En 1986, le groupe israélien Minimal Compact passe en concert à Paris. Un moment hypnotique gravé dans la mémoire du musicien et producteur Jean-Charles Versari, qui en profitera le soir même pour acheter son premier numéro des Inrockuptibles. À l’occasion de la diffusion de « Post-punk émoi », création de Versari pour ARTE Radio, on fait le point sur le post-punk.
ARTE Radio, la webradio qui bouscule les codes du format traditionnel s’associe aux Inrocks pour la sortie de Post-punk émoi, la nouvelle création de Jean-Charles Versari (chanteur, musicien et producteur). Et pour écouter du post-punk, nul besoin d’être passé par le punk. Le musicien le prouve en retraçant avec candeur l’histoire du genre musical, à partir de son expérience personnelle. Après sa rencontre musicale déterminante avec Joy Division ou Minimal Compact, et même Duran Duran, Jean-Charles Versari balaye les années post-punk (1978-1984) en brossant le portrait de ses coups de cœur. D’influences subies aux inspirations reconnues, qu’on retrouve dans son travail de producteur (Poptones studio) et de musicien (Versari, Adam H), il conte l’histoire du post-punk façon autobiographie sonore, dit aussi storytelling dans le jargon.
Une création douce et mélancolique, mais néanmoins lumineuse et qui prend aux tripes. Mise en ondes par Samuel Hirsch.
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Tracklist des reprises de Jean-Charles Versari
Nous avons profité de la diffusion de Post-punk émoi pour rencontrer l’auteur.
Pourquoi avoir choisi ARTE Radio pour réaliser Post-punk émoi ?
J’ai envie de dire que c’est ARTE Radio qui m’a choisi. Je connais Silvain Gire (responsable éditorial) depuis que j’ai vingt ans. J’ai suivi son parcours, j’ai su qu’il était chez ARTE Radio, et puis on ne se voit pas souvent, mais un jour il m’a dit : « pourquoi tu ne ferais pas un truc pour ARTE Radio, ça serait chouette ». A l’époque je n’avais pas vraiment d’idée… Et puis un jour, je lui en ai soumise une. Il était emballé. C’est là que j’ai fait ma première création sonore, Full Father Five. Je raconte cinq rêves que j’ai eus, au sujet de mon père qui est décédé, et j’improvise à la guitare dessus. Ça c’est très bien passé alors il m’a recontacté pour cette création.
Il y a deux ans il m’avait proposé de faire quelque chose sur le post-punk. On a les mêmes goûts musicaux. Lui voyait quelque chose de plus didactique sur les effets qu’on utilise, pourquoi ce morceau-là est intéressant… Moi je n’étais pas prêt à faire ça à l’époque. Et puis il m’a relancé plusieurs fois et récemment je lui ai dit : « Oui, faisons-le, par contre je ne vais pas faire du didactique, car je ne suis pas un technicien de la musique ». J’ai appris à la post-punk, à la punk, tout seul en écoutant les disques que j’aimais, donc je ne me voyais pas parler des instruments.
A l’origine, l’idée était de faire une émission récurrente mais ça me semblait un peu colossal. Je n’avais pas assez de temps pour m’y consacrer et je ne savais pas quoi raconter. Autant avec l’ingénierie du son j’ai des connaissances beaucoup plus techniques mais la musique… Il y a quelque chose de très sensible, surtout dans mon approche de la composition et de l’écriture. Il me semblait plus à propos, vis-à-vis de mon expérience, de faire une création qui me reflète. Et à force de discuter j’en suis arrivé à proposer quelque chose qui repose sur mon point de vue subjectif : comment suis-je arrivé à cette musique ? Pourquoi ça m’a plu ? En quoi le post-punk a été une musique fondatrice pour moi ?
Je me souviens très bien du premier numéro des Inrocks que j’ai acheté, c’était à la sortie du concert de Minimal Compact, en 1986, à l’Elysée Montmartre. Il y avait les Young Gods en première partie et Minimal Compact en tête d’affiche. A la sortie, les Inrocks vendaient leurs magazines sur des tréteaux.
Chaque morceau du storytelling est réinterprété, pourquoi ?
Ça c’est une prérogative d’ARTE Radio.com, on ne passe pas de disque sur la webradio. Ce n’est pas une radio qui a une vocation de radio musicale, ce n’est pas l’esprit. Et puis c’était dans le développement de notre discussion avec Silvain Gire, il voulait un truc didactique, qui impliquait que je joue des parties de morceaux, que je mette en place des effets à certains moments pour montrer la différence, donc j’ai gardé un peu de cette idée-là. Mais, en disant : « voilà, c’est une musique qui me touche énormément »…
Ce n’était même pas l’idée de me réapproprier les morceaux, parce que si je devais faire les reprises de ces morceaux-là, je pense que je les aborderais encore différemment, donc l’idée c’était : « comment est-ce que je pourrais faire pour moi, les jouer seul », « est-ce que je ferais juste un guitare-voix », donc j’ai commencé à sortir mes jouets : basse, pédales, boîtes à rythme et il y a des morceaux qui fonctionnaient très bien en faisant des boucles. Quand je réinterprète les titres, soit je fais une boucle avec la basse, soit avec la guitare et puis je chante : un jukebox adolescent avec les outils que j’avais sous la main.
Post-punk, new-wave, cold-wave, no-wave et ses dérivés, on s’y perdrait presque, un petit rappel de circonstance pour les non-initiés ?
Post-punk : juste après le punk, d’où son nom. C’est une musique moins pop, plus expérimentale avec un travail sur le son plus poussé. Il diffère du punk qui était une rupture par rapport à une certaine convention sociétale qui cassait les groupes de rock progressif : le rock à papa. Et en même temps, le punk c’était du rock énervé. Aussi, il y a énormément de groupes punks qui ont fait des tubes pop incroyables, mais ça restait assez traditionnel. Le post-punk a amené des tensions en gardant tout le travail du do it yourself : on fait tout soi-même avec les sous qu’on a mis de côté. L’apparition de Rough Trade (label indépendant londonien fondé en 1976 spécialisé dans le post-punk) a permis ça aussi. Il y a dans le post-punk une extrême liberté, un truc déconstruit (Gang of Four), des dissonances…
https://youtu.be/sPJHQmJAiKA
La new-nave découle du post-punk. C’était lié à des groupes ayant une esthétique plus froide, donc j’imagine qu’elle s’appliquait plus aux groupes à synthés, même si il y a eu après l’étiquette synth-pop : Orchestral Manœuvres in the Dark, Depeche Mode. On peut dire que ces groupes viennent du même mouvement. Je pense que la new-wave, c’est du post-punk un peu plus lisse, un peu plus froid. La cold-wave se voudrait encore plus froide que la new-wave.
La no-wave, c’est vraiment différent, ce n’est pas le même pays, c’est vraiment lié aux Etats-Unis, principalement à New-York. La no-wave c’est le post-punk new-yorkais. Pour les vrais théoriciens de ce sujet, dont je ne fais pas partie, même si j’ai lu tout un tas de livres, il me semble qu’aux USA on n’en parle pas en faisant référence aux groupes de punk comme les Ramones, – le terme punk est né aux USA, c’était le nom d’un fanzine – Blondie, Modern Lovers, tous les groupes qui trainaient au CBGB (club situé à Manhattan qu’on considère comme le lieu de naissance du rock underground – ndlr).
Un groupe comme Suicide était considéré comme punk alors que quand on l’écoute… C’est très punk dans l’attitude, mais c’est tout. Aux Etats-Unis on a beaucoup plus parlé d’avant-garde que de punk, et le punk ne s’est jamais vraiment imposé puisque c’était le nom d’une revue. La no-wave serait donc le post-punk américain : DNA, Lydia Lunch, Jesus and the Jerks, Liquid Liquid. Les théoriciens du genre pourront hurler mais la no-wave aux Etats-Unis a pris racine dans le disco (à cause du club 54 – ndlr) là où le punk anglais prenait plutôt dans la pop et le rock.
Et aujourd’hui ?
Il y a un album de Franz Ferdinand qui est hyper Gang of Four, avec quelque chose de plus pop, mais il y a vraiment ce truc. The Rapture, qui a fait produire son album par LCD Soundsystem, par James Murphy, a ce truc totalement post-punk, ils sont dans une fascination de cette époque-là. Il y a vraiment des lignes de voix ou des sons qui sont pompés sur des morceaux de PIL (Public Image Ltd.). Parfois on dirait Robert Smith (chanteur de The Cure – ndlr), beaucoup moins maintenant mais sur les premiers EP du groupe il y a vraiment cette volonté. Ils se réclament de cette esthétique, et il y a des bonnes choses dessus ! Pareil avec These New Puritans, même si leur deuxième album est parti vers un truc beaucoup plus Radiohead et classique à sa manière.
Par contre, on n’est plus dans le post-punk aujourd’hui parce qu’il s’est passé tellement de choses, notamment liées au contexte mercantile de la musique. Mais la new-wave est très à la mode en France aujourd’hui, il y a beaucoup de producteurs qui font sonner les caisses claires comme dans les années 80, les synthés. Un groupe comme La Femme se réclame plutôt du mouvement synth-pop. J’entends les références, mais ça va être plus sur une esthétique qu’une attitude. On est bien au-delà du punk, les villes ne sont plus les mêmes, les gens ne sont plus les mêmes, et le monde de la musique n’est vraiment plus du tout le même. C’est différent. Aujourd’hui, ça manque un peu d’inventivité.
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