Au vrai cheik parisien. Privés de désert, ils imaginent une oasis où se fêtent les traditions des uns et des autres. Pour le plaisir de tous. Un peu à la manière des Têtes Raides, les douze bardes de l’ONB se sont imposés d’abord sur scène. Fait rarissime dans l’histoire de la musique urbaine de France […]
Au vrai cheik parisien. Privés de désert, ils imaginent une oasis où se fêtent les traditions des uns et des autres. Pour le plaisir de tous.
Un peu à la manière des Têtes Raides, les douze bardes de l’ONB se sont imposés d’abord sur scène. Fait rarissime dans l’histoire de la musique urbaine de France et, surtout, brèche inespérée pour les autres musiques du Maghreb jusque-là étouffées par l’hégémonie du raï : gnawi, chaâbi, kabyle, raï « trab » (roots). Le succès inattendu de leur premier album ne devrait pas nous faire oublier qu’il y a à peine quelques années, il paraissait impensable d’imaginer une rencontre entre plusieurs musiques du terroir maghrébin. C’est donc la France de Barbès qui a permis au raï de rencontrer enfin ses racines noires africaines, aux folklores marocains de se frotter aux mélodies algéroises ou kabyles, au rhythm’n’blues de se marier à l’alaoui (rythme binaire des campagnes). Exilé sans être déraciné, l’ONB a inventé le karaoké maghrébin, une recette qui marche comme le programme idéal d’une radio arabe qui n’existe pas encore. Même si les arrangements sont approximatifs, l’ambiance est résolument festive sur ce deuxième album. Le bassiste Youcef Boukella ne cesse de rappeler que c’est d’abord la fête qui domine l’esprit du groupe, les néo-babs et fêtards y trouveront leur compte. Reste juste à persuader les autochtones de Barbès et du bled à venir faire la nouba.
Ces grands adolescents trentenaires qui mélangent le sacré et le futile ont donné quelques gages à un public communautaire jusque-là indifférent. Le chanteur de raï a changé. Moins pop que Dida, Isker le nouveau raïman verse dans le trab, raï des paysans, du dedans, qui vient de la terre et des profondeurs, troublant et souffrant, soumis mais profondément charnel. Cela fait écho au gnawi d’Aziz, le Marocain planant ici au sommet. Les rythmes guérisseurs travaillés avec les choeurs habillent à la perfection sa voix si équilibrée, comme possédée par les esprits gnawis (esclaves noirs du Maroc). Un joyau dans ce disque : la reprise alaoui de Lemima de la grande Cheikha Remitti. Et une surprise sauvée des chutes de studio, Nabina, complainte à la gloire du prophète, un gnawi sec sans gumbri ni autre percu arabe ou africaine, mais avec un piano qui sonne étrangement vaudou et des voix nues qui s’élèvent dans le ciel, petites notes de nostalgie dans une soirée de fête, ambiance religieuse dans un décor improbable de désert mad-maxien. Toutes ces musiques si éloignées trouvent dans l’ONB une étrange unité, souvent là où on ne l’attendait pas. Ça marche toujours, ça marche pareil, c’est loin et c’est proche, fidèle et traître, ça envoûte ou irrite. Pour l’heure, ça plaît.