Pour leur premier passage en France au Nouveau Casino de Paris, les Américains d’Electric 6 ont-ils vraiment conquis un public jusque-là acquis sur la seule foi de leur impeccable single Danger! High Voltage! ? L’avis de nos deux reporters présents diverge…
Dans « renouveau du rock », il y a re ; mais pas forcément nouveau. De ce genre de groupe, on n’attend pas grand chose, mais on attend finalement beaucoup. L’Histoire, déjà bouclée et rebouclée, semble interdire à beaucoup des surfeurs de cette nouvelle-nouvelle-nouvelle vague du wock’n’woll le moindre semblant de révolution. Un comble. Mais, traversée de toute part des apports multiples de mondes autrefois exogènes voire ennemis ? disco, dance, house, folk ou ultra-pop, cette même Histoire permet maintenant aux jeunes de notre temps de trouver leur compte ; chez ces congénères à peine post-pubères qui ont, avec bonheur ou dans la honte, échappé aux règles grand-parentales de la bienséance rebelle. Impossible d’inventer, fin de l’évolution. Ou presque. La seule solution encore possible est de dénicher, de créer, dans ce dédale des possibilités soniques faisant et défaisant les groupes, son propre style ? prononcer, bien sûr, staïle- son propre genre. Micro-genre, mini-style, giga-succès dans des tribus de plus en plus spécialisées.
Electric 6 débute. A peine aperçus sur le mix maboule des 2 Many DJ’s, sous le nom d’emprunt du Wild Bunch, les « Detroitais » avaient, il est vrai aidés par une offensive propagandiste parfaitement orchestrée par quelques habiles leaders d’opinion avant-gardiste, lancé le buzz. Electric 6, malgré les apparences, débutait donc mal.
Pas facile de se faire une place au soleil critique sous la pression d’une telle attente. Leur premier concert français -pire, parisien- a donc l’apparence dangereuse d’un galop d’essai effectué devant un aréopage distingué, composé de 71% de professionnels de la profession et de 29% d’honnêtes payeurs, environ. En clair : le plus terrible des tests. Un tristounet « Ouais, moi j’attends de voir » semblait même résonner dans le c’ur d’une petite majorité des curieux spécialistes. Les autres, circonspects devant un tel monstre annoncé, attendaient sagement de se faire une idée.
Electric 6 n’a pas inventé le fil à couper l’eau chaude, mais a inventé un style. Inventé, pas vraiment, plutôt patchworké : une grosse dose de rock puissant à faire coincer les hanches, des rythmes à hypnotiser un aï, quelques grosses poignées de second degré. Le tout, mélangé et bien secoué, devait donner, selon les quelques rumeurs glanées ici où là-bas, un groupe de fous furieux chargés à la testostérone, un rock enflammé, remuant et théâtral ; de quoi rappeler à un moine neurasthénique les différentes utilisations possibles de son appareil génital. Un single, Danger! High Voltage, annonçait déjà, dans une gerbe d’incroyables étincelles sexy, la couleur.
Le concert a confirmé, d’un certain point de vue. Le groupe apparaît, on met enfin des visages sur ces beats et ces guitares. Un clavier tout juste sorti des 80s les plus intégristes, coupe Robert Smith circa 83 de rigueur. Un bassiste dégueu ? de loin – rappelant vaguement Francis Kuntz. Un batteur efficace, « My drummer » comme le clame régulièrement le leader. Un guitariste chauve à la voix robotique. Un autre guitariste mal rasé, raide comme un piquet mais souple comme le roseau, un prototype de petit timide ne sachant danser que le rythme de son propre corps, tendu mais tangué, qui correspond heureusement pas mal à celui de son groupe. Et surtout un chanteur, longiligne haricot vert, à l’aise dans sa coupe yuppy et classieux dans son costard. Pas un costume de costard à la Strokes, un vrai deux-pièces beige, comme pourraient le porter des représentants en brosse à dents et aspirateurs : ça commence bien, ce gars-là a vraiment un grain.
Le groupe met du temps à se mettre en branle, le public clairsemé et soupçonneux n’aidant bien évidemment pas sa cause. Son rock grandiloquent à la débilité furieuse, ses insertions incongrues de disco ou de flow quasi-rap, sa voix grave et couillue, ses rythmes carrés mais orgasmiques, mettent du temps à trouver leur vitesse de croisière.
Les têtes froides de la fausse s’échauffent pourtant sur quelques morceaux inconnus, quelques bombes, quelques singles potentiellement incendiaires. Le feu est d’ailleurs l’un des thèmes préférés du chanteur ; une chanson sur deux ayant audiblement pour seule volonté d’enflammer n’importe quoi, une discothèque ou un Flunch, probablement leurs grand-mères, aussi.
Difficile, sans connaître dans le détail ses morceaux, de se faire une opinion objective de la vraie valeur de ce groupe. Une idée : le concert, un peu inégal il est vrai, mais si jouissif dans son style abracadabrantesque, a déjà découvert quelques morceaux dingos capables de remuer la planète entière. Comme commence à le faire, lentement mais probablement, leur premier single. Et forcer la planète entière à écouter un rock aussi sexy, bandant, porno et rigolo que celui de ce groupe serait probablement le meilleur service à rendre à cette vieille bigote.
Les spécialistes se dégoûteront vite, et ne feront peut-être même pas attention à l’enrobage un poil fade de ces tubes en puissance 1000 ; mais n’auront d’autre choix que de remercier Electric 6 d’avoir foutu un aussi beau bordel.
Thomas Burgel
Il fallait un groupe pour ressusciter la face sombre du rock’n’roll. Celle qui se plait dans la caricature, la reprise et tous les éléments qui rendent la musique finalement si peu attrayante. Le goût vestimentaire, d’abord. Electric 6 a voulu nous faire un condensé de l’histoire de ces quarante dernières années, et on se mord les doigts devant ce désespérant manque d’imagination. Le claviste arbore une coupe Indochine/Duran Duran qu’on a pu, dans nos années collège, trouver branchée, mais qui aujourd’hui fait passer Martin Gore pour un visionnaire de la mode. A côté de lui un chanteur ringard, avec une cravate en forme d’années 60, un trip gendre gentil, à donner des frissons aux plus grands schizophrènes. Oui, Electric 6 dès son entrée sur scène nous étonne par sa dextérité au vol à la tire. Un p’tit truc par ci, un gros concept par là, ce groupe-là a senti les modes et a cru bon de se les approprier.
Pourtant, Danger! High Voltage! restera un tube comme on les aime, délicieusement éphémère, frais et musclé, lascif et provoquant, une vraie bombe qu’on évite de répandre trop loin, juste pour le plaisir de l’écouter sans ras-le-bol. Mais comme un vrai groupe, sans foi ni loi, Electric 6 nous a joué son tube sans plus d’application, sans moins d’entrain, avec juste ce qu’il faut pour contenter un public émoustillé.
On les sent heureux d’être là, clappant joyeusement dans leurs mains à la fin de chaque morceau. Mais ils sont malheureusement prophètes d’une époque qu’on croyait révolu, et que seuls des nostalgiques quinquagénaires font semblant de trouver innovant. Son truc, à Electric 6, c’est les années 70. Un son brut, passéiste mais toujours aimable. Un rock vif et bon enfant, un poil énervé, mais sans surprise. Si la voix du chanteur suit très agréablement le style, voguant dans les aigus, et hurlant des mots pas très catholiques, ses mimes et mimiques brisent sa crédibilité, en forçant un peu trop dans le ringard. Il joue le robot pour nous convaincre qu’il parle de machines, avec pas moins de subtilité qu’un clin d’œil appuyé à une jolie blonde.
Le summum du kitsch est atteint avec une reprise de Radio Ga Ga du groupe Queen, un tube que le passage au XXIè siècle nous avait presque aidé à oublier. Humoristique, peut-être Espérons-le, mais l’humour ne sauve pas toujours des mauvais choix.
Après ce show, on est pris entre deux feux: le rire franc ou le rire jaune. Un concert ironique ou ridicule Un dilemme qui nous entraîne pourtant vers les mêmes conclusions. Electric 6 a encore du travail pour se dégotter une personnalité, un style et une musique dont les prémices aujourd’hui n’auraient floué personne sans ce tube terriblement bien arrangé, qui va nous traîner dans la tête encore quelques temps.
Caroline Halazy