Le musicien Marek Zerba a sorti son premier album le 28 octobre 2022 dernier. Quelques raisons d’écouter “Qu’on leur donne de la brioche !”.
Un jour qu’on était lancé à toute berzingue à bord d’un SUV Chevrolet Suburban en plein désert du Nevada, l’un de mes plus vieux compagnons de route m’a soutenu que les avions n’atterrissaient que la nuit à Las Vegas. Avec un aplomb, il fallait voir ça. Selon lui, les autorités locales, sous la pression des casinos et des hôteliers, s’étaient résolues à boucler l’espace aérien de la ville pour ne pas que les touristes en goguette ne s’aperçoivent dès leur arrivée à quel point Vegas était un sale endroit. Tout était faux, évidemment, mais j’ai trouvé presque romantique que lui y ait cru. Et puis, même si cette histoire à dormir debout avait été vraie, à quoi bon ? De jour comme de nuit, Vegas est un sale endroit, point barre.
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Que nous dit, en creux, cette anecdote ? Que la nuit est le moment de toutes les mystifications, un lieu de dévoiement de la réalité, un endroit de perturbation de nos perceptions cognitives, que l’on habite en marge du reste de la société. Comme dans Ce qui vit la nuit, le roman de l’Américaine Grace Krilanovitch récemment traduit par les éditions du Gospel, quand le soleil se couche, “les hobos vampires se réveillent” et “leur quête de meth et de sang commence à peine”. Le “hobo vampire” dont on parle ici est beaucoup moins mortifère que ça. Il n’est d’ailleurs ni “hobo” ni “vampire” et encore moins accro au sang et à la meth. C’est juste un type que l’on croise depuis dix ans dans la pénombre des bars et des salles de concert parisiens, toujours la nuit, et qui s’appelle Marek Zerba.
Marek dans la nuit
Il suffirait de demander à Marek Zerba ce qu’il fait la journée, s’il a un travail, par exemple, pour payer les factures, mais l’idée ne nous a jamais traversé l’esprit. Parfois, on n’est pas bien certain que c’est lui, parce qu’il n’a plus de moustache, ou alors il en a une nouvelle qui ne ne ressemble pas à celle qu’il avait une semaine plus tôt. Et puis on lui dit “ah, mon vieux Marek, toujours fourré ici, toi”, oubliant presque qu’on est là nous aussi, dans le même bateau nocturne, accoudé au même bar, devant le même groupe à guitare. Comme quand pour la dixième fois votre collègue vous surprend à la machine à café et qu’il a l’outrecuidance de vous dire : “Encore en train de traîner dans les couloirs.” S’il ne traînait pas lui aussi, comment le saurait-il ?
Une chose est sûre, en revanche, à propos de Marek Zerba (d’ailleurs, à une lettre près, il se serait appelé Zorba, autre lieu culte des nuits de la capitale), c’est qu’il fait de la musique. On aurait dû le dire plus tôt. Son premier album, Qu’on leur donne de la brioche !, est sorti en octobre dernier et ressemble à une sorte d’anthologie du rock made in France. Avec ce côté suranné qui lui confère le titre honorifique de disque intemporel. Usé jusqu’à la corde, le mot outsider qualifie pourtant bien Marek Zerba. Pas parce qu’il traîne la nuit comme un loubard bien sapé, mais parce qu’il joint à l’attitude et au son garage-new wave, la parole. “Je n’ai rien trouvé de mieux à foutre, que de ne rien foutre”, scande-t-il ainsi sur Branleur Forever, hymne à boire que les Soft Boys n’auraient pas renié.
Mais Qu’on leur donne de la brioche ! est bien plus que cela. C’est un tableau en liège qui épingle l’époque et nos petites vies contemporaines, avec une sorte de désespoir joyeux qui ne confine jamais au dénigrement rance ni à la déglingue auto-satisfaite. On comprend mieux dès lors la place qu’il occupe au fond du bar, Marek. Il observe les rites de ses congénères et la marche du monde ; la médiocrité de la vie moderne et ses travers technologiques. L’art du pas de côté, du dédoublement, est parfaitement maîtrisé par le bonhomme, qui fait, dans le fond, du Philippe Katerine déguisé en Dr. Feelgood, ou du Luz, mais à la guitare.
Épique époque.
Édito initialement paru dans la newsletter Musiques du 17 mars. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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