ce vendredi 18 septembre à la Maison de la Poésie, à Paris.
Au commencement, il y a le verbe de Joseph Ponthus – un verbe percutant, incisif, drôle, âpre, tendre, douloureux, viscéral et intelligent. Amené à travailler pendant deux ans et demi comme ouvrier intérimaire en usine, dans une conserverie de poissons puis dans un abattoir, Ponthus – né à Reims en 1978, installé à Lorient depuis 2015 – a tiré de cette expérience un saisissant livre-témoignage intitulé A la ligne. Le style et la forme, sans ponctuation ni affectation, évoquent un long poème en prose ou en vers (très) libres, sur lequel plane notamment l’ombre de Georges Perros.
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Découpé en courts chapitres, comme autant de seuils à franchir (ou de travaux à abattre), et taillé dans le corps du réel, ce récit à fleur de peau s’apparente – toutes proportions gardées – à un Voyage au bout de la nuit moderne (d’autant plus que le chapitre 12 démarre en pastichant l’incipit imparable du roman de Céline). On n’en sort pas indemne. Quant au capitalisme, il en ressort tel qu’il est : un gigantesque monstre froid conçu pour dévorer l’humain. Paru début 2019 en grand format (éd. La Table Ronde), disponible depuis août dernier en poche (éd. Folio), le livre de Joseph Ponthus suit une irrésistible trajectoire ascendante. Ayant bénéficié d’un bel accueil critique et reçu plusieurs prix, il s’est vendu en France à plus de 50 000 exemplaires et a déjà été traduit dans huit langues. Il fait également l’objet d’une magistrale adaptation musicale, impulsée par La Station Service. Cette structure de production et de diffusion des musiques actuelles a confié une carte blanche pour un concert littéraire à Michel Cloup, protagoniste essentiel de la scène indépendante française évoluant depuis trente ans entre rock et chanson au sein de divers groupes (Lucie Vacarme, Diabologum, Experience, Michel Cloup Duo).
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Sans filtre
Ayant découvert A la ligne sur les conseils avisés d’un ami, le musicien toulousain a tout de suite été conquis, comme il l’explique aux Inrockuptibles : “Je suis très sensible à l’honnêteté et à la simplicité dont Joseph Ponthus fait preuve. On a vraiment le sentiment d’une écriture sans filtre. Au-delà de son expérience personnelle, il parle du monde d’aujourd’hui, de la condition ouvrière en particulier, et il le fait sans aucune ostentation. Par ailleurs, le livre véhicule l’idée que la musique aide à tenir le coup et cette idée me plaît évidemment beaucoup. Ça faisait longtemps que je n’avais pas lu un livre français actuel aussi juste et touchant.” Pour transposer musicalement A la ligne, Michel Cloup s’est tout d’abord tourné vers l’excellent batteur Julien Rufié, qui l’accompagne au sein du Michel Cloup Duo, puis vers le chanteur et guitariste Pascal Bouaziz (Mendelson, Bruit Noir), autre activiste au long cours de la scène française. Julien Rufié se dit “très touché par le livre, qui n’est pas du tout revendicatif et se montre très respectueux des gens dont il parle”. Tout aussi enthousiaste, Pascal Bouaziz confie : “Se plonger dans un univers comme celui-ci est particulièrement stimulant et gratifiant. A mes yeux, c’est un projet très important, qui induit un véritable engagement.”
D’emblée favorable au projet, Joseph Ponthus a laissé toute latitude au trio pour l’adaptation de son livre. Ne pouvant en garder l’intégralité, Michel Cloup a sélectionné des passages, sans rien modifier du texte. “J’ai cherché à construire un récit cohérent en restant fidèle à la trame chronologique du livre et à la gamme de sentiments, très riche, qui s’y déploie. Ensuite, nous nous sommes attachés à concevoir une transcription musicale capable de rendre au mieux la traversée racontée.”
Electrisant
On a pu découvrir le fruit de leurs efforts à Brest, sur la scène de la Carène, la SMAC locale (coproductrice du projet), le 7 mars dernier – soit dix jours pile avant le confinement généralisé de la France dû à la pandémie de Covid-19… Très bien équilibré entre les éruptions de violence et les plages d’apaisement, le concert – qui dure environ une heure – maintient une tension constante tout du long. Si un rock nerveux et anguleux constitue l’orientation dominante, le trio s’aventure aussi dans des zones moins attendues de sa part (au bord de la techno ou de l’indus) mais non moins remuantes. “Dès le début, nous avons senti qu’il fallait explorer plusieurs sphères musicales et ne pas nous cantonner à nos univers habituels”, précise aux Inrockuptibles Julien Rufié.
Surgissant ici avec une intense virulence, les mots de Joseph Ponthus ne se noient jamais dans la musique, même lors des passages les plus bruitistes. Egalement traversé par divers enregistrements de voix (celle de Ponthus et celles d’ouvriers avec lesquels il a travaillé), l’ensemble se révèle électrisant. A peine commencée, la tournée a été interrompue brutalement en mars. Elle peut désormais redémarrer, dans l’ombre (hélas) toujours présente du coronavirus et dans le respect des mesures de protection sanitaire en vigueur. Plusieurs dates automnales sont prévues, en commençant par la Maison de la Poésie, à Paris, ce vendredi 18 septembre. Déjà mis en boîte, un album studio enregistré par le trio doit également bientôt arriver, la date de sortie n’étant pas encore fixée.
En concert le 18 septembre à Paris (Maison de la Poésie), le 3 octobre à Lorient (Hydrophone), le 15 octobre à Nantes (Stereolux), le 10 novembre à Châlon-sur-Saône (Péniche), le 14 novembre à Pau (Centrifugeuse)
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