Relayé au second plan depuis la chute des Destiny’s Child et d’Usher, le r’n’b connaît aujourd’hui un second souffle, porté par une nouvelle génération d’artistes qui modernise le genre avec talent. Décryptage.
Comme chaque année, les Grammy Awards, dont la 61e édition s’est tenue le 10 février dernier à Los Angeles, ont eu droit à leur lot de moments mémorables. Parmi eux, un discours surprise de Michelle Obama, un hommage à l’iconique Dolly Parton, mais également la captivante performance d’Alicia Keys, qui revêtait ce soir-là le costume de maîtresse de cérémonie. Installée entre deux pianos, l’interprète de Fallin a livré un medley recensant « les chansons [qu’elle aurait] aimé avoir écrites », durant lequel elle a notamment revisité le morceau Boo’d Up d’Ella Mai, l’un des plus grands succès de r’n’b en 2018.
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Anecdotique aux yeux de certains, cette reprise a pourtant quelque chose de symbolique : en s’appropriant le tube de la jeune Anglaise, nouvelle étoile du r’n’b, Alicia Keys, l’une des voix les plus emblématiques du genre dans les années 2000, opérait un véritable passage de flambeau, tirant un trait d’union entre sa générations et les révélations d’aujourd’hui. Deux scènes des plus inspirantes, et pourtant séparées par un long passage à vide.
https://www.youtube.com/watch?v=_3Rpbrw1RyU&feature=youtu.be&t=280
Le triomphe et la chute du r’n’b
Du milieu des années 1990 jusqu’à la fin des années 2000, le genre est sur tous les fronts, porté au sommet des charts par Aaliyah, TLC, SWV, Usher, Destiny’s Child, Mariah Carey, Toni Braxton ou encore Justin Timberlake. Épaulés par des producteurs visionnaires (Puff Daddy, Rodney Jerkins, Jermaine Dupri…), ces chanteurs aux voix puissantes façonnent ensemble ce qui sera bientôt considéré comme l’âge d’or du r’n’b contemporain, délivrant tour à tour des morceaux désormais rangés au rang de classiques, à l’instar de Say My Name, The Boy Is Mine, Cry Me a River, ou encore No Scrubs.
Conscients du tour de force opéré par le r’n’b, les rappeurs américains les plus exposés de l’époque commencent alors à infuser davantage de mélodies et de chant dans leur façon de rapper. « Fabolous, 50 Cent, Nelly, Ma$e, Ja Rule… au début des années 2000, ces rappeurs-là sont arrivés en parlant d’amour et en chantonnant sur des mélodies similaires à celles de la scène r’n’b », décrypte Hubert Macard, journaliste spécialiste du genre. « Ils ont pris le meilleur des deux mondes, ce qui a peu à peu contribué à relayer le r’n’b au second plan, et à signer la mort de certains artistes qui n’ont pas su se renouveler – ou qui sont tombés dans les affreux méandres de la dance. »
https://www.youtube.com/watch?v=GVucWRs-eWA
Un constat confirmé par le chanteur Ty Dolla $ign qui, dans un entretien accordé à Rolling Stone en 2017, confiait : “Je me souviens, quand j’ai commencé vers la fin des années 2000, du jour au lendemain, il n’y avait juste plus de R&B. Vous vous souvenez quand le r’n’b était au top des ventes ? Et bien d’un coup, c’était fini. Et j’ai eu l’impression de devoir me travestir, en allant davantage vers le rap, pour survivre. Je crois que d’autres artistes, qui savent pourtant réellement chanter, ont eu ce sentiment-là.”
Vers un nouvel âge d’or
Mais ce sentiment, celui de devoir imiter le rap pour séduire, ou de plonger dans la dance pour survivre, semble désormais loin. Depuis une poignée d’années, une nouvelle vague de chanteurs, talentueux et novateurs, ravive brillament la flamme. Il y a d’abord eu quelques exemples isolés, comme The Weeknd et Frank Ocean. Et puis, depuis 2015, les cas n’ont cessé de se multiplier.
Ils sont nés durant l’âge d’or du r’n’b et s’appellent Ella Mai, H.E.R., Brent Faiyaz, Daniel Caesar, Lolo Zouaï ou encore Sabrina Claudio. À la fois moderne et nostalgique, novatrice mais inscrite dans l’héritage des années 1990 et 2000, leur musique renouvelle le genre. Mieux : elle le replace en haut des charts.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : Best Part, le duo de Daniel Caesar et H.E.R, est devenu single de platine avant de remporter cette année le Grammy Award de la meilleure performance R&B ; Boo’d Up, le titre phare d’Ella Mai, est resté seize semaines consécutives en pôle position du classement « R’n’b/Hip-Hop Airplay », détrônant un record jusqu’ici détenu par Mary J. Blige et son Be Without You (2005) ; quant au dernier album de H.E.R., il a été couronné de deux Grammy Awards (sur cinq nominations au total), dont celui du meilleur album r’n’b.
Pour Hubert Macard, cette résurgence n’est pas surprenante :
« Ces artistes ont baigné dans ce r’n’b des années 1990 et 2000, et surtout, ils ont vu ses figures de proue foncer droit dans le mur avec la domination du rap et ce passage à la dance par des artistes comme Ne-Yo ou Usher [les fans d’Usher n’ont toujours pas pardonné l’album Looking 4 Myself – ndlr]. Ils savent chanter, ils ont à cœur de porter l’héritage d’artistes qui ont fait les grandes heures du r’n’b, et je crois qu’avec eux, le genre revit aujourd’hui. »
Il faudra encore du temps, sans doute, avant que le r’n’b ne redevienne un jour ce genre extrêmement populaire aux yeux du grand public. Mais la dernière cérémonie des très médiatisés Grammy Awards, marquée par ce medley d’Alicia Keys, la présence d’Ella Mai et la consécration de H.E.R. le souligne un peu plus : le r’n’b est bel et bien de retour. Et son avenir semble plus lumineux que jamais.
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